Un ancien responsable de la Fed appelle la banque centrale à ne plus conforter la ligne de Trump

Pendant des semaines, la Réserve fédérale (banque centrale) américaine a été au centre d’un conflit politique. Le président Donald Trump a publié des tweets réguliers s’attaquant à son refus, jusqu'à présent, de répondre à sa demande de réductions importantes des taux d'intérêt et à la reprise d'un «assouplissement quantitatif» visant à stimuler les marchés boursiers et à exercer des pressions à la baisse sur le dollar américain.

La semaine dernière, Trump a posé la question de savoir qui était le «plus grand ennemi» des États-Unis, président de la Fed Jérôme Powell ou le président chinois Xi Jinping. Cette semaine, il a déclaré que la Fed était «mentalement» inapte à aider les États-Unis à acquérir un avantage concurrentiel sur les marchés mondiaux. Son taux d’intérêt était trop élevé et, lors de la récente réunion du G7, les autres dirigeants étaient «euphoriques» de constater à quel point leurs taux d’intérêt avaient baissé.

Dans un autre tweet, Trump a déclaré que la Fed «aime regarder nos industriels se tortiller pour assurer leurs exportations au profit d'autres régions du monde. Quelqu'un a-t-il déjà examiné ce que font presque tous les autres pays pour profiter des bons vieux États-Unis? Notre Fed s’est trompée là-dessus depuis trop longtemps!»

Le ton des attaques de Trump a quelque peu changé. Un peu plus tôt, il s’était concentré sur le marché boursier, affirmant que le Dow augmenterait de 10.000 points si la Fed abaissait ses taux d’intérêt. Mais des commentaires plus récents ont souligné l'effet de la politique de la Fed sur le maintien d'une valeur monétaire élevée, au détriment allégué des États-Unis.

Ce conflit reflète les indications de plus en plus nombreuses indiquant que l'économie mondiale entre en récession et par conséquent l'intensification de la lutte pour les marchés qui s'ensuit entre les puissances capitalistes rivales. Déjà, la guerre tarifaire et économique déclenchée par Washington contre la Chine a de graves répercussions sur le monde entier.

Jusqu'à présent, les démocrates se sont opposés à Trump sur le principe que la Fed devrait rester indépendante et ne pas être soumise aux directives du président. Il y a maintenant des signes que les attitudes peuvent changer, au moins chez certains.

Cette semaine, Bill Dudley a publié une tribune libre dans Bloomberg appelant directement la Fed à s'opposer à Trump. Dudley, un démocrate inscrit, a été président de la Réserve fédérale de New York de 2009 à 2018 et a été vice-président du comité fédéral de la politique de marché ouvert.

Dudley a écrit que la sagesse conventionnelle se tenait à ce que la Fed prenne des mesures pour poursuivre l'objectif de stabilité des prix et d'emploi maximum. Ainsi, si la guerre commerciale de Trump avec la Chine nuit aux perspectives économiques en portant atteinte à la confiance des entreprises et des consommateurs, la Fed devrait abaisser ses taux.

«Mais que se passe-t-il si les mesures d'adaptation de la Fed encouragent le président à intensifier la guerre commerciale, augmentant ainsi le risque de récession?», s’est demandé Dudley. «Les efforts de la banque centrale pour amortir le choc pourraient ne pas être simplement inefficaces. Ils pourraient en fait aggraver les choses.»

Dudley a déclaré que le président de la Fed, Jerome Powell, était au courant du problème comme il a indiqué lors de son discours à la récente conférence annuelle des banquiers centraux à Jackson Hole, en déclarant que «la politique monétaire ne pourrait pas fournir un règlement établi pour le commerce international.»

«Pourtant, la Fed pourrait aller beaucoup plus loin», a écrit Dudley. «Les responsables pourraient déclarer explicitement que la banque centrale ne renflouera pas un gouvernement qui continue à faire de mauvais choix en matière de politique commerciale, indiquant clairement que Trump assumera les conséquences de ses actes.»

