Pour la cinquième année consécutive, la police américaine tue plus d'un millier de personnes

Sous l'effet des inégalités sociales croissantes et d'une recrudescence de la lutte des classes, 2018 était la cinquième année consécutive où la police a tué plus de 1000 personnes aux États-Unis.

Le fait que des milliers de personnes, la grande majorité d'entre elles appartenant à la classe ouvrière et pauvre, ont été tuées par la police au cours des cinq dernières années seulement est l'expression de la brutalité du pouvoir capitaliste et de l'immense ampleur des inégalités sociales aux États-Unis. Alors que l'impérialisme américain ravage des nations à travers le monde au moyen de la violence militaire, il ramène de plus en plus la guerre sur son territoire sous la forme de brutalité et de meurtre par une force de police de plus en plus militarisée.

Après les meurtres de Michael Brown, Freddie Grey, Philando Castile et Laquan McDonald, pour ne citer que quelques-uns des cas les plus notoires depuis 2014, la police a continué son carnage meurtrier en 2018:

- En mars, la police de Sacramento en Californie a tiré 20 fois sur Stephon Clark, un Afro-Américain de 22 ans qui n’était pas armé, dans la cour arrière de ses grands-parents.

- Le 5 avril, la police a abattu Diante Yarber, 26 ans, à Barstow en Californie, prétendant qu’il avait dirigé son véhicule en sa direction. Le père de trois filles a été tiré 30 fois et touché environ 24 fois. Son avocat a décrit l'incident comme la pire forme de «force excessive et inutile» qu'il ait jamais vue.

- En mai, John Corneil, 54 ans, a été tué par balle dans une zone rurale du Maine parce qu’il avait une arme-jouet.

- En juin, Anthony Marcel Green, 33 ans, non armé, a été tué par la police alors qu'il fuyait la police à Kingsland, en Géorgie.

- Fin juillet, Daniel Hambrick, 25 ans, a été tué d'une balle dans le dos alors qu'il fuyait un contrôle routier à Nashville au Tennessee.

- En septembre, Dereshia Blackwell, une femme noire de 39 ans armée d'une arme à feu et d'un couteau, a été attaquée au pistolet Taser puis tuée par un policier à Missouri City au Texas.

- En octobre, la police du comté de Monroe, en Géorgie, a abattu Ida Christy Stiles, une femme blanche de 42 ans, alors qu'elle tenait une arme-jouet.

- En novembre, Christopher William Parrish, un homme blanc de 33 ans, a été tué par balle à Ogden en Utah. La police a déclaré qu'il était armé d'une pierre.

Au moment d'écrire ces lignes, Mapping Police Violence (MPV) rapporte que la police a tué 1122 personnes en 2018, un peu moins que les 1 147 de l'année précédente. En 2018, il n'y a eu que 22 jours où la police n'a pas tué quelqu'un.

MPV définit les meurtres commis par la police comme un «cas où une personne meurt des suites d'une poursuite, d'un passage à tabac, d'une arrestation, d'une contention, d'un coup de feu, d'un coup de poivre de cayenne, de l'utilisation d'un pistolet Taser ou d'autres blessures, intentionnelles ou accidentelles, par des policiers en service ou hors service».

Selon le Washington Post, qui ne suit que les fusillades policières et n'inclut pas les autres types de meurtres, comme les personnes qui se font électrocuter par pistolet Taser ou se font battre, 996 personnes sont mortes en 2018, légèrement plus que le total de 987 en 2017.

L'agrégateur en ligne Killedbypolice.net, qui définit les meurtres policiers de la même façon que MPV, a cessé de suivre les meurtres policiers en juillet 2018, citant des contraintes financières.

Les données recueillies par Killedbypolice.net et MPV permettent de conclure que plus d'un millier de personnes ont été tuées pour la cinquième année consécutive. Killedbypolice.net rapporte que la police américaine a tué 1114 personnes en 2014, 1222 en 2015, 1171 en 2016 et 1194 en 2017.

