Le syndicat sabote la grève de 2000 débardeurs à Vancouver en Colombie-Britannique

Environ 2000 débardeurs ont commencé à exercer des moyens de pression au travail dans les ports de Vancouver et de Delta, en Colombie-Britannique, lundi à 7 h. Les travailleurs, membres de l’International Longshore and Warehouse Union (ILWU), résistent à l’accélération des cadences au travail et aux efforts de la direction pour atomiser les opérations à DeltaPort et Vanterm, qui pourraient coûter leur emploi à des centaines de personnes.

Mais avant même que la grève ne puisse commencer, les dirigeants de l’ILWU s’efforçaient déjà de la saboter. Malgré le fait que les pourparlers entre le syndicat et la BC Maritime Employers Association n’ont montré aucun signe de progrès en fin de semaine et qu’ils ont finalement échoué à 4 h lundi matin, ILWU Canada a publié une déclaration pathétique dimanche après-midi déclarant qu’aucune véritable grève n’aurait lieu. Le président de l’ILWU Canada, Robert Ashton, a plutôt déclaré que des «moyens de pression au travail limités et ciblés» seraient menés, sans toutefois que des piquets de grève ne soient dressés dans aucun des ports.

En violation flagrante du mandat de grève du 10 mai, alors que plus de 98 % des 6000 membres du syndicat ont voté en faveur de l’autorisation d’une grève en cas d’échec des pourparlers, Ashton a déclaré sans vergogne: «Notre objectif est de maintenir les ports ouverts avec un minimum de perturbations dans le commerce.» En fin de compte, aucune grève, même symbolique n’a été organisée. L’ILWU a plutôt ordonné à ses membres de tout simplement s’abstenir de faire des heures supplémentaires.

Cet avilissement est une autre preuve de la faillite totale des syndicats. Dans des conditions où 2000 débardeurs ont le pouvoir de perturber des opérations portuaires contribuant à 5 milliards de dollars de l’économie canadienne chaque jour, l’ILWU empêche toute action efficace de ses membres.

Une grève des débardeurs à Vancouver aurait une incidence sur les travailleurs d’autres ports et d’autres sections de travailleurs confrontés à des attaques similaires, ce qui renforcerait incommensurablement les travailleurs portuaires dans leur lutte. Au lieu de cela, Ashton et ses collègues bureaucrates de l’ILWU mendient auprès de la direction, exhortant les travailleurs à placer leur confiance dans le «processus de négociation», autrement dit à capituler devant les revendications de la direction.

Les actions de l’ILWU ont enhardi l’association patronale, qui a déjà signalé qu’elle veut que le gouvernement fédéral intervienne et criminalise la grève. Jeff Scott, président de la BC Maritime Employers Association, a déclaré: «Nous sommes profondément préoccupés par les répercussions économiques qu’une grève éventuelle pourrait avoir sur la sécurité économique du Canada et l’économie canadienne dans son ensemble.»

Les menaces à la «sécurité économique» du Canada sont parmi les justifications privilégiées des gouvernements fédéral et provinciaux pour interdire les grèves. Au cours des dernières années, des douzaines de lois antigrève ont été appliquées par tous les partis au pouvoir partout au Canada, des néo-démocrates alignés sur les syndicats aux libéraux, en passant par les conservateurs et le Parti Québécois. Dans le cas le plus récent, les libéraux de Trudeau ont interdit la grève de 50.000 postiers en novembre dernier alors que ceux-ci cherchaient à obtenir une sécurité d’emploi, s’opposaient à l’augmentation de leur charge de travail et exigeaient de meilleurs salaires. La criminalisation de la grève par les libéraux a été facilitée par le syndicat des postiers qui, à l’instar de l’ILWU, a bloqué le lancement d’une grève générale en faveur de la tenue de petites grèves régionales rotatives inoffensives.

Le refus de l’ILWU d’autoriser même la tenue d’une grève symbolique souligne sa détermination consciente à empêcher la lutte des débardeurs de se transformer en conflit politique contre les libéraux de Trudeau. Avec les élections fédérales prévues pour l’automne, l’ILWU veut éviter un affrontement qui pourrait montrer davantage ce que sont les libéraux, soit un outil de droite des grandes entreprises. Après avoir appuyé l’élection du gouvernement Trudeau en 2015 et l’adoption subséquente par les libéraux des politiques commerciales nationalistes et protectionnistes de l’administration Trump aux États-Unis, les syndicats se préparent une fois de plus à faire campagne pour un vote libéral en octobre.

