Après un an de lock-out:

ABI garde la ligne dure tandis que les Métallos isolent les travailleurs

Le conflit de travail à l’Aluminerie de Bécancour (ABI), qui dure depuis plus d’un an, est toujours dans l’impasse. Malgré l’intervention du ministre du Travail pour «rapprocher les parties», les négociations sont au point mort. La compagnie reste déterminée à maintenir ses quelques 1030 employés en lock-out pour les appauvrir davangate et les forcer à accepter des reculs majeurs afin de gonfler les profits des actionnaires.

Le ministre Jean Boulet a confirmé au début du mois que le comité spécial de médiation mené par l’ex-premier ministre Lucien Bouchard «s’est buté à des positions bien ancrées» et que les parties n’avaient pas démontré de «volonté réelle» de négocier. Boulet a annoncé que le mandat du comité était terminé et que la direction de l’ABI et le Syndicat des Métallos, qui représente les travailleurs de l’aluminerie, devaient reprendre les négociations.

Boulet s’est engagé à mettre sur pied un «groupe d’experts» provenant de son ministère. Sous le couvert de la neutralité entre ABI et les travailleurs, ce mécanisme sert en réalité à faciliter l’imposition des diktats de l’entreprise. Parlant comme un patron, Boulet (qui avant d’être ministre, a lui-même représenté des compagnies en tant qu’avocat en droit du travail) a souligné que les services offerts par son ministère «peuvent être utilisés» pour «redéfinir l’organisation du travail pour que ce soit plus flexible».

Avant le congé des fêtes, Boulet avait annoncé qu'en cas d'échec des négociations, il demanderait au comité de médiation de soumettre aux parties une «hypothèse de règlement». Auparavant, il avait même laissé entendre que le gouvernement pourrait imposer un contrat par arbitrage. Pour l’instant, Boulet a laissé tombé ces deux options, qu’il a qualifiée de «prématurées», mais a dit qu’il est prêt à recourir à une proposition de règlement dès qu’il jugera le moment opportun.

La volte-face de Boulet indique que la compagnie, bien que faisant affaire avec un gouvernement pro-patronal de droite, a insisté pour avoir le champ libre pour déterminer quand et sous quelles conditions elle mettra fin au lock-out. ABI, une coentreprise détenue à 75% par le géant américain de l'aluminium Alcoa et à 25% par la multinationale minière et métallurgique Rio Tinto, est déterminée à tracer un exemple sur ses employés de Bécancour pour établir de nouveaux bas standards dans les conditions de travail à l’échelle mondiale. On peut supposer qu’elle a menacé – directement ou indirectement – de mettre les clés à la porte si ses exigences n’étaient pas satisfaites.

De son côté, le Syndicat des Métallos continue d’isoler les travailleurs d’ABI et canaliser leur lutte vers des appels futiles à l’establishment politique et au gouvernement populiste de droite de la Coalition Avenir Québec (CAQ). Pour marquer le premier anniversaire du lock-out, les Métallos ont organisé une manifestation où ils ont invité les maires et députés de la région à venir s’adresser aux travailleurs.

Le président la section locale 9700, Clément Masse, a déclaré aux quelques centaines de lock-outés et à leurs partisans: «Nous avons besoin que le gouvernement sorte de sa pseudo-neutralité et rétablisse un équilibre dans les rapports de force». Autrement dit, le syndicat fait croire à ses membres qu’ils sont impuissants devant la compagnie et doivent laisser leur sort entre les mains du premier ministre François Legault, un ancien PDG millionnaire qui prône la privatisation, les coupures sociales et les réductions d’impôts pour les entreprises et les riches.

En poursuivant leur stratégie futile de pression sur les actionnaires de la compagnie et en relayant le mensonge que le gouvernement joue le rôle de neutre arbitre dans une société divisée en classes sociales antagonistes, les chefs syndicaux démontrent une nouvelle fois leur hostilité à la mobilisation indépendante de la classe ouvrière. Si les travailleurs d’ABI sont impuissants en ce moment, c’est justement parce que les Métallos et la Fédération des travailleurs du Québec refusent de faire appel à leurs centaines de milliers de membres en défense des lock-outés et faire de leur lutte le catalyseur d'une lutte ouvrière plus large contre les coupures et les mesures d'austérité de la grande entreprise.

Les travailleurs d’ABI ont pourtant de puissants alliés. Il existe une colère grandissante parmi les travailleurs à l’échelle mondiale contre les compressions sociales et l’attaque sur les emplois. Les employés de l'usine d'Oshawa en Ontario, agissant indépendamment des dirigeants d'Unifor et de la section locale 222, ont fait un arrêt de travail la semaine dernière en réponse à la confirmation par GM de la fermeture de l'usine. Au sud de la frontière, au même moment où des milliers d’enseignants se préparent à faire grève en Californie, les fonctionnaires fédéraux qui sont sans paye depuis plus de 20 jours commencent à se révolter contre la décision de l’administration Trump de fermer partiellement le gouvernement sous prétexte d’une menace à la sécurité nationale à la frontière avec le Mexique.

L’attaque d’Alcoa contre les travailleurs australiens et la suppression de centaines d’emplois en Espagne suite à la fermeture de deux usines démontre que la lutte des travailleurs de l’ABI a un caractère international. Cependant, les Métallos continuent d’isoler ses membres et de présenter le lock-out comme un conflit québécois, limité à l’usine de Bécancour.

Depuis le début du conflit, les dirigeants syndicaux supplient la direction d'accepter leur offre de collaboration pour imposer les coupures par une entente «négociée». En appelant à une intervention gouvernementale, toutefois, ils indiquent qu’ils sont ouverts à une quelconque forme d’arbitrage.

Mais tout nouveau contrat, qu’il soit imposé par arbitrage ou par une entente négociée, sera rempli de concessions. Masse a dit à plusieurs reprises que le syndicat a déjà accepté les principales demandes de l’employeur, y compris l'introduction d'un nouveau régime de retraite entièrement financé par les travailleurs, l'affaiblissement des droits d'ancienneté et même des suppressions d’emplois.

Comme l’ensemble de la bureaucratie syndicale, le Syndicat des Métallos ne fait pas obstacle aux attaques patronales. Son rôle est plutôt d’étouffer dans l’oeuf toute lutte ouvrière et de subordonner les emplois et les salaires des travailleurs aux profits des investisseurs.

Les travailleurs d’ABI ne doivent pas se soumettre aux menaces d’Alcoa et Rio Tinto. Des emplois stables, des salaires décents et de bonnes conditions de travail représentent des droits sociaux pour lesquels des générations de travailleurs se sont battues. Les ressources naturelles comme l’aluminium ne devraient pas non plus être soumises au profit des entreprises privées et aux caprices des marchés financiers dans un contexte de guerre commerciale.

Pour vaincre Alcoa et Rio Tinto, les travailleurs d’ABI doivent briser l'isolement de leur lutte. Cela exige la mise sur pied d’un comité de la base indépendant de l'appareil syndical pour prendre en main la direction de leur lutte et rallier l'appui des travailleurs du Québec, du reste du Canada et du monde pour une contre-offensive ouvrière contre toute concession, contre l'austérité capitaliste et les lois anti-ouvrières. C’est indissociable d’une lutte pour des gouvernements ouvriers dédiés à l’organisation socialiste de la société où les ressources et la production répondent aux besoins de tous.

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