Le profit avant tout

Les États-Unis refusent d'immobiliser le Boeing 737 Max 8 malgré un accident similaire il y a cinq mois

Deux jours après l’écrasement d’un Boeing 737 Max 8 en Éthiopie, qui a coûté la vie à 157 passagers et membres d’équipage, le gouvernement américain et les transporteurs américains l’utilisant ont refusé d’immobiliser ce modèle mis en service récemment.

Cela malgré le fait qu’un autre 737 Max 8 s’était déjà écrasé en Indonésie cinq mois plus tôt dans des circonstances apparemment similaires, tuant les 189 personnes à bord. De surcroît, pratiquement tous les autres grands pays du monde ont décidé d’immobiliser ce modèle et/ou de l’interdire de vol en attendant les résultats des enquêtes sur les causes de la catastrophe. Jusqu’à présent, seul le Canada s’est joint aux États-Unis pour refuser d’immobiliser l’avion au sol.

Le vol 302 d’Ethiopian Airlines d’Addis-Abeba à Nairobi (Kenya), s’est écrasé à grande vitesse six minutes environ après le décollage tôt dimanche matin, par temps clair et bonne visibilité. L’avion est monté au décollage, puis est descendu, puis il est remonté brusquement tout en accélérant à des vitesses supérieures à celles normales au décollage. Le PDG de la compagnie aérienne a signalé que le pilote, un pilote chevronné de la compagnie, avait signalé par radio au contrôle aérien qu’il avait des «problèmes à contrôler le vol». Il avait demandé l’autorisation de retourner à l’aéroport avant de perdre le contrôle de l’avion.

L’enquête n’en est qu’à sa phase initiale et elle ne peut fournir aucune réponse définitive pour le moment à la question de la ou des causes de l’accident. L’enregistreur de données et l’enregistreur de parole dans le poste de pilotage ont tous deux étés récupérés, mais on ne les a pas encore exploités. Cependant, les circonstances ressemblent étrangement à l’écrasement d’un Boeing 737 Max 8 de Lion Air en octobre dernier, qui s’est abîmé dans la mer de Java quelques minutes seulement après son décollage de l’aéroport de Jakarta.

Les enquêteurs ont attribué cet accident à un capteur défectueux et à une fonction automatique des modèles 737 Max. Quand le capteur détecte que le nez est trop haut les contrôles pointent le nez vers le bas pour éviter un décrochage. Mais on n’en avait pas informé les pilotes et ils n’avaient pas été en mesure de neutraliser la fonction. En conséquence, l’avion a alterné entre descentes et montées abruptes jusqu’à ce qu’il pique dans l’eau à 720 kilomètres à l’heure. Après l’accident, des pilotes en Indonésie et aux États-Unis ont déclaré qu’ils n’étaient pas au courant du nouveau programme de pilote automatique installé par Boeing sur le modèle 737 mis à jour, et qu’ils n’avaient pas été formés à son utilisation.

Boeing a manifestement installé le nouveau programme automatisé pour compenser les problèmes liés au nouveau moteur, beaucoup plus gros, du 737 remanié. Boeing a construit le modèle plus économe en carburant afin de concurrencer son principal rival dans le contrôle des marchés mondiaux et des bénéfices, l’européen Airbus. Celui-ci avait lancé son propre A320neo pour conquérir une plus grande part du marché lucratif des vols commerciaux moyenne distance. L’un des principaux arguments de vente de Boeing contre l’A320neo était que le 737 Max 8 n’exigeait pratiquement aucune formation supplémentaire pour les pilotes ayant piloté une version précédente du 737. Il était donc moins coûteux à mettre en service.

Les 737 Max 8 et Max 9 (une version plus longue) ont été introduits dans le contexte d’une guerre sans merci avec Airbus pour le contrôle des marchés, en particulier celui du transport aérien chinois qui atteindra bientôt un billion de dollars, et d’une campagne brutale de réduction des coûts aux États-Unis. Depuis qu’il est devenu chef de la direction et président du conseil d’administration en 2015, Dennis Muilenburg (rémunération :18,5 millions de dollars en 2017) a réduit les effectifs de près de 7 pour cent en 2016 et de 6 pour cent en 2017. De son côté, Airbus a annoncé 3.700 suppressions d’emplois en 2018.

Muilenburg a également fait pression sur les fournisseurs de Boeing, exigeant des baisses de prix de 10 pour cent ou plus, les amenant à intensifier les attaques contre leurs propres ouvriers.

Vu les circonstances des deux catastrophes touchant des 737 Max 8, il est évident que le souci de la sécurité des passagers, du personnel et du grand public, aux Etats-Unis comme au plan international, devrait au moins imposer une suspension temporaire des vols jusqu’à ce que des défauts mécaniques ou des fautes de conception puissent être écartés. Mais Boeing et les transporteurs américains qui exploitent les 737 Max 8 et Max 9 – Southwest Airlines, American Airlines et United – ont tous refusé de retirer les avions de la circulation, insistant pour dire qu’ils étaient parfaitement sûrs.