Dudley a déclaré qu'une telle ligne plus dure découragerait une nouvelle escalade de la guerre commerciale, réaffirmerait l'indépendance de la Fed par rapport aux politiques de l'administration et permettrait de conserver les munitions indispensables, étant donné que les taux d'intérêt sont déjà très bas par rapport aux normes historiques.

«Je comprends et soutiens le désir des responsables de la Fed de rester apolitiques. Mais les attaques de Trump sur Powell et l’institution ont rendu cela insoutenable. Les responsables des banques centrales doivent faire un choix: permettre à l'administration Trump de continuer sur une trajectoire désastreuse d'escalade de la guerre commerciale, ou envoyer un signal clair que si le gouvernement persiste, le président, et non la Fed, portera les risques, y compris celui de perdre la prochaine élection.»

Dudley a conclu avec l'observation qu’il est concevable que les élections relèvent elles-mêmes de la compétence de la Fed. En effet, la réélection de Trump «constitue sans doute une menace pour l'économie américaine et mondiale, pour l'indépendance de la Fed et pour sa capacité à atteindre ses objectifs en matière d'emploi et d'inflation.»

Si l'objectif de la politique monétaire était d'obtenir les meilleurs résultats économiques à long terme, «alors les responsables de la Fed devraient examiner l'incidence de leurs décisions sur les résultats politiques de 2020.»

Ce fut une intervention extraordinaire. Les anciens responsables de la Fed limitent leurs commentaires généralement à l'état de l'économie, mais évitent de discuter de décisions spécifiques de la Fed, sans parler de l'inviter à agir politiquement.

La banque centrale s'est sentie obligée de publier une déclaration réaffirmant son indépendance politique. «Les décisions de la Réserve fédérale en matière de politique reposent uniquement sur son mandat du Congrès visant à maintenir la stabilité des prix et un emploi maximal. Les considérations politiques ne jouent absolument aucun rôle», a déclaré la porte-parole de la Fed, Michelle Smith.

Le Wall Street Journal a publié un éditorial, affirmant que l’opinion de Dudley confirmait «qu’il considérait la Fed comme un agent du parti démocrate». Son intervention n’aiderait pas Powell à «naviguer dans la politique monétaire dans un moment politique délicat». Elle «porterait atteinte à la capacité de la Fed de rallier le Congrès et le monde des affaires à sa défense.»

Dudley aurait été conscient que ses commentaires rencontreraient une forte opposition. Le fait qu'il ait décidé d'y procéder malgré tout est une indication des tensions croissantes au sein de l'establishment politique, alimentées par les craintes grandissantes que, malgré les prétentions de croissance et de sommets boursiers records, l'économie américaine se dirige vers une récession.

Cette semaine, le marché obligataire américain a donné son signal le plus clair d'une telle perspective. Plus tôt cette semaine, les rendements des bons du Trésor à deux ans étaient supérieurs de 5,3 points de base à ceux des obligations d'État à 10 ans. Normalement, c'est l'inverse. L'inversion de la courbe de rendement est considérée comme l'un des indicateurs les plus sûrs d'une récession. L'inversion a maintenant atteint son niveau le plus large depuis mars 2007, juste avant la crise financière de 2008.

L’un des événements les plus marquants de l’année a été la croissance des obligations à rendement négatif: si un investisseur les conservait jusqu’à leur échéance, il subiraient une perte. Le niveau de ces obligations a doublé depuis le début de l'année et excède maintenant 16.000 milliards de dollars, soit le tiers du marché obligataire mondial.

Ce phénomène, sans précédent dans l'histoire économique, est un indice d'un environnement déflationniste mondial et de la probabilité croissante d'un effondrement majeur.

Dans un commentaire publié le week-end dernier dans le Financial Times, Larry Summers, ancien secrétaire au Trésor américain, a écrit: «L'économie des trous noirs - des taux d'intérêt bloqués à zéro sans perspective réelle d'évasion - est désormais l'attente du marché en Europe et au Japon, avec des rendements essentiellement nuls ou négatifs sur une génération. Les États-Unis ne sont plus qu’à une récession de les rejoindre.»

(Article paru en anglais le 31 août 2019)

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