Fiat-Chrysler annonce une fusion et menace un bain de sang des emplois

Le conglomérat automobile italo-américain Fiat-Chrysler (FCA) a annoncé hier dans un communiqué de presse un projet de fusion avec le constructeur automobile français Renault. Si le conseil d’administration de Renault l’accepte, la fusion créerait le troisième constructeur automobile mondial en termes de ventes unitaires.

L’opération proposée créerait une entité combinée dont les actionnaires de chaque société détiendraient 50 pour cent du capital. L’accord est en fait une fusion d’égaux, bien que l’annonce de la FCA ait refusé d’utiliser ce terme. C’était potentiellement par crainte que l’échec de la «fusion d’égaux» de Chrysler avec le constructeur automobile allemand Daimler en 1998 ne fasse peur aux investisseurs. Les actionnaires de la FCA encaisseraient immédiatement un dividende compensatoire de 2,8 milliards de dollars afin de compenser la plus grande capitalisation boursière de la FCA, avec un dividende potentiel de 280 millions de dollars à venir.

Selon le communiqué de presse, l’opération permettrait à la nouvelle société d’économiser 5,6 milliards de dollars en «synergies annuelles estimées». Cela serait réalisé principalement grâce «à la convergence des plates-formes, à la consolidation des investissements dans la chaîne cinématique et l’électrification et aux avantages d’échelle». Un des éléments les plus important sera une réduction du nombre de types de véhicules et moteurs proposés par la nouvelle société.

L’opération n’a pas encore été acceptée par le conseil d’administration de Renault et doit également franchir les obstacles réglementaires et gouvernementaux, y compris le soutien du gouvernement français, dont la participation de 15 pour cent dans Renault est assortie de droits de vote double (qui ne seraient pas repris dans les conditions de la fusion).

Cependant, les premières indications du gouvernement Macron étaient positives. Une porte-parole du gouvernement a déclaré que l’accord serait «bon pour l’Europe» en créant un «géant industriel européen». Ceci implique que le gouvernement considère la fusion comme un moyen possible de renforcer l’industrie automobile européenne contre ses rivaux nord-américains et asiatiques.

Le communiqué de presse affirme que des économies de coûts seront réalisées sans fermeture d’usine. Ces assurances ne sont tout simplement pas crédibles. Les «synergies» vantées de la fusion ne peuvent se concrétiser que par un bain de sang de l’emploi.

L'une des zones les plus susceptibles d'être confrontées à cette situation serait les activités de la FCA en Europe, qui représentent une petite fraction de ses bénéfices mondiaux, mais un tiers de ses effectifs. Beaucoup de ses usines européennes fonctionnent à moins de 50 pour cent de leur capacité, et les effectifs de l'usine Mirafiori de Turin, en Italie, sont actuellement réduits à une moyenne de 7 jours ouvrables par mois, selon Automotive News.

Trois ans après le lancement d’un véhicule métis de luxe, la Levante, à l’usine, les travailleurs doivent attendre longtemps entre deux appels pour faire une journée de travail supplémentaire pour compléter leur salaire net d’environ 1100 euros (1230 dollars) par mois. «Tous les trois ou quatre ans, nous espérons qu’un nouveau modèle nous aidera à tourner la page», a déclaré Giovanna Treccalli, 54 ans, travailleuse à la chaîne de montage chez Fiat depuis 1987, à Automotive News. «Mais après une période d’essor, nous sommes réduits aux congés forcés ou en contrat de solidarité et notre salaire diminue d’un tiers», dit-elle.

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Travailleurs quittant leur quart de travail à l’usine de Belvidere

Deux ans après la reprise des activités de Chrysler en Amérique du Nord et à l’international, Fiat a fermé son usine de Termini Imerese en Sicile, éliminant 1600 emplois en 2011. L’année suivante, le patron de Fiat, Sergio Marchionne, abolit l’accord national sur le travail, imposant des accords locaux dans ses six usines restantes en Italie. Il a déclaré que l’entreprise allait «aligner le système de production italien sur les normes requises par la concurrence internationale».

Une fusion avec Renault, qui réalise 50 pour cent de son activité en Europe, est un moyen évident par lequel FCA pourrait réaliser des économies de coûts sur le marché européen moins rentable grâce à des fermetures d'usines et autres méthodes de «consolidation».

L’accord proposé intervient moins de quatre mois avant l’expiration du contrat actuel de United Auto Workers, qui couvre plus de 150.000 travailleurs FCA, Ford et GM aux États-Unis. Les hauts fonctionnaires de l’UAW ont reçu plus d’un million de dollars en pots-de-vin de la part de la FCA pour avoir signé des accords pro-entreprise. Les entreprises et l’UAW prévoient utiliser la menace massive qui pèse sur l’emploi pour contrer la rébellion croissante des travailleurs de l’automobile et obtenir des concessions salariales et sociales plus importantes dans les prochains contrats.

