Élections européennes: forte opposition au gouvernement de la ‘grande coalition’ en Allemagne

De nombreux électeurs allemands ont utilisé leur bulletin de vote pour exprimer leur rejet des politiques droitières de la grande coalition. Mais la colère face à des conditions de travail insupportables, à l'augmentation des loyers et à la montée du militarisme n'ont pu trouver aucune expression politique consciente dans le cadre de l’élection européenne. Elle a au contraire eu pour résultat un renforcement des Verts et d'un certain nombre de petits partis.

Les chrétiens-démocrates (CDU) et les sociaux-démocrates (SPD) ont perdu ensemble 18 pour cent de voix, pour les deux partis le pire résultat de leur histoire. Par rapport aux élections européennes d'il y a cinq ans, la CDU et sa branche bavaroise CSU (Union chrétienne-sociale) ont perdu 6,4 points de pourcentage, tombant à 28,9 pour cent. Le SPD a perdu 11,5 points de pourcentage, obtenant seulement 15,8 pour cent. Par rapport aux élections fédérales de 2017, le SPD perd 3,6 millions d’électeurs, tandis que la CDU/CSU en perd 4,5 millions.

La mobilisation contre la politique de droite de la ‘grande coalition’ s'est également traduite par une augmentation de 13,3 pour cent de la participation, qui fut de 61,4 pour cent.

Chez les jeunes électeurs, l'opposition au gouvernement fut encore plus prononcée. Dans le groupe des 18-29 ans, le SPD ne reçut que 9 pour cent des voix et la CDU/CSU 13 pour cent. Et même parmi les 30 à 44 ans le SPD n'obtint que 12 pour cent des voix.

Le parti La Gauche (Die Linke) n'a en rien profité de l'opposition au gouvernement et s’est vu

au contraire puni. Die Linke n'est pas perçu comme une force d'opposition mais comme une partie de l'establishment politique. Il a obtenu 5,5 pour cent des voix, soit près de 2 pour cent de moins qu’aux dernières élections européennes et 3,7 pour cent de moins qu’aux dernières élections fédérales.

Dans les régions où Die Linke est au gouvernement, comme en Thuringe, où le ministre-président, Bodo Ramelow dirige un gouvernement engagé dans des politiques pro-capitalistes et anti-travailleurs, la perte de soutien a été, à moins 8,7 pour cent, encore plus forte.

L'élection du Land de Brême, tenue en même temps que l’élection européenne, a produit une image similaire. Au cours des 74 dernières années, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le SPD détenait le pouvoir à Brême et y était le plus grand parti. Mais le SPD, avec seulement 23,9 pour cent a perdu 8,2 pour cent des voix dans son bastion, arrivant en deuxième place derrière la CDU. C'est le prix d'un programme d'austérité impitoyable imposé par le SPD en collaboration avec les Verts au cours des quatre dernières années.

Le vote contre la grande coalition était également dirigé contre le parti d’extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD). Ce parti a réussi à améliorer son score par rapport aux 7,1 pour cent de sa première élection européenne en 2014, obtenant 11 pour cent des voix. Mais il a obtenu 1,7 million de voix de moins qu'aux élections fédérales de 2017 (12,7 pour cent). Et ce, malgré que les extrémistes de droite aient été hyper-médiatisés et que les médias aient prédit des gains massifs en leur faveur.

Les principaux bénéficiaires du vote anti-grande coalition ont été les Verts qui ont presque doublé leur part du vote, obtenant 20,5 pour cent. Parmi les électeurs de moins de 30 ans, les Verts ont remporté 29 pour cent des suffrages. Dans ce groupe d'âge, une série de petits partis non représentés au Parlement fédéral ont obtenu 27 pour cent des voix. Dans l'ensemble, ces partis ont remporté 13 pour cent du vote. Par exemple, le parti satirique Die Partei (Le Parti) a remporté deux sièges. Pendant la campagne électorale, il a surtout critiqué la politique en matière de réfugiés et le réarmement militaire de l'UE.

Beaucoup ont voté pour les Verts parce que ceux-ci mettaient l’accent sur le changement climatique et étaient perçus comme une alternative de gauche. Mais c'est là une illusion. Ces dernières années, les Verts sont devenus le parti du militarisme allemand ; ils ont soutenu toutes les interventions militaires à l’étranger et exigé l’augmentation des dépenses militaires. Ils sont présents aux gouvernements de neuf des 16 Lands allemands, et un politicien Vert est ministre-président du Bade-Wurtemberg. Leur bilan, où qu'ils soient au gouvernement, montre qu'ils sont tout aussi déterminés que les autres partis à la réduction des dépenses sociales, au réarmement et à la déportation des réfugiés

Le soir de l'élection, Meike Schaefer, la tête de liste des Verts, a souligné qu'à Brême, les Verts poursuivraient leur politique de droite. « Nous voulons maintenir l’allégement de la dette, nous voulons nous débarrasser de la dette », a-t-elle déclaré à la chaîne publique ARD.