Lundi soir, après que la Chine et des transporteurs internationaux eurent immobilisé les 737 Max 8, la Federal Aviation Administration américaine (FAA) a émis un «avis de maintien de navigabilité» aux exploitants de Boeing 737 Max. En même temps, Boeing a annoncé une mise à jour du logiciel des 737 Max 8 pour les semaines à venir afin de «rendre encore plus sûr un avion déjà sûr» en modifiant « loi de contrôle de vol, affichages des pilotes, manuels d’exploitation et formation des équipages».

Le gouvernement américain maintient cette position malgré les appels croissants en faveur d’une interdiction de vol des 737 Max aux États-Unis. Le syndicat des agents de bord d’American Airlines qui fait voler 24 avions Max 8, a pris la décision symbolique, mardi, de demander au PDG américain Doug Parker d’immobiliser l’avion, sans aucun doute sous pression massive de la base. L’APFA (Association of Professional Flight Attendants) a également dit à ses membres qu’ils ne seraient pas obligés de voler sur des 737 Max 8 s’ils se sentaient en danger. Le syndicat des pilotes d’American Airlines, l’Allied Pilots Association (APA), a également dit à ses membres qu’ils n’étaient pas forcés de travailler sur ces appareils.

Parmi ceux qui ont exigé que la FAA immobilise le modèle au sol, il y avait Jim Hall, ancien président du «National Transportation Safety Board» (NTSB). Il a déclaré dans une entrevue: «Comme c’est un nouveau modèle et que des similitudes existent entre les deux accidents, Boeing devrait mettre la sécurité au premier plan et garder l’avion au sol».

Parmi ceux demandant une interdiction il y a Ray LaHood, secrétaire aux transports sous Obama, les sénateurs démocrates Dianne Feinstein, Elizabeth Warren et Richard Blumenthal et le sénateur républicain Mitt Romney, ainsi que des groupes de défense des consommateurs tels que Consumer Reports et FlyersRights.org.

Mais les priorités du système capitaliste sont tout autres que la sécurité et la préservation de la vie humaine. Les intérêts financiers liés à la rentabilité et au cours des actions boursières de Boeing sont immenses. Ils l’emportent de loin sur le danger de voir plus de vies humaines détruites et plus de souffrances pour les amis et familles des victimes. Les impératifs géopolitiques et économiques de la défense de l’industrie nationale américaine contre les rivaux étrangers sont un autre élément en faveur du camouflage et de la tromperie.

Les actions de Boeing représentent une grande partie de la hausse du cours des actions depuis l’élection de Trump en novembre 2016. La protection de l’entreprise est donc une préoccupation majeure pour l’ensemble de l’élite financière américaine. Les actions de Boeing ont triplé depuis l’élection, ce qui en fait l’action la plus chère de l’indice Dow Jones. De novembre 2016 à vendredi dernier les actions de Boeing ont dépassé 373 euros l’action. Pendant la même période, l’indice Dow Jones a augmenté de 7.000 points, et la hausse de Boeing a représenté plus de 30 pour cent de cette augmentation.

Suite à l’accident en Éthiopie, les actions de Boeing ont chuté de 5,3 pour cent lundi et de 6,1 pour cent mardi. Mais elles sont en hausse de 25 pour cent depuis le début de l’année. Elles ont doublé depuis le début de l’année dernière. Le PDG, Muilenburg, a supervisé une campagne de réduction des coûts et de marketing agressif. Dans le cadre de cet effort, Boeing a établi en 2017 des records de bénéfices, de flux de trésorerie et de livraisons commerciales et s’est engagé à faire mieux.

C’est le plus gros exportateur individuel des États-Unis, ce qui en fait un acteur central de la politique de guerre commerciale de Trump. Ce dernier a salué à plusieurs reprises Muilenburg, qui a rendu l’éloge.

Lors de son récent voyage à Hanoi, Trump a posé pour une photo avec le PDG de Boeing pour célébrer une nouvelle commande de 100 avions 737 Max de la part d’une compagnie aérienne vietnamienne.

Et si Boeing est essentiel pour les ambitions internationales de l’impérialisme américain et pour la richesse des banques, des fonds de couverture et des spéculateurs du pays, le 737 Max 8 est essentiel pour le succès de Boeing. C’est l’avion le plus vendu de la société depuis un siècle. Il représente près d’un tiers de son bénéfice opérationnel. On estime qu’un arrêt complet des livraisons pourrait lui coûter 5,1 milliards de dollars, soit 5 pour cent du chiffre d’affaires annuel, en l’espace de deux mois.

En janvier, Boeing avait plus de 5.000 commandes pour les différentes versions du 737 Max. Selon le Wall Street Journal, les analystes estiment que le Max 8 représente deux tiers des livraisons futures de Boeing et 40 pour cent de ses bénéfices. Pour l’élite dirigeante américaine, il faut le protéger à tout prix!

Ces faits montrent l’irrationalité fondamentale de la propriété privée capitaliste de l’industrie aérienne et de la division du marché mondial en camps nationaux hostiles et concurrents. Ce système est incompatible avec des transport aérien sûrs, abordables et confortables pour toute la population.

Cette dernière catastrophe aérienne, tragique et évitable, est une nouvelle preuve de la nécessité urgente d’exproprier l’élite dirigeante de la grande entreprise. Il faut transformer les grandes sociétés en services publics exploités sous le contrôle démocratique de la classe ouvrière afin de satisfaire les besoins humains et non les profits privés.

(Article paru d’abord en anglais le 13 mars 2019)

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