La proposition de fusion a lieu au milieu du plus grand nombre de mises à pied dans l’industrie automobile depuis la crise financière de 2009. Les fabricants américains de pièces d’automobile et d’assemblage ont annoncé plus de 20.000 suppressions d’emplois au cours des quatre premiers mois de cette année, soit trois fois plus que l’an dernier à la même époque. La FCA elle-même a déjà effectué des milliers de mises à pied en Amérique du Nord. Cela comprend l’élimination d’un quart de travail de près de 1400 travailleurs à son usine de Belvidere, annoncée via appels téléphoniques automatisés.

Ford est en train de supprimer environ 7.000 postes de salariés dans le cadre de son programme de restructuration mondial. Ce programme coûte 11 milliards de dollars, mais Wall Street exige que l’entreprise supprime 23.000 emplois salariés supplémentaires. Pendant ce temps, GM ferme cinq usines à travers l’Amérique du Nord et élimine 14.000 emplois salariés et de production en mettant fin à la production de modèles moins rentables.

Au cours des dernières années, la FCA a fortement consolidé sa gamme de produits autour de véhicules plus chers et plus rentables, en particulier les Jeeps et ses camionnettes Dodge Ram. L’entreprise a entièrement éliminé les berlines de son offre, Ford et GM allant dans la même direction, abandonnant ainsi ce segment du marché aux concurrents japonais et européens.

La FCA a annoncé qu’elle construira une nouvelle usine Jeep à Detroit. Également, elle prévoit d’embaucher 1.200 nouveaux travailleurs à son usine de Jefferson North. L’accord était signné en échange de 300 millions de dollars en incitatifs de la part du gouvernement municipal. Une partie importante des emplois «créés» par ce nouvel investissement ira à des travailleurs licenciés de Belvidere et d’autres usines. Selon le Detroit Free Press, plus de 80 pour cent des nouveaux emplois créés dans le cadre de ce programme commenceront à 17 dollars l’heure. C’est à peine plus que le seuil de pauvreté pour une famille de quatre personnes. Un grand nombre d’entre eux seront également des intérimaires à temps partiel (TPT) qui n’ont pas de droits contractuels, mais qui paient quand même des cotisations syndicales.

La proposition de fusion s’inscrit dans le contexte de la fin d’une décennie de profits records qui a suivi la faillite de GM et Chrysler en 2009 et le renflouement subséquent de l’Administration Obama. Le renflouement a créé les conditions d’une hausse des profits en appliquant des concessions sans précédent. Notamment FCA a divisé les salaires des nouveaux employés en deux et a mis en place d’un système à deux niveaux sanctionné par les UAW dont les ouvriers détestent.

L’un des principaux facteurs de la détérioration des perspectives est la forte baisse de la croissance du marché automobile chinois. Dans la période précédente, son expansion rapide avait été l’un des principaux moteurs de la croissance de l’industrie automobile mondiale. Les mesures de guerre commerciale de l’Administration Trump ont exacerbé ce ralentissement des ventes.

Une autre raison est l’augmentation des coûts de recherche et de développement associés aux véhicules électriques et aux voitures à conduit automatique. Ces nouvelles voitures devraient transformer l’industrie. Toutefois, elles sont encore loin d’être économiquement viables pour être produites en série. Cet aspect de l’entreprise a déjà donné lieu à de nombreux partenariats et coentreprises qui visent à limiter les coûts, comme l’entente récemment annoncée entre Ford et Volkswagen pour le développement de véhicules de prochaine génération.

Le projet de fusion proposé par la FCA et Renault s’inscrit dans le cadre d’une vague de fusions et d’acquisitions. Des initiés de l’industrie comme feu Sergio Marchionne, patron de la FCA, ont promu ces fusions depuis longtemps. Pour eux, c’était un moyen d’accroître les profits de l’automobile dans une période récessionniste sur le marché mondial, tout en réduisant les «capacités excédentaires» et les «licenciements», euphémismes pour fermer des usines et réduire des emplois.

Dans un article récent du Washington Post par l’écrivain David Fickling de Bloomberg a résumé la pensée des états majeurs de l’automobile. Il écrit: «L’industrie automobile est devenue dangereusement compétitive», écrit-il. «Au début du siècle [les quatre plus grandes entreprises] représentaient plus des deux tiers du chiffre d’affaires de l’industrie […] en 2017, ce chiffre était tombé à un peu plus d’un tiers.»

La prochaine vague de fusions et acquisitions est l’expression prédatrice de la logique même du développement économique. L’industrie automobile mondiale emploie des dizaines de millions de travailleurs impliqués dans tous les aspects de la conception, du développement et de la fabrication d’automobiles. La division de cette industrie entre des sociétés privées, chacune se livrant une concurrence féroce pour leur part de marché, leur financement et leurs profits, est fondamentalement irrationnelle. Sous le capitalisme, cependant, cette contradiction est résolue par une attaque sauvage contre les emplois et le niveau de vie des travailleurs afin de satisfaire les demandes de Wall Street et d’autres institutions financières.

L’autre solution est de forger l’unité internationale de la classe ouvrière pour lutter pour exproprier les géants de l’automobile et les banques. Cela pour organiser la transformation de l’industrie automobile en un service public. Elle devient propriété collective dont la classe ouvrière contrôle démocratiquement, dans le cadre d’une économie socialiste mondiale à planification scientifique.

(Article paru d’abord en anglais le 28 mai 2019)

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