Mesures du gouvernement sri-lankais pour criminaliser les « fausses nouvelles »

Le gouvernement sri-lankais a récemment approuvé deux propositions de loi visant à modifier le Code pénal et le Code de procédure pénale du pays afin de criminaliser les « fausses nouvelles » et les « déclarations haineuses ».

Déposée par le ministre par intérim de la Justice et des Réformes pénitentiaires, Ranjith Maddumabandara, l'une des propositions prévoit des amendes allant jusqu'à 1 million de roupies (5 715 dollars) ou une peine de prison de cinq ans, ou les deux, pour quiconque est reconnu coupable de « diffusion de fausses nouvelles ». L'autre modification imposerait, pour les « déclarations haineuses » des amendes ou des peines d'emprisonnement non encore précisées.

Maddumabandara a présenté les mesures projetées à la demande de la Commission parlementaire sectorielle de surveillance de la sécurité nationale, qui comprend des députés de tous les partis politiques de la coalition au pouvoir et de l'opposition officielle.

Cette demande souligne l'unanimité et la détermination de toutes les factions de l'establishment politique sri-lankais à censurer l'Internet et les médias sociaux ainsi que les médias imprimés et audiovisuels.

Les termes « fausses nouvelles » et « déclarations haineuses », qui ne sont pas définis dans les mesures proposées, seront utilisés pour persécuter toute personne perçue comme opposant politiques, en particulier les socialistes, les travailleurs et les jeunes qui défient le gouvernement et l'appareil d'État.

Tentant de justifier ces lois, le Département de l'information du gouvernement a déclaré: « Les autorités chargées de l'ordre public ainsi que les dirigeants de la société civile sont de plus en plus inquiets de la montée des tensions sociales et de l'empirement des messages haineux sur Internet et dans les déclarations publiques de divers groupes ces dernières semaines, à la suite des attentats suicides à la bombe du dimanche de Pâques, le 21 avril ».

Les soi-disant dirigeants civils et les autorités de maintien de l'ordre qui évoquent ces inquiétudes ne sont autres que le président Maithripala Sirisena, le Premier ministre Ranil Wickremesinghe, les dirigeants de l'opposition parlementaire et les hauts responsables militaires et policiers.

Sirisena a réagi aux attentats terroristes du dimanche de Pâques en réactivant la loi draconienne sur la prévention du terrorisme (PTA), qui accorde de larges pouvoirs à la police et à l'armée, et en prolongeant ces mesures draconiennes pour un deuxième mois.

L'interdiction totale des réseaux sociaux n'a été levée qu'après qu’on ait averti les utilisateurs « d'agir de manière responsable ». Deux semaines après les attentats terroristes, l'interdiction a été réimposée pendant deux jours lorsque des nervis racistes incités par le gouvernement et l'opposition se sont déchaînés contre les musulmans. Une personne a été tuée, beaucoup d'autres ont été blessées et beaucoup de biens ont été détruits. La police et les forces de sécurité ont fermé les yeux sur ces attaques.

Il y a un an, en mars 2018, Sirisena avait totalement interdit les réseaux sociaux pendant deux semaines lorsque des groupes de racistes bouddhistes cinghalais ont lancé de violentes attaques contre les musulmans à Digana, dans le district des collines centrales.

Les « inquiétudes » de Sirisena, Wickremesinghe et de l'opposition parlementaire au sujet des « fausses nouvelles » et « déclarations haineuses » sont aussi frauduleuses que leur affirmation qu’il fallait des lois d'urgence et déployer l'armée en masse pour stopper les attaques terroristes. Les principaux dirigeants du gouvernement et de l'opposition ainsi que la hiérarchie militaire avaient été avertis des attentats de Pâques et ils ont exploité la mort tragique de centaines d'innocents pour prendre des mesures d’État policier.

La criminalisation par le Sri Lanka des prétendus fausses nouvelles et discours haineux constitue une attaque directe de la liberté d'expression et fait partie d'une vaste offensive internationale contre l'Internet, les réseaux sociaux et le journalisme d'investigation.