Lundi, un rapport révélait qu’Engage Canada, un groupe de façade pour les syndicats, a publié sa première série de publicités ciblant le chef conservateur Andrew Scheer pour ses politiques anti-ouvrières, tout en ne disant absolument rien contre le bilan droitiste de Trudeau, notamment l’interdiction de la grève des postiers l’an dernier ou la hausse énorme des dépenses militaires.

L’ILWU craint à juste titre qu’une grève des débardeurs, qui impliquerait le blocage de tout le trafic à l’entrée et à la sortie du port ainsi que des appels à une lutte commune avec d’autres sections de la classe ouvrière, ne gagne un large soutien. L’augmentation de la charge de travail attribuable aux plans d’expansion axés sur la rentabilité de la direction, la demande constante de processus plus «concurrentiels» et la menace de pertes d’emplois en raison des changements technologiques sont des questions auxquelles des millions de travailleurs au Canada et à l’étranger peuvent s’identifier.

Le fait même qu’une grève des débardeurs aurait un vaste écho est une raison de plus pour l’ILWU de la bloquer. Comme tous les syndicats dans le monde entier, l’ILWU est terrifiée à l’idée qu’une véritable lutte des débardeurs puisse déclencher un mouvement plus vaste des travailleurs qui échapperait rapidement à son contrôle.

Les débardeurs de Vancouver sont sans contrat depuis plus d’un an après l’expiration, en mars 2018, de leur convention précédente de huit ans. L’an dernier, l’achèvement d’améliorations ferroviaires a permis d’accroître de 33 p. 100 la capacité de chargement des conteneurs à Deltaport et de 50 p. 100 la capacité de déplacement des wagons de conteneurs. Global Container Terminals (GCT), qui exploite les deux ports touchés par les moyens de pression au travail, prévoit construire un quatrième poste d’amarrage à DeltaPort pour y accroître les capacités d’amarrage.

À Vanterm, qui est le troisième plus grand port d’Amérique du Nord en tonnes de marchandises traitées et le plus grand port du Canada, GCT a mené un programme de développement de 2 milliards de dollars au cours des 10 dernières années pour accroître considérablement la capacité du port.

Le sabotage par l’ILWU de la lutte des travailleurs du port de Vancouver perpétue une série de trahisons. Le long de la côte ouest de l’Amérique du Nord, l’ILWU a présidé à la signature de contrats de concession les uns après les autres dans les ports des États-Unis et du Canada. En raison de l’accélération des cadences et de l’utilisation des innovations technologiques pour intensifier l’exploitation de la main-d’œuvre convenue par l’ILWU, neuf débardeurs sont morts dans le seul port de Los Angeles depuis 2008 (voir l’article Death of a Los Angeles dockworker).

En raison de leur rôle crucial dans le réseau mondial du commerce et de la production, les débardeurs ont un énorme pouvoir social. Une grève déterminée pour s’opposer aux revendications de la direction démontrerait rapidement que la classe ouvrière a le pouvoir social de mettre un terme aux opérations mondiales d’entreprises de plusieurs milliards de dollars.

Les événements des derniers jours à Vancouver soulignent une fois de plus qu’une telle lutte ne peut être menée qu’indépendamment des syndicats pro-entreprises et en opposition à eux. Pour mener une grève sérieuse, les débardeurs doivent enlever la direction de la lutte des mains des bureaucrates de l’ILWU en formant leurs propres comités de grève de base. Ces comités doivent immédiatement arrêter tout travail dans les ports et établir des lignes de piquetage pour bloquer la circulation des marchandises. Ils doivent également demander l’aide des débardeurs des autres ports du Canada et de l’étranger, ainsi que des autres sections des travailleurs qui font face aux mêmes attaques des grandes entreprises et de leurs bailleurs de fonds gouvernementaux.

Cette lutte est essentiellement une lutte politique. Les travailleurs ne sont pas seulement confrontés à un groupe d’employeurs intransigeants, mais à toute une classe sociale de milliardaires capitalistes. La trahison de la lutte des débardeurs par l’ILWU est le résultat de son programme nationaliste et procapitaliste et de son alliance politique étroite avec le gouvernement libéral.

Pour s’opposer à cela, les travailleurs doivent mettre de l’avant leur propre programme politique indépendant. Au cœur de cette lutte se trouve la lutte pour l’établissement d’un gouvernement ouvrier engagé à utiliser les vastes richesses accumulées par les géants du transport maritime comme GCT et les autres grandes entreprises pour combler les besoins sociaux de la grande majorité plutôt que les profits d’une minuscule élite super-riche. Cette lutte nécessite de placer les monopoles portuaires et maritimes sous la propriété et le contrôle démocratiques de la classe ouvrière.

(Article paru en anglais le 28 mai 2019)

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