Espagne: pas de «ligne rouge» dans les pourparlers pour un gouvernement Parti socialiste-Podemos

Le dirigeant du Podemos, Pablo Iglesias, est en pourparlers avec le Premier ministre espagnol par intérim et leader du Parti socialiste espagnol (PSOE) Pedro Sánchez sur la possibilité d’un gouvernement de coalition après la victoire du PSOE aux élections législatives du 28 avril.

Avant ces pourparlers, le Conseil des citoyens de Podemos avait convenu qu’Iglesias ne devait imposer aucune «ligne rouge ou ultimatum» lors de ses entretiens avec Sánchez.

Ces derniers jours, Iglesias a redoublé d’efforts pour convaincre l’élite dirigeante espagnole que Podemos pouvait renforcer son programme austéritaire et militariste tout en bloquant une mobilisation indépendante de la classe ouvrière. Il essaie désespérément de convaincre Sánchez que Podemos est la meilleure option pour une coalition au lieu du parti de droite des Citoyens ou d’une tentative du PSOE de constituer un gouvernement minoritaire.

Bien que le PSOE ait remporté le plus grand nombre de sièges, ses 123 députés, dans un parlement de 350 membres, laissent Sánchez bien en deçà des 176 sièges nécessaires pour une majorité. Même avec les 42 sièges de l’alliance Podemos-Alliance gauche unie (Unidas-Podemos), un gouvernement PSOE/Unidas-Podemos aurait encore besoin du soutien de partis nationalistes régionaux, catalans ou basques, plus petits.

Iglesias a été le troisième dirigeant à rencontrer Sánchez cette semaine dans sa résidence officielle du Palais de la Moncloa à Madrid. Lundi, Sánchez avait rencontré Pablo Casado, chef du Parti populaire de droite (PP), et mardi Albert Rivera, chef du Parti des Citoyens.

Après plus de deux heures, Iglesias est sorti pour tenir une conférence de presse de cinq minutes. Il a déclaré que la réunion s’était «très bien passée»: «Nous nous sommes mis d’accord sur le fait que nous allions travailler pour parvenir à un accord… Les forces progressistes doivent unir leurs forces pour affronter l’avenir de l’Espagne».

Iglesias a souligné qu’au cours de la collaboration parlementaire qui a permis de maintenir à flot pendant dix mois le gouvernement minoritaire du PSOE, les deux partis avaient pu «établir une relation de confiance» et se traiter «avec franchise et empathie».

Toute cette franchise ne vaut que pour les couloirs du pouvoir. Iglesias a clairement indiqué que les négociations auraient lieu dans les coulisses entre les porte-parole parlementaires, Adriana Lastra pour le PSOE, et Irene Montero pour Podemos.

Comme le WSWS en a averti à maintes reprises, l’affirmation de Podemos que sa participation à un gouvernement dirigé par le PSOE pousserait le gouvernement à gauche est un mensonge. Le PSOE est pour la bourgeoisie espagnole l’instrument privilégié de pouvoir depuis la fin de la dictature fasciste en 1978. Il a supervisé l’adhésion de l’Espagne à l’OTAN et à l’Union européenne. Il a mis en œuvre les premières politiques de désindustrialisation, les privatisations de masse et les attaques contre les droits sociaux et de retraite.

Après la crise économique mondiale de 2008, c’est un gouvernement PSOE qui a pris les premières mesures brutales d’austérité, notamment de réductions des salaires et des services sociaux et de réforme du travail. Il a modifié l’article 135 de la Constitution pour donner la priorité au remboursement de la dette sur les dépenses sociales, en inscrivant l’austérité dans la loi.

Durant les dix derniers mois, le PSOE a dirigé l’Espagne en tant que gouvernement minoritaire comptant sur le soutien de Podemos, de la Gauche unitaire et des partis nationalistes catalans. Il a fait aboutir des budgets d’austérité pour 2018 et 2019 qui transféraient des milliards d’euros à l’armée et a soutenu la persécution de politiciens nationalistes catalans suite à la répression policière brutale des électeurs au référendum sur l’indépendance, en 2017.

Ayant pris la mesure de Podemos, Sánchez a déjà indiqué que le PSOE poursuivrait l’austérité. La semaine dernière, le parti a envoyé à Bruxelles son document de politique générale «Programme national de réformes». Celui-ci clame que l’« absence de tensions inflationnistes et salariales» et «la modération des dépenses publiques» a permis (grâce à la démobilisation de la classe ouvrière due aux soins de Podemos et de la Gauche unitaire) une « réduction supplémentaire du déficit ou de la dette publique» .

«L’effort d’assainissement budgétaire», poursuit le document, sera maintenu jusqu’en 2022 par «un ensemble de mesures fiscales» qui vise à ramener le ratio de la dette publique par rapport au PIB de 97 pour cent actuellement à 88,7 pour cent en 2022, ce qui ne peut signifier que des dizaines de milliards d’euros de coupes touchant la classe ouvrière.

