«Ce gouvernement veut clairement s’en prendre aux journalistes»

À l’approche d’une nouvelle assignation à comparaître devant le grand jury, Chelsea Manning réitère son refus de témoigner contre Julian Assange

La lanceuse d'alerte et prisonnière politique Chelsea Manning a pris la parole dimanche pour défendre son refus de principe de témoigner devant un grand jury établi pour inculper le journaliste et fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, et de monter une machination contre lui.

Manning a passé 62 jours dans une prison d’Alexandrie, en Virginie, dont un mois à l’isolement. Un juge fédéral l’avait trouvée coupable d’outrage au tribunal pour avoir refusé de témoigner devant le grand jury chargé de poursuivre Assange.

Malgré plusieurs recours juridiques, c’était seulement après l’expiration du mandat du grand jury d’Alexandrie qu’elle a pu retrouver sa liberté jeudi matin. Mais, presque simultanément, elle a reçu une assignation à comparaître devant un nouveau grand jury. C’est les mêmes questions sur ses interactions présumées avec WikiLeaks que cherche à poser le nouveau grand jury. Manning pourrait être de retour en prison dès jeudi.

L’ancienne spécialiste de l’armée a déjà purgé sept ans d’une peine de 35 ans dans une prison militaire, dont un an en isolement cellulaire. Elle a été condamnée pour avoir divulgué à WikiLeaks des preuves de crimes de guerre américains en Irak et en Afghanistan. Le président Barack Obama a commué la peine de Manning le dernier jour de son mandat sans lui accorder le pardon complet qui aurait effacé son casier judiciaire.

S’exprimant dans l’émission Reliable Sources de CNN trois jours seulement après sa libération, Manning a clairement indiqué qu’elle résisterait à la nouvelle assignation du grand jury, même au prix d’un renvoi en prison.

«Je vais refuser», a expliqué Manning lorsque l’animateur Brian Stelter lui a demandé si elle se conformerait à la nouvelle assignation. «Je pense que ce grand jury est inadapté, je pense que tous les grands jurys sont inadaptés. Je n’aime pas le secret qu'il y a.»

Manning a expliqué qu’elle espérait que l’appel de son avocat pour faire annuler la citation à comparaître réussirait et qu’elle n’aurait pas à retourner en prison. «Nous allons certainement soulever toutes les contestations judiciaires», a-t-elle dit. «Nous avons un dossier très solide». Manning a déjà répondu à toutes les questions soulevées par le grand jury lors de son témoignage au procès en 2013.

Bien que Manning n’ait pas nommément mentionné Assange, elle a clairement indiqué qu’elle prenait position pour le protéger, lui et d’autres journalistes, des persécutions de l’Administration Trump.

«Ce gouvernement veut clairement s’en prendre aux journalistes», a déclaré Manning à Stelter. «Je pense que si l’Administration parvient à ses fins comme elle l’a dit dans des déclarations répétées comme "les médias sont l’ennemi du peuple" — vous savez. Alors je pense que nous allons voir les journalistes de la sécurité nationale et beaucoup de choses perturbatrices dans la presse pour cette Administration — nous allons voir probablement des mises en accusation.»

«Chaque fois qu’un journaliste fait un faux pas, je pense maintenant qu’il est averti que le FBI et le ministère de la justice vont s’en prendre à lui au nom du gouvernement», a ajouté Manning.

Stelter a semblé stupéfait par l’apparition de quelqu’un dans son programme qui est prêt à sacrifier son confort personnel pour des principes politiques. «On parle tout le temps de politiciens sans principes. Et ce que vous faites est un acte de principe. Que les téléspectateurs soient d’accord ou non, je peux le constater», a-t-il conclu.

Assange est actuellement détenu à la prison de Belmarsh, un établissement de haute sécurité de Londres généralement réservé aux personnes reconnues coupables de meurtre et de terrorisme. Il était condamné à 50 semaines de prison à la suite d’une accusation de non-respect des conditions de la liberté sous caution. La liberté sous caution découlait d’une mise en examen pour de fausses allégations d’agression sexuelle en Suède. La justice suédoise a mis fin à l’enquête sur ces allégations il y a deux ans sans qu’aucune accusation ne soit portée.

Washington tente de faire extrader Assange vers les États-Unis, où il fera face à une accusation initiale de piratage informatique passible d’une peine de cinq ans. D’autres accusations devraient être levées à son arrivée aux États-Unis, notamment en vertu de la loi sur l’espionnage, qui prévoit la possibilité de la peine de mort.

Le 11 avril, le fondateur de WikiLeaks une brigade de police britannique l’a extrait de l’ambassade de l’Équateur à Londres. Il restait dans l’ambassade depuis qu’il a obtenu l’asile politique du gouvernement équatorien en 2012. L’enlèvement a eu lieu après que l’actuel président de l’Équateur, Lénine Moreno, eut illégalement retiré à Assange son statut de réfugié.

El Pais a rapporté dimanche que l’Équateur a accepté de remettre aux procureurs américains tous les documents, téléphones portables, fichiers informatiques, ordinateurs, disques durs et autres appareils laissés par Assange à l’ambassade.

Selon le rapport, la coopération entre les États-Unis et l’Équateur pour piéger Assange a commencé il y a plusieurs mois lorsque Moreno a accepté d’autoriser les enquêteurs américains à recueillir les témoignages. Dans les derniers mois de son asile à l’ambassade, ce dernier a placé Assange sous surveillance électronique constante. Ses avocats s’attendent à ce que l’ambassade ait remis les enregistrements de surveillance et d’autres documents aux États-Unis afin de saper ses efforts de défense.

Jeudi, Manning sortait de prison. Le jour même, le ministère américain de la justice a arrêté et inculpé l’ancien analyste du renseignement de la NSA Daniel Hale en vertu de la loi sur l’espionnage. On l’avait arrêté pour avoir divulgué des informations sur le programme d’assassinat du gouvernement Obama par drone au site Internet Intercept.

Hale est la quatrième personne à être poursuivie en vertu de la Loi sur l’espionnage par le ministère de la Justice de l’Administration Trump. Cependant, l’effort pour sévir contre ceux qui exposent la vérité sur les opérations de l’impérialisme américain est un effort bipartite. Sous Obama, le gouvernement a porté des accusations en vertu de la Loi sur l’espionnage contre sept personnes, soit plus que tous les gouvernements précédents réunis. Parmi les personnes inculpées figuraient Edward Snowden, dénonciateur de la NSA, et John Kiriakou, ancien analyste de la CIA, qui avait dénoncé les tortures infligées aux détenus par le biais des simulacres de noyade (waterboarding).

(Article paru d’abord en anglais le 13 mai 2019)

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