Aux Etats-Unis, l'administration Trump collabore avec les entreprises géantes Google et Facebook pour censurer les contenus socialistes et anti-guerre sur l'Internet. Des restrictions similaires sont en place au Royaume-Uni, en Allemagne, en France, en Inde et dans d'autres pays.

L’escalade des attaques contre le journalisme d'investigation et la liberté de la presse sont mises en évidence par l'arrestation et l'emprisonnement en Grande-Bretagne du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, et par la tentative de l'administration Trump de l'extrader aux États-Unis pour espionnage.

Début juin, la police australienne a lancé des raids sans précédent contre les bureaux de l'Australian Broadcasting Corporation à Sydney, une chaîne nationale financée par l'État, et contre le domicile d'un journaliste chevronné de News Corp. La police a saisi des centaines de fichiers numériques lors de ces descentes, affirmant que les journalistes avaient publié des documents secrets du gouvernement.

La détermination des classes dirigeantes à censurer et à contrôler Internet repose sur leur peur de la résurgence des luttes ouvrières au niveau international et sur l'intérêt croissant de la classe ouvrière pour le socialisme. L'Internet et les médias sociaux sont largement utilisés par les travailleurs et les jeunes pour organiser leurs luttes et se battre pour leurs droits sociaux et démocratiques.

L'utilisation des réseaux sociaux est fort répandue au Sri Lanka. Selon des informations récentes, ils sont utilisés activement par 6 millions de personnes, soit près d'un tiers des citoyens du pays, qui ne compte que 21 millions d'habitants.

Alors que Colombo s'apprête à criminaliser les « fausses nouvelles » il recherche aussi de nouvelles méthodes pour intensifier son contrôle de l'Internet.

Le département médias du président sri-lankais a rapporté que le président chinois Xi Jinping avait dit à Sirisena, lors de sa récente visite à Pékin, qu'il enverrait des experts techniques et du matériel au Sri Lanka pour aider à « tracer les individus qui propagent de fausses informations par les réseaux sociaux. L'offre de Xi répondait à une demande de Sirisena.

La Chine utilise des techniques de surveillance de l'Internet très puissantes pour réprimer l'opposition croissante des travailleurs, des étudiants et de l'intelligentsia au régime répressif bureaucratique.

Colombo a systématiquement bloqué des sites Web pendant sa guerre communautariste de 26 ans contre les Tigres de libération de l'Eelam tamoul. La guerre a pris fin en 2009 mais les blocages ont continué. Le gouvernement Sirisena-Wickremesinghe a, comme son prédécesseur, ciblé les réseaux sociaux et les sites Web, et maintient son unité spéciale de renseignement militaire sur l'Internet, créée pendant la guerre.

En novembre dernier, la Commission de régulation des télécommunications, qui est sous le contrôle du Président Sirisena, a bloqué lankaenews.com et exigé l'extradition depuis le Royaume-Uni de son rédacteur en chef, après que la publication eut commencé à le critiquer.

L'écrivain Shakthika Sathkumara est en détention provisoire depuis avril, faussement accusé d'avoir répandu la haine et perturbé l'harmonie communautaire après avoir publié une nouvelle sur son compte Facebook. Il a été placé en détention provisoire à plusieurs reprises en violation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Sathkumara a été arrêté à la suite d'une plainte déposée par des moines bouddhistes d'extrême droite qui sont à l'avant-garde pour ce qui est d’attiser le sentiment anti-musulman.

Les nouvelles mesures préparées par Colombo pour censurer et contrôler l'Internet et les réseaux sociaux sont un net pas vers l'établissement de formes dictatoriales de gouvernement. Les travailleurs et les jeunes doivent s'opposer avec véhémence à cette répression.

L'auteur recommande également:

Facebook supprime un article du WSWS sur le Sri Lanka [14 novembre 2018]

Sri Lankan prime minister threatens increased internet and social media censorship
[10 September 2018] (en anglais) .

(Article paru en anglais le 19 juin 2019)

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