Le PSOE est catégorique: il n’inversera aucune des réformes sociales antérieures qui ont dévasté la classe ouvrière et il poursuivra la mise en œuvre d’un nouveau code du travail pour faciliter «la nécessaire compétitivité des entreprises». Il veut mettre en œuvre l’accord autrichien «Backpack » conclu par la grande entreprise et les syndicats, où les travailleurs sont obligés de cotiser à un «fonds d’épargne personnel» en cas de licenciement plutôt que de recevoir une indemnité de licenciement d’un employeur.

«Ce programme de réformes a été préparé en tenant compte notamment des recommandations spécifiques à l’Espagne du Conseil européen, formulées en juillet 2018», conclut le ‘Programme national de réformes’.

Iglesias s’est vu critiquer pour la forme par la faction de Podemos qui comprend les Anticapitalistes du Secrétariat unifié pabliste. Cette organisation, menée par Michel Pablo et Ernest Mandel a scissionné de la Quatrième Internationale en 1953. Rejetant l’analyse par Trotsky de la bureaucratie soviétique comme une force contre-révolutionnaire, elle a abandonné la lutte pour construire des partis révolutionnaires indépendants, devenant des groupes exerçant une pression de gauche sur les partis réformistes et staliniens de masse existants. Agissant comme des intermédiaires pour la classe moyenne supérieure, les dirigeants du Secrétariat unifié ont acquis des postes confortables et prestigieux dans l’appareil d’État, les bureaucraties syndicales et les universités.

À chaque bond à droite de Podemos, les Anticapitalistes répandent l’illusion que cette formation peut être «revigorée» par la «mobilisation sociale» et retournent à son document fondateur (largement rédigé par eux-mêmes), qui promet l’annulation de la dette, la nationalisation et le contrôle de l’organisation par les membres.

Dans le dernier numéro du magazine pabliste Viento Sur, Jaime Pastor, rédacteur en chef et leader Anticapitaliste, prévient qu’une coalition avec le PSOE ferait de Podemos «un fidèle serviteur des diktats de [la principale bourse espagnole] Ibex 35 et de la troïka néolibérale».

Craignant que Podemos, qui a perdu plus d’un tiers de ses sièges de députés à l’élection, ne soit encore plus démasqué, Pastor plaide pour que Podemos se «limite à soutenir l’investiture de Sanchez au parlement et à réaffirmer l’autonomie stratégique d’un projet ouvertement prêt à affronter la droite».

Pastor ajoute, une fois de plus, que «dès le premier jour» Podemos devrait «pousser le PSOE à travers des mobilisations sociales et l’autonomisation populaire autour de revendications sociales, féministes, environnementales, antiracistes et la défense des droits».

La leader de Podemos en Andalousie, Teresa Rodríguez, a déjà énoncé le plan lamentable de Pastor au Conseil des citoyens, à la veille de la réunion entre Iglesias et Sánchez, et consistant à faire pression sur Podemos pour qu’il fasse pression sur le PSOE. Elle a déclaré que Podemos ne devait pas faire partie du gouvernement et devait plutôt essayer d’arriver à un «accord à la portugaise».

Dans le modèle portugais, l’allié de Podemos, le Bloc de gauche (Bloco de Esquerda, BE) et le Parti communiste portugais (PCP) soutiennent un gouvernement minoritaire du Parti socialiste d’António Costa sans former ouvertement une coalition avec lui. Le rôle du BE et du PCP a été de fournir une couverture au gouvernement PS pendant qu’il mettait en œuvre un programme d’austérité prétendument ‘légère’. Ce programme distribua des milliards aux banques privées en faillite, encourageant la spéculation immobilière dans les centres-villes. Cela conduisit au nettoyage social dans les villes et à des investissement public parmi les plus bas de l’histoire.

Costa a renié sa promesse électorale d’inverser la baisse de salaires. Il a maintenu les réformes sociales réactionnaires du gouvernement précédent. Il a utilisé les lois d’urgence pour limiter l’action syndicale et il prépare actuellement des lois pour restreindre le droit de grève.

C’est la réponse antidémocratique et autoritaire de l’élite dirigeante portugaise à la plus grande vague de protestations et de grèves depuis la Révolution de 1974.

Podemos jouera un rôle similaire à celui du BE, qu’il soit en coalition avec le PSOE ou qu’il le soutienne de l’extérieur. Déjà, à la veille des élections locales et régionales du 26 mai, l’une des principales revendications de la maire de Barcelone Ada Colau, soutenue par Podemos, est de «prendre des mesures urgentes pour garantir» la sécurité «conformément aux besoins de la capitale de la Catalogne» par un renforcement massif de la police.

(Article paru d’abord en anglais le 11 mai 2019)

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