De signaux mitigés sur la baisse des taux incitent Trump à exiger que la Réserve fédérale s’engage dans la guerre commerciale américaine contre ses rivaux

En fin de mois de juin, la Réserve fédérale américaine s’enlisait dans la controverse et la confusion quant à l’ampleur de la baisse des taux d’intérêt. Cela s’est passé lors de la réunion de son Comité fédéral de marché ouvert (FOMC). Elle s’apprête à mettre en œuvre les demandes de Wall Street qui visent à donner un nouvel élan aux marchés financiers. Toutefois, en même temps, la Réserve fédérale tente de maintenir la fiction selon laquelle elle agit «indépendamment». C’est de là que provient toute l’agitation.

Les marchés avaient réduit les taux de 0,25 pour cent. Mais seulement après que le président de la Réserve fédérale, Jérôme Powell, eut indiqué au Congrès au début du mois que la banque centrale adoptait une politique plus «accommodante». Il a cité les préoccupations concernant la croissance mondiale, l’impact de la guerre commerciale américaine contre la Chine, la faible inflation américaine et une baisse des investissements des entreprises.

Toutefois, dans un discours prononcé jeudi, le président de la Banque fédérale de réserve de New York, John Williams, a mis le feu aux poudres. Il a semblé indiquer que la réduction des taux pourrait aller au-delà des attentes. S’adressant à l’assemblée annuelle de l’Association de recherche des banques centrales, il a comparé l’assouplissement précoce de la politique monétaire à la vaccination des enfants pour les protéger contre de futures maladies. «Il vaut mieux gérer la douleur à court terme d’une piqûre que prendre le risque de contracter une maladie plus tard», dit-il.

Dans l’optique de réductions de taux plus importantes que prévu, il a déclaré que les responsables politiques ne devraient pas garder leur «poudre au sec». Qu’il ne faut pas assouplir la politique monétaire uniquement après qu’il y ait eu davantage de preuves tangibles d’un ralentissement. «Quand on ne dispose que de peu de stimulants, il vaut la peine d’agir rapidement pour faire baisser les taux dès les premiers signes de détresse économique», a-t-il déclaré.

Cette orientation a été soulignée par les remarques du vice-président de la Réserve fédérale, Richard Clarida, lors d’un entretien sur Fox Business Network. Il a déclaré qu’une situation économique plutôt favorable ne devrait pas empêcher la Réserve fédérale d’assouplir sa politique monétaire.

Clarida a déjà cité des exemples de 1995 et 1998 où la Réserve fédérale a souscrit une «police d’assurance» et réduit les taux avant qu’il n’y ait des signes d’un ralentissement. «Vous n’avez pas besoin d’attendre que les choses aillent si mal pour avoir une série dramatique de réductions de taux», dit-il. «Vous ne voulez pas attendre que les données tournent de façon décisive si vous en avez les moyens.»

Il y a eu une réaction importante du marché aux remarques de Williams. Le rendement des bons du Trésor américain a chuté. Les investisseurs ont eu 66 pour cent de chance d’obtenir une baisse de taux de 0,5 point de pourcentage (50 points de base) à la fin du mois. Avant son intervention la probabilité était de 40 pour cent.

La Réserve fédérale de New York a alors décidé d’intervenir, et un porte-parole a fait une déclaration dans laquelle il mettait en garde contre une interprétation excessive des propos de son président. «C’était un discours académique sur 20 ans de recherche. Il ne s’agissait pas d’actions politiques potentielles lors de la prochaine réunion du FOMC», dit le communiqué.

Qu’il s’agisse ou non d’un discours académique, Williams et d’autres auraient très bien compris l’effet de ses remarques quelques jours à peine avant la date limite fixée pour les commentaires publics des responsables de la Réserve fédérale avant la réunion du FOMC.

Neil Dutta, chef de l’économie chez Renaissance Macro Research, a dit dans une note aux clients. «Nous n’avons jamais rien vu de tel auparavant et honnêtement, nous ne sommes pas sûrs de ce qu’ils pensaient. Bien sûr, le marché s’accrocherait à un discours comme celui-ci. Surtout à cause de son ton et du moment — juste avant les travaux de la réunion du FOMC en juillet.»

David Rosenberg, économiste en chef chez Gluskin Sheff, une société de gestion de patrimoine, a déclaré: «Je pense que nous avons trop de cuisiniers dans la cuisine quand il s’agit de porter le parole de la Réserve fédérale en public et ça sème la confusion.»

Mais ce n’est pas seulement le nombre de voix qui compte. L’agitation et la confusion sont le produit de l’intense pression exercée par Wall Street pour obtenir encore plus d’argent à bas prix afin de stimuler les marchés au-delà même de leurs niveaux records actuels.

L’intervention de la Réserve fédérale de New York semble avoir été motivée par la crainte que les propos de Williams, s’ils avaient été maintenus, n’aient eu pour effet de l’enfermer dans une réduction de 50 points de base à la fin du mois, de peur que le contraire ne fasse «peur» aux marchés et n’arrache ce qui reste de la fiction qu’elle agit indépendamment.

Le président américain Trump est intervenu, comme on pouvait s’y attendre. Il a émis des demandes stridentes pour que la Réserve fédérale baisse les taux, augmentant ainsi Wall Street de 10.000 points supplémentaires sur le Dow Jones.

Dans un premier tweet, publié après l’intervention de la Réserve fédérale de New York, il a dit: «J’aime mieux la première déclaration du président de la Réserve fédérale de New York, John Williams, que sa seconde. Sa première déclaration est tout à fait correcte en ce sens que la Réserve fédérale a “relevé” les taux beaucoup trop vite et trop tôt.»

Dans un tweet ultérieur, il a ajouté un nouvel élément à son attaque contre la Fed, indiquant qu’elle devrait s’aligner plus étroitement avec la guerre économique mondiale menée par l’administration américaine.

Bien que la Chine soit la cible la plus visible de cette guerre, elle n’est aucunement la seule. Trump a souligné que la politique d’assouplissement monétaire de la Banque centrale européenne avait entraîné une baisse de la valeur de l’euro. Ceci au détriment des États-Unis, et il est revenu, du moins indirectement, sur ce thème dans ses commentaires sur la Réserve fédérale.

«En raison du processus de réflexion erroné que nous avons mis en place à la Réserve fédérale, nous payons des taux d’intérêt beaucoup plus élevés. Des pays qui ne peuvent pas nous concurrencer sur le plan économique ont des taux plus bas», a-t-il ajouté sur Twitter.

Appelant à la fin de ce qu’il a appelé le «resserrement quantitatif fou», Trump a tweeté: «Nous sommes dans une compétition mondiale et gagnons gros… mais ce n’est pas grâce à la Réserve Fédérale.» S’ils n’avaient pas agi aussi vite et avec autant de célérité, a-t-il poursuivi, «nous ferions encore mieux que ce que nous faisons en ce moment».

En d’autres termes, l’Administration Trump exige que la Réserve Fédérale ne se contente pas d’alimenter Wall Street chez elle, afin s'occupe aussi de siphonner davantage la richesse entre les mains de l’élite financière. Il demande qu’elle agisse directement comme une arme américaine dans la guerre mondiale contre les rivaux économiques de Washington.

(Article paru d’abord en anglais le 20 juillet 2019)

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