Saïd Bouteflika et les anciens chefs du renseignement arrêtés en Algérie

Les manifestations de masse de travailleurs et d’étudiants contre le régime capitaliste algérien depuis février ont plongé la dictature militaire dans une profonde crise politique. Le haut commandement de l’armée, qui tente de canaliser les luttes en arrêtant les dirigeants les plus haïs des fractions de l’élite dirigeante qui rivalisent avec lui, vient d’inculper Saïd Bouteflika, le frère du président démissionnaire et les généraux Mohamed Mediène et Athmane Tartag.

Tous trois sont inculpés en vertu d'un article du Code de justice militaire relatif au « Complot contre une autorité militaire », et de dispositions du Code pénal relatives à « l'attentat » et au « complot » contre « l'autorité de l'Etat ». Lundi, le frère d'Abdelaziz Bouteflika et les deux ex-patrons des services de renseignements ont été escortés devant les grands escaliers du Tribunal militaire de Blida, au sud d'Alger par les services du renseignement militaire. Les Algériens ont pu le suivre en direct à la télévision.

Un communiqué du parquet militaire de dimanche précise que «Pour les besoins de l'enquête, le procureur militaire de la République près le Tribunal militaire de Blida a chargé un juge d'instruction militaire d'entamer la procédure d'instruction, et après mise en inculpation, ce dernier a rendu des mandats de placement en détention provisoire à l'encontre des trois prévenus».

Le général Mohamed Mediène, dit « Toufik », a dirigé, dès sa création en 1990 et durant 25 ans jusqu'à sa disgrâce en 2015, le tentaculaire Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS), statutairement rattaché à l'armée mais dans les faits « État dans l’État ».

Le général Athmane Tartag, alias « Bachir », ex-adjoint de « Toufik », lui a succédé quand le DRS a été démantelé en devenant Coordinateur des Services de Sécurité (CSS), chapeautant Sécurité intérieure, extérieure et Renseignement technique, passés sous tutelle de la présidence. De 1990 à 2001, Tartag a dirigé les installations de Ben Aknoun, anciennement connues sous le nom du Centre principal militaire d’investigation (CPMI). C’était l’un des principaux centres où on détenait, torturait et souvent fusillait des prisonniers, soupçonnés de politique islamiste ou d’opposition.

On le suspecte d’être personnellement impliqué dans le meurtre de Kasdi Merbah, vétéran du FLN, tué en 1993 alors qu’il tentait de négocier une trêve avec les forces islamistes. Le nom de Tartag est également apparu comme l’un des principaux contacts du renseignement français en Algérie.

En inculpant trois hauts responsables liés au clan Bouteflika, le Chef d’état-major des armées Gaïd Salah veut détourner la colère des travailleurs contre les crimes du régime capitaliste algérien, y compris durant la guerre civile de 1992-2002, sur le seul clan Bouteflika. Gaïd Salah se présente en garant d’une prétendue transition démocratique. En bloquant une lutte pour le pouvoir par la classe ouvrière, pourtant, cette transition ne ferait que maintenir la dictature militaire en place.

Les arrestations de hauts responsables n’ont pas calmé la colère des travailleurs et jeunes algériens. Lors des mobilisations les vendredi, les ouvriers scandent des slogans comme «Gaïd Salah, le peuple n’est pas dupe» et «Pas de répétition du scénario égyptien». Aujourd’hui, ils demandent de plus en plus l’éviction des fonctionnaires qui doivent superviser la transition pendant l’élection d’un nouveau président, dont le Président du Conseil de la nation (semblable au Sénat) Abdelkader Bensalah et le général Ahmed Gaïd Salah, chef militaire.

Les arrestations de hauts dirigeants soulèvent avant tout les crimes effroyables du régime algérien, qui a massacré environ 200.000 personnes pendant la guerre civile. Après l’arrestation du général Mohamed Mediène (Toufik), Nacer Boudiaf, le fils de Mohamed Boudiaf – le président assassiné au début de la guerre civile algérienne – a annoncé sur Facebook qu’il porterait plainte le 30 juin contre lui ainsi que contre l’ex-ministre de la Défense Nezzar pour assassinat.

Les travailleurs et les jeunes ne peuvent rien attendre d’un procès militaire contre les trois hauts responsables orchestrés par Gaïd Salah. Il fait lui aussi parti de l’appareil d’État qui est dans son ensemble impliqué dans les crimes de la guerre civile et de la dictature militaire depuis des décennies et incapable de satisfaire les droits démocratiques des travailleurs. Ces inculpations visent à sauver le régime militaire.

La seule force qui peut faire la lumière sur les crimes commis lors de la guerre civile algérienne, par les dirigeants algériens comme par les responsables français qui étaient leurs complices, est la classe ouvrière internationale. Seule la classe ouvrière, dans une lutte pour prendre le pouvoir et bâtir des États ouvriers, pourra mener des investigations légitimes et juger les responsables des crimes commis par le régime du FLN.

Ces arrestations reflètent non pas une quelconque velléité démocratique du régime militaire algérien, mais les âpres rivalités entre les factions de cet appareil sanguinaire. Un observateur explique à l’AFP que des manœuvres du clan Bouteflika cherchait à évincer Gaïd Salah: «Lors de ces réunions, il y a eu clairement une volonté de sauver le clan présidentiel, contesté par la rue, par la mise en place d’un comité de transition afin de destituer Gaïd Salah».

Selon les médias, Gaïd Salah aurait entretenu des relations tendues avec Saïd Bouteflika et avait aidé Abdelaziz Bouteflika à mettre «Toufik» sur la touche en 2015. Une possible alliance «Saïd-Toufik» semblait le mettre en danger. Enfin, l’observateur ajoute qu’«il s'agit d'une démonstration de force de la part de Gaïd Salah pour montrer qu'il maîtrise la situation (...) et qu'il est capable de changer les choses».

Gaïd Salah les avait accusés de s'être réunis, avant la démission du chef de l'Etat, pour déstabiliser l'armée. Avant les arrestations des trois hauts responsables, il avait déjà limogé le général de division Boura Rezigue Abdelkader, qui dirigeait la Direction de la sécurité intérieure (DSI), et le général Abdelhamid Bendaoud, qui dirigeait la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE).

L'ex-ministre de la Défense, le général-major à la retraite Khaled Nezzar a appuyé les accusations contre les trois inculpés, en expliquant que Saïd Bouteflika lui avait soi-disant demandé, le 30 mars, son avis sur une éventuelle destitution du chef d'état-major.

«Au son de sa voix, j'ai compris qu'il était paniqué. Il me dit que le vice-ministre de la Défense et chef d'état-major de l'ANP était en réunion avec des commandants des forces et qu'il pouvait agir contre Zéralda d'un instant à l'autre. Il voulait savoir s'il n'était pas temps de destituer le chef d'état-major», a dit l'ancien haut gradé.

Ces révélations soulignent que l’arrestation des hauts dirigeants sous l’égide de Gaïd Salah reflète les luttes fractionnelles d’un appareil d’État horrifié par le mouvement des travailleurs, et dont les diverses factions tentent à tout prix de s’assurer le contrôle de l’armée. Comme à l’époque de la guerre civile, elles visent toutes à préparer la répression des travailleurs, pour qui la voie pour aller de l’avant est une lutte socialiste pour la prise du pouvoir.

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