Les partis de la grande coalition ont également annoncé le soir des élections leur intention de poursuivre les politiques haïes pour lesquelles ils ont été punis aux urnes. C'est ce qu'a déclaré le plus explicitement l'ancien dirigeant du SPD et ex-ministre des Affaires étrangères Sigmar Gabriel. S'exprimant à l'émission « Anne Will », il a soutenu que le SPD aurait dû mettre davantage l'accent sur sa politique étrangère agressive pendant la campagne électorale.

La question clé était « la souveraineté de l'Europe dans le monde », a-t-il dit. Il s'agit « d'affirmer l'Europe dans un monde totalement fou ». L'Europe ne pouvait pas permettre à l'Amérique et à la Chine de parler entre elles et de tout gérer toutes seules, a-t-il ajouté, mais devait bien plutôt intervenir et s'assurer qu'il existât au lieu d'un G-2, « au moins un G-3, nous compris ».

Lors d'une conférence de presse lundi, la cheffe de la CDU Annegret Kramp-Karrenbauer a appelé à restreindre la liberté d'expression. Elle a accusé un groupe de Youtubeurs ayant publié des commentaires critiques sur la CDU avant l'élection de faire de la «manipulation » et a exigé en conséquence de nouvelles réglementations pour la « sphère numérique ».

L'élite dirigeante toute entière réagit à la montée de l'opposition sociale et politique, surtout parmi les jeunes travailleurs et les étudiants, par un nouveau virage à droite et une intensification de leur politique du militarisme, de la réduction des dépenses sociales et du renforcement de l'appareil d'État, à l’intérieur comme à l’extérieur.

Cela ne fera qu'intensifier le conflit avec la grande majorité de la population active. Déjà pendant la campagne électorale, 40 000 personnes ont manifesté à Berlin contre l'augmentation des loyers et exigé la nationalisation des sociétés immobilières et des fonds d'investissement. Plus tôt cette année, des dizaines de milliers de travailleurs du secteur public ont fait grève dans le cadre de la dernière ronde de négociations collectives pour protester contre les conditions terribles dans les écoles, les conditions de travail insupportables et les bas salaires. En mars, des milliers de travailleurs des transports avaient fait grève à Berlin, bloquant toute la ville.

Cette radicalisation croissante fait partie d’une tendance européenne et mondiale. En France, le mouvement des ‘gilets jaunes’ ne montre aucun signe de ralentissement. Des dizaines de milliers de personnes protestent chaque semaine contre les bas salaires, les inégalités sociales et le gouvernement Macron, malgré les brutalités policières et une campagne médiatique hostile.

En Pologne, plus de 300 000 enseignants ont fait grève contre la politique du gouvernement droitier du Parti de Droit et Justice (PiS). C'était la première grève nationale en Pologne depuis des décennies. En outre, des grèves ont été lancées par des travailleurs de l'automobile et d'autres travailleurs industriels en Roumanie, en Hongrie, en République tchèque, en Serbie et au Kosovo, et des manifestations de masse ont eu lieu en Hongrie contre la loi dite « d'esclavage » du gouvernement de droite, soutenue par des entreprises allemandes, et qui force les travailleurs à faire des heures supplémentaires.

Ces grèves et protestations ne sont qu’un début. Compte tenu des politiques de droite du gouvernement, elles vont inévitablement croître et entrer en conflit non seulement avec la grande coalition, mais avec l'ensemble de l'élite dirigeante allemande.

Le Sozialistische Gleichheitspartei (SGP) a participé à la campagne électorale pour préparer ces luttes et les doter d'un programme révolutionnaire. Lors d'une série de réunions électorales en Allemagne et en Europe, le SGP et ses partis frères européens ont proposé un programme socialiste international qui revêt une importance décisive. Sur cette base, et en dépit du black-out médiatique et des efforts de censure du World Socialist Web Site et des réseaux sociaux, le SGP a obtenu 5 300 voix et gagné de nouveaux contacts et membres importants.

(Article paru en anglais le 29 mai 2019)

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