Québec: des milliers de travailleurs manifestent leur soutien aux lock-outés d’ABI

Le Syndicat des Métallos et sa section locale 9700 ont organisé une «grande marche familiale» samedi dernier à Trois-Rivières en soutien aux employés d’ABI. Ces quelque 1000 travailleurs ont été mis en lock-out il y a près de 17 mois par la direction de l’Aluminerie de Bécancour Inc., une usine possédée conjointement par les multinationales Alcoa et Rio Tinto.

Environ 5000 manifestants, y compris des travailleurs et leurs familles, ont manifesté en appui aux lock-outés. D’après le syndicat, des leaders syndicaux du Canada, des États-Unis et même du Royaume-Uni étaient présents, ainsi que des leaders des quatre grandes centrales syndicales québécoises, la FTQ, la CSN, la CSQ et la CSD. Le nombre de manifestants était relativement faible car ces grands syndicats, qui représentent des centaines de milliers de travailleurs à travers la province, ont systématiquement isolé les travailleurs d’ABI et refusé de mobiliser sérieusement leurs membres en leur défense.

Des centaines d’employés en lock-out d’ABI étaient présents à la manifestation.

Il s’agissait seulement de la deuxième manifestation majeure organisée par les Métallos depuis le déclenchement du lock-out le 11 janvier 2018 dernier. De toute évidence, l’objectif de la manifestation n’était pas de mobiliser le mouvement ouvrier en défense des travailleurs d’ABI et encore moins de préparer une offensive de toute la classe ouvrière contre l’austérité capitaliste. Si les syndicats ont été forcés d’organiser cette manifestation, c’est uniquement pour couvrir l’échec de leur stratégie consistant à faire pression sur les actionnaires et à faire passer le gouvernement populiste de droite de la CAQ (Coalition Avenir Québec) pour un allié potentiel des travailleurs.

Pour le syndicat, le but était uniquement de dissiper la colère des travailleurs et de canaliser leur énergie militante vers de nouveaux appels futiles aux actionnaires et au premier ministre caquiste François Legault pour qu’il presse la compagnie à retourner à la table de négociation et à finaliser, avec la collaboration des syndicats, les derniers détails des concessions à imposer aux travailleurs. Les Métallos ont déjà accepté des reculs majeurs, y compris la suppression de plus de 200 emplois, l’adoption d’un nouveau régime de retraite entièrement financé par les travailleurs et une plus grande «flexibilité» dans l’usine grâce à une exploitation accrue des travailleurs.

Le Syndicat des Métallos et ses alliés de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), le plus important syndicat de la province, ont isolé les travailleurs d’ABI de la classe ouvrière internationale. Après l’arrivée au pouvoir de Legault, ils ont dépeint cet ancien PDG d’Air-Transat, ex-ministre péquiste et multi-millionaire connu pour ses positions nettement à droite, comme un allié des travailleurs. Legault a répondu en intervenant ouvertement en faveur de l’entreprise. Il a dénoncé à répétition les travailleurs d’ABI pour n’être «pas raisonnables», et son gouvernement est allé plus loin que la compagnie en proposant une «hypothèse de règlement» qui permet plus de sous-traitance.

Lançant un signal qu’il va mener l’assaut contre la classe ouvrière en son ensemble, Legault a dénoncé les salaires de tout le secteur manufacturier comme étant «trop élevés». Malgré les propos anti-ouvriers de Legault et son ingérence pro-patronale dans le conflit d’ABI, le syndicat continue de semer l’illusion que le gouvernement très à droite de la CAQ peut changer de position et défendre les travailleurs.

La colonne de manifestants s’étirait sur une longue distance.