Si l'on ajoute les données du MPV qui montrent que la police a tué 1122 personnes en 2018, le nombre total de personnes tuées par la police américaine au cours des cinq dernières années est de 5 923, soit plus que le nombre total de soldats américains tués au combat en Irak depuis l'invasion de 2003.

Pourtant, malgré les milliers de morts, les policiers sont rarement inculpés ou, s'ils le sont, condamnés. Selon les recherches de Philip Stinson, professeur agrégé de justice pénale à la Bowling Green State University de l'Ohio, entre 2005 et avril 2017, au cours desquelles des milliers de personnes ont été tuées par la police, seuls 80 policiers ont été arrêtés pour meurtre ou homicide involontaire.

En 2015, sous le gouvernement Obama, le MPV a constaté que 99 % des meurtres commis par la police n'avaient pas abouti à la condamnation d'un policier. Cela s'explique en partie par le fait que la loi capitaliste aux États-Unis donne aux policiers une immense marge de manœuvre pour attaquer violemment des civils en vertu de la doctrine juridique de la «menace perçue». La perception proclamée d'être menacé suffit à exempter un policier d'une condamnation pour usage de violence meurtrière, même s'il s'avère que la victime n'était pas armée.

C'est aussi parce que l'administration démocrate d'Obama, pas moins que les républicains, a défendu le «droit» de la police d'employer la violence contre les travailleurs et les jeunes. En fait, le département de la Justice sous le président Obama est intervenu à plusieurs reprises devant les tribunaux fédéraux du côté de la police dans des affaires où des victimes de violence ou d'inconduite policières ont demandé réparation.

Dans le même temps, Obama a cherché à dissimuler sa défense de la brutalité policière et à détourner la colère de dizaines de milliers de personnes qui ont protesté contre les meurtres commis par la police en formulant la question entièrement comme une question raciale, occultant ainsi les problèmes sociaux et de classe les plus fondamentaux.

Bien que les Afro-Américains soient tués par la police en nombre disproportionné, ce qui reflète en partie le racisme des policiers, le plus grand nombre de ceux qui sont tués par la police sont blancs – le Washington Post rapporte qu'en 2018, la police a tué 397 blancs et 209 noirs et le facteur le plus important pour déterminer qui est visé par la police est la classe sociale. Les victimes de la violence policière sont en très grande majorité des classes populaires et des pauvres, de toutes races et ethnies.

Ce qui est peut-être le plus frappant et le plus révélateur, c'est la réaction de la pseudo-gauche à la persistance des effusions de sang imputables à la police américaine. Les appels à protester contre les meurtres policiers par des organisations de pseudo-gauche, telles que les Socialistes démocrates d'Amérique (DSA), l'Organisation socialiste internationale (ISO) et Black Lives Matter (BLM), ont considérablement diminué ces dernières années. Ces groupes, qui ne représentent pas les intérêts de la classe ouvrière, mais ceux des couches supérieures de la classe moyenne, ont cherché à dépeindre les meurtres commis par la police principalement comme le produit du racisme dans la société américaine.

Présentée comme la principale organisation contre les assassinats de policiers par les médias bourgeois, BLM, qui a créé le hashtag populaire #blacklivesmatter, exprime le plus clairement ce point de vue.

Lors des manifestations populaires de masse à Ferguson, au Missouri, au cours desquelles des travailleurs et des jeunes ont protesté contre l'assassinat de Michael Brown par Darren Wilson, les médias grand public ont déclaré que BLM était le leader de la manifestation. Cela faisait partie de l'effort de la classe dirigeante pour détourner la colère des travailleurs et des jeunes vers la politique sans issue de BLM, qui opère dans l'orbite du Parti démocrate.

La classe dirigeante craint réellement qu'une nouvelle manifestation de masse contre la violence policière ne déclenche un mouvement plus large qui pourrait se transformer en un mouvement politique contre le capitalisme.

La protestation de Ferguson et les événements qui ont suivi ont exprimé une radicalisation croissante parmi les travailleurs et les jeunes aux États-Unis. La classe dirigeante américaine en a pris note et a cherché à éviter la répétition de grandes manifestations. Elle s'est appuyée sur BLM et d'autres groupes de pseudo-gauche pour détourner les travailleurs et les jeunes vers l'impasse de la politique identitaire.

