«Grève nationale» CGT: l’appareil syndical veut récupérer les «gilets jaunes»

Le 5 février, la CGT a appelé à une «grève nationale de 24 heures» et une mobilisation conjointe avec les «gilets jaunes», à laquelle ont participé plusieurs dizaines de milliers de personnes.

La mobilisation avait un caractère contradictoire. D’un côté, le but des syndicats n’était pas de mobiliser les travailleurs contre Macron ou contre l’Union européenne. Sur des lieux de travail où ils sont présents, les syndicats ne poussaient pas les travailleurs à faire grève. De leur part c’était une mobilisation des bureaucrates pour aller à la rencontre des «gilets jaunes», envers lesquels les dirigeants syndicaux sont hostiles, pour tenter de récupérer leur mouvement.

Des milliers de personnes ont toutefois défilé dans de nombreuses villes: Lille (2.300 selon la préfecture), Rouen (3.200), Le Havre (2.200), Caen (2.300), Nantes (2.400), Angers (1.500), Clermont-Ferrand (2.300), Strasbourg (1.500), Lyon (4.300), Avignon (2.000), Marseille (5.200), Paris (18.000). Des militants syndicaux ont rejoint les «gilets jaunes» sur des ronds-points bloqués à travers la France.

A Paris, le chef de la CGT Philippe Martinez ainsi que Jean-Luc Mélenchon et Alexis Corbière de La France insoumise (LFI) ont défilé. Les appareils syndicaux et leurs alliés politiques ont voulu faire oublier leurs dénonciations au vitriol des «gilets jaunes» au début du mouvement, qu’ils ont traité de néo-fasciste. Corbière s’est défendu de toute récupération, prétendant qu’il est «logique que les organisations syndicales soient là avec les gilets jaunes pour dire au gouvernement, arrête ta politique.»

Tout en réaffirmant les prétextes de sa dénonciation initiale des «gilets jaunes», Martinez les a mis en sourdine: «Nous ne nous mélangeons pas avec des personnes qui tiennent des propos racistes, sexistes et homophobes, mais c'est une minorité. On a appris à se connaître.»

Remis de leur panique initiale face à des manifestations en dehors de leur contrôle, les dirigeants politiques et syndicaux de l’impérialisme français tentent d’influencer le mouvement. Mais les syndicats négocient activement l’austérité, et Mélenchon le service militaire, avec Macron, leur but ne peut donc qu’être de récupérer le mouvement et de lui imposer un programme réactionnaire. La question décisive est de mobiliser plus largement les travailleurs, en France et à l’international, indépendamment des syndicats et de forces comme LFI.

En effet, un gouffre sépare d’un côté les revendications des manifestants des appareils syndicaux et politiques de la classe dirigeante française.

A Paris, où des policiers ont attaqué les «gilets jaunes» en fin de manifestation, le WSWS a interviewé des «gilets jaunes». Sabine, qui travaille pour un service d’aide à la personne, a expliqué qu’elle manifestait parce qu’il y a «trop de taxes, pas assez de salaire. Comme d’habitude, en deux mois la situation n’a pas évolué, même c’est pire.» Elle a observé que l’offre faite par Macron d’organiser un «grand débat national» n’est qu’un «gros enfumage.»

Elle a parlé des difficultés au travail: «On a une fédération qui se prend tout, les quatre se prennent tout et les salariés qui fournissent le boulot, eux, ne sont pas payés. Je suis à 1.250 euros nets, je suis dans les bureaux; mes collègues qui sont intervenantes à domicile, c’est le SMIC, 1.200 euros, et elles sont obligées d’avoir leurs voitures personnelles. Elles n’ont pas le droit de prendre l’autoroute, la convention collective l’interdit, donc on leur enlève tout le temps de l’argent. Elles déclarent qu’elles ont fait 15km, mais ils ne prennent en compte que 12 lorsqu’on les rembourse.»