C’était le message essentiel des bureaucrates syndicaux invités à s’adresser à la foule lors de la manifestation. Niant que la CAQ sert les intérêts des banques, des entreprises et des riches, Clément Masse, le président de la section locale 9700 des Métallos, a déclaré que «M. Legault ne joue pas le rôle d'un premier ministre qui devrait être neutre et représenter tous les Québécois». Le secrétaire général de la FTQ, Serge Cadieux, a pour sa part affirmé que l’ingérence du premier ministre «a cristallisé les positions de l’employeur plutôt que de favoriser un rapprochement». Montrant toute la lâcheté et la servitude des bureaucrates syndicaux, le directeur québécois des Métallos, Alain Croteau, a crié haut et fort que «le syndicat n’a jamais été en demande à cette table de négociation là».

Le nouveau président international du Syndicat des Métallos à l’échelle nord-américaine (USW), Tom Conway, a également pris la parole. Démontrant son rôle de partenaire du patronat, Conway a conseillé Alcoa de «miser sur le capital humain» plutôt que de «faire la guerre aux travailleurs». Conway et les USW veulent éviter à tout prix de froisser la multinationale alors qu’ils forcent plus de 6000 employés d’Alcoa aux États-Unis à travailler sans convention collective dans un contexte où la compagnie exige des concessions majeures.

Fait à noter, les Métallos ont invité le député de Québec Solidaire, Alexandre Leduc, à s’adresser aux manifestants. Alors que la faillite de la stratégie syndicale devient évidente, le tournant du syndicat vers ce parti de la pseudo-gauche vise avant tout à se trouver une couverture politique. Sans surprise, Leduc qui a adopté tout au long du conflit la ligne des appareils syndicaux, a déclaré que les travailleurs jouissaient d’une «solidarité au parlement», faisant croire que QS, avec les autres partis d’opposition, le Parti libéral et le Parti Québécois, allaient leur venir en aide.

Des sympathisants du WSWS ont participé à la manifestation pour discuter avec les travailleurs des points politiques soulevés dans une déclaration largement distribuée. Celle-ci notait entre autres l’existence d’un «véritable potentiel que la lutte à l’ABI devienne la bougie d’allumage d’un vaste mouvement de toute la classe ouvrière au Québec et à travers le Canada pour la défense des emplois, des salaires et des conditions de travail de tous, et pour une vaste expansion des services publics.»

Pour y arriver, continuait la déclaration, «les travailleurs d’ABI doivent bâtir un comité de lutte indépendant des syndicats. Sa première tâche serait de lancer un appel explicite aux employés d’Alcoa et Rio Tinto en Australie, en Espagne, aux États-Unis et à travers le monde en faveur de grèves de solidarité dans le cadre d’une lutte unifiée pour la défense des emplois et conditions de travail de tous. Cet appel devrait également s’adresser à tous les métallos et aux travailleurs de tout le secteur industriel nord-américain comme première étape d’une contre-offensive ouvrière en opposition à l’austérité capitaliste».

Plusieurs travailleurs ont partagé leur expérience avec des reporters du WSWS.

René, un ouvrier d’ABI, a expliqué: «Moi j’ai voté pour lui (Legault) et je ne voterai plus pour lui, ça je peux te le dire». Répondant à l’appel du WSWS à se tourner vers la classe ouvrière internationale, René a dit: «Ça c’est une job de syndicat», tout en ajoutant: «Manifestement si ça ne marche pas d’une façon, il va falloir en trouver une autre».

Éric, un col bleu de Montréal venu appuyer les lock-outés d’ABI, a fait le lien entre la lutte des travailleurs d’ABI et ses propres expériences. «On avait négocié et financé l'indexation et ils l'ont enlevée», a-t-il expliqué, faisant référence à la loi 15 du gouvernement libéral précédent qui a miné le régime de retraite des cols bleus.

Jonathan, un travailleur d’ABI, a dénoncé l’hypothèse de règlement présentée par le Ministre du Travail caquiste, Jean Boulet, le mois dernier. «Je suis sûr que ça a été dicté par Alcoa», a-t-il déclaré, tout en ajoutant: «Dès qu’il a fait son hypothèse, Boulet, il est parti des dernières offres qui étaient déjà inacceptables, et les a rendues encore pires».

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