Depuis sa création, il y a plus de cinq ans, BLM, qui s'est profondément intégrée au Parti démocrate et a reçu une subvention de 100 millions de dollars de la Fondation Ford, a pratiquement abandonné ses appels à tout type d'action de masse ou de protestation contre les meurtres commis par la police et a concentré ses efforts sur les politiques policières réformistes et la promotion des candidats du Parti démocrate.

Alicia Garza, l'une des trois cofondatrices du mouvement BLM, a déclaré ouvertement en 2017 que BLM s'était éloignée des manifestations. «Ce que les gens voient, dit-elle, c'est qu'il y a moins de manifestations. C'est en grande partie parce que les gens canalisent leur énergie pour s'organiser à l'échelle locale, reconnaissant que dans l'Amérique de Trump, nos communautés sont directement attaquées.»

Patrisse Cullors, également cofondatrice de BLM, a dit à Mic en juillet 2018: «Je suis très reconnaissante qu'en ce moment, surtout sous le gouvernement actuel, nous ayons créé un mouvement il y a cinq ans. Ça nous a donné un plan pour nous aider à riposter. Il y a eu la Marche des femmes. Il y a eu la Marche pour nos vies. Ils l'ont utilisé pour changer la politique, pour changer la culture.»

Elle a déclaré plus tard à ABC News: «Il y a tellement de représentants élus, noirs et blancs, qui contestent le statu quo en ce moment», commentant que la récente élection d'Alexandria Ocasio-Cortez, représentante démocrate et membre des DSA à New York était «une confirmation de notre mouvement».

La vague incessante d'assassinats policiers est une condamnation de la politique en faillite de la pseudo-gauche et de sa promotion de la politique de la race comme un antidote à la violence policière aux États-Unis. De plus, leur insistance à considérer la race comme le principal facteur des meurtres commis par la police n'a fait que créer de la confusion et semer l'illusion dans la réforme de la police.

Le problème de la violence policière est en fin de compte un problème politique. Comprendre la nature de la police, c'est comprendre la dynamique du capitalisme et de l'État. La police fait partie de l'arsenal de l'État pour exécuter les mandats de l'élite dirigeante et, en définitive, pour protéger les intérêts de la propriété privée. L'État, avec sa police, son armée, ses patrouilles frontalières et ses agences d'espionnage, existe comme un instrument répressif dans le conflit inconciliable entre la classe dirigeante et la classe ouvrière.

Il est dangereusement trompeur de déclarer que la répression policière est fondamentalement le résultat du racisme. Une telle position fait du problème de la brutalité policière un problème idéologique, et non une question de classe liée au système capitaliste. De plus, elle favorise l'illusion que la police peut être réhabilitée ou remplacée par une autre force plus «équitable» sous le capitalisme.

Les meurtres et les violences policières touchent l'ensemble de la classe ouvrière, sans distinction de race. Les travailleurs blancs sont tués en grand nombre et ne bénéficient d'aucun privilège particulier face à la brutalité de la police.

Une analyse des assassinats policiers pour l'année 2017 menée par le World Socialist Web Site a révélé que les hommes blancs de la classe ouvrière dans les zones rurales sont tués à des taux similaires à ceux des hommes noirs dans les villes et les zones urbaines. L’article a également constaté que la majorité des personnes tuées venaient de la classe ouvrière et de milieux pauvres, ce qui montre clairement que la classe, et non la race, est le facteur ultime des meurtres commis par la police.

L'assassinat de personnes dans des zones essentiellement ouvrières et pauvres est l'expression directe et indirecte d’un pouvoir de classe. En promouvant un discours raciste, BLM, DSA, l'ISO et d'autres ont pour but de diviser la classe ouvrière et de canaliser l'opposition sociale derrière le Parti démocrate procapitaliste et, ce faisant, de désamorcer l'opposition populaire à la violence étatique.

(Article paru en anglais le 7 janvier 2019)

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