Sabine a ajouté, «Elles sont seules et fatiguées de leurs journées, elles ont 44 heures d’intervention sans compter les temps de trajet qui font une heure et demie par jour. Le pire c’est qu’on leur dit, on va vous payer les heures supplémentaires en fin d’année, modulation du temps de travail. Puis deux ou trois mois avant, on les met en congé pour ne pas les payer. Et quand on les paie en fin d’année, on oublie qu’une semaine elles ont fait plus de 42 heures, on oublie tout ça.»

Interrogé pour savoir si les syndicats les avaient aidées, Sabine a répondu: «Du tout, absolument pas.» Elle a dit que sur le mouvement des «gilets jaunes», les syndicats «n’étaient pas solidaires, ils ont loupé le coche.»

«Ils ont peut-être cru qu’on était des fachos», a-t-elle remarqué. Mais «à venir avec nous, ils auraient bien vu qu’il y a de tout – il y a des Portugais, il y des noirs, il y a des Arabes. D’où on est fachos? Ça ne va pas, non? Moi, du côté de ma mère on est des juifs. Alors on est antisémites? Non, ça me révolte. D’ailleurs, si jour un seul me dit que je suis antisémite, je porte plainte contre lui.»

Sabine a aussi critiqué la politique de Macron, exigeant le rétablissement de l’Impôt sur la fortune: «On nous dit qu’il n’y a pas d’argent, c’est des foutaises.» Sur le service militaire universel que veut Macron, elle a a ajouté: «Ça sera encore sa police à lui pour protéger tous ces oligarques.»

Le WSWS a aussi parlé à Dzipomariam et à Anthony, mobilisés contre les inégalités: «On est l’un des pays les plus riches, et on n’arrive même pas terminer nos mois. … Et là, qu’est-ce qu’ils font? Ils pensent à taxer les pauvres, alors qu’ils pourraient taxer les riches, par exemple. L’ISF ils peuvent le rétablir, tout simplement.»

Sur les syndicats, ils ont dit: «Pour nous c’est des citoyens comme les autres, donc on prend toute l’aide qu’on peut avoir.» Toutefois, ils ont dit que la loi travail et la casse du statut des cheminots, négociées avec les syndicats, sont «bêtes», tout comme les critiques des «gilets jaunes» faites par Martinez. Anthony a ajouté que sur les «gilets jaunes», les syndicats «ont suivi, et encore je suis poli.»

Le WSWS a aussi parlé à Vincent, jeune retraité de la fonction publique, qui a dit: «On en a marre de Macron. J’ai voté pour lui contre Le Pen, donc je ne suis pas vraiment surpris. Mais je suis quand même surpris de la tournure que ça a pris, de la part d’un président qui se voulait supposément différent. Ils nous font tous le coup, alors maintenant on est rodé.»

Vincent a critiqué les questions que lance Macron dans le «grand débat national» sur le mouvement: «Qu’est-ce que vous voudriez qu’on supprime, la santé ou l’éducation? C’est n’importe quoi, ce n’est pas de ça dont les gens parlent. Ils ne disent pas supprimer, il faut gérer autrement et faire des choix avec d’autres priorités. … Ce n’est pas une question de supprimer les services publics, c’est une question d’améliorer le service public.»

Il a également indiqué sa méfiance de l’ingérence de Macron pour tenter d’imposer un nouveau président au Venezuela: «Je ne prends pas Maduro pour un grand démocrate. … La situation dans laquelle est le pays me paraît absolument dramatique pour un pays qui a vraiment été le premier producteur de pétrole, donc du fric lui aussi il en a. Mais ceci étant dit, c’est une véritable ingérence que d’appeler à ce que ce soit le président de l’Assemblée, qui n’a pas plus de légitimité que celui qu’il conteste.»

Finalement, Vincent a appelé au «rétablissement de l’impôt sur la fortune. Du fric, il y en a. Il y a quand même des gens qui ont du pognon, il y a les entreprises du CAC 40 qui font des bénéfices. Donc on ne va pas me faire penser que de l’argent, il n’y en a pas. Il y en a, il faut aller le chercher.»

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