Robert Mugabe, président pendant de longues années du Zimbabwe, décède à l'âge de 95 ans

Robert Mugabe, le premier dirigeant élu du Zimbabwe qui a dirigé le pays pendant près de quatre décennies, est décédé vendredi à l'âge de 95 ans. Sa mort a été annoncée à Singapour, où il s’était rendu pour des soins médicaux.

Mugabe était le dernier dirigeant encore vivant des luttes anti-coloniales en Afrique, accédant au pouvoir suite à l’établissement d’une nation nouvellement indépendante. Comme les autres qui l'ont précédé dans la mort - Nkrumah (Ghana), Sékou Touré (Guinée), Kenyatta (Kenya), Nyerere (Tanzanie), Machel (Mozambique) et Mandela (Afrique du Sud) - le régime de Mugabe révéla l'incapacité intrinsèque des nationalistes bourgeois africains à réaliser les aspirations des masses africaines pour la libération de la domination étrangère, la démocratie et la justice sociale.

Les réactions à la mort de Mugabe, qui avait été évincé du pouvoir lors d'un coup de palais en novembre 2017 dirigé par son allié de longue date, Emmerson Mnangagwa, et des militaires, ont exprimé des sentiments partagés. Washington et Londres ont tous deux fait part de leurs condoléances à l’égard des personnes en deuil de l'ancien président, tandis que le département d'État a déclaré que «ses violations des droits de l'homme et sa mauvaise gestion économique ont appauvri des millions de personnes et ont trahi les espoirs de son peuple pour leur pays», et le ministère des affaires étrangères britannique a déclaré que « les Zimbabwéens ont trop longtemps souffert du régime autocratique de Mugabe ».

On ne devinerait jamais qu'Henry Kissinger faisait partie des partisans de l'ascension au pouvoir de Mugabe, saluée par Washington, ni le fait que le Royaume-Uni joua un rôle similaire allant jusqu'à lui décerner un titre de chevalier honoraire en 1994. On ne devinerait non plus que les mesures de sanctions brutales imposées par les deux puissances impérialistes aient pu exacerber les conditions de vie des «millions d’appauvries».

Divers chefs d'État africains ont rendu un hommage excessif à la mémoire de Mugabe. Le président Uhuru Kenyatta, fils du leader du mouvement de libération du Kenya et premier président, dont le patrimoine est estimée à 500 millions de dollars, a ordonné que les drapeaux soient mis en berne pendant trois jours et a salué l'ancien président du Zimbabwe comme «une incarnation de l'esprit panafricain» qui a insisté sur le fait que «les problèmes africains nécessitaient des solutions africaines».

De même, le président sud-africain Cyril Ramaphosa, ancien dirigeant syndical devenu PDG, dont la fortune personnelle est estimée à 550 millions de dollars, a pleuré «le décès d'un combattant de la libération et champion de la cause de l'Afrique contre le colonialisme».

Ils reconnaissent Mugabe comme l'un des leurs, une bande de chefs d'État corrompus qui se sont enrichis aux dépens des masses d'ouvriers africains et d'opprimés soumis à une oppression extrême et à une pauvreté extrême.

Lorsque Mugabe fut renversé, il fut autorisé à garder tous ses intérêts commerciaux et reçut un paiement de 10 millions de dollars. Un câble diplomatique américain publié en 2001 par WikiLeaks estima les actifs de Mugabe à 1,75 milliard de dollars, dont la majeure partie était investie à l'extérieur du Zimbabwe.

Mugabe a terminé sa vie loin de ses origines. Il devint un jeune enseignant issu d'une famille pauvre. Dans les années 1940, après avoir remporté un concours à l'Université de Fort Hare au Cap Est de l’Afrique du Sud, il entra en contact avec le Congrès national africain, qu'il rejoint, et les membres du Parti communiste sud-africain, qui lui firent connaître le marxisme. Il disait plus tard que sa plus grande influence n'était pas Marx, mais Gandhi.

À la fin des années 50, il s’installa au Ghana, l’un des premiers États indépendants d’Afrique, où il fréquenta l’Institut idéologique Kwame Nkrumah de Winneba. De retour dans ce qui était alors la colonie britannique de la Rhodésie, il rejoint le mouvement nationaliste anticolonialiste africain qui venait de se constituer là-bas. La montée des sentiments nationalistes et des revendications d’égalité au sein de la population à majorité noire s’accompagnèrent d’une opposition croissante de la part de l’élite dirigeante blanche au processus de décolonisation britannique. En 1965, la Rhodésie déclara son indépendance unilatérale du Royaume-Uni dans le but de devancer l’arrivée au pouvoir de la majorité noire.

En 1963, l'Union nationale africaine du Zimbabwe (ZANU) fut créée, avec Mugabe comme secrétaire général. Contre les dirigeants nationalistes plus conservateurs qui préconisaient la création d'un gouvernement en exil, Mugabe appela à la résistance armée au colonialisme britannique et au pouvoir de la minorité blanche. La ZANU allait être interdite peu de temps après et Mugabe fut arrêté la même année. Il resta en prison jusqu'en 1974.

Déjà à sa sortie de prison, une guerre de guérilla était en cours menée depuis des camps situés d’abord en Tanzanie et en Zambie, puis au Mozambique après la chute du colonialisme portugais.

Les opérations armées étaient dirigées par un groupe de jeunes commandants, connu sous le nom de vashindi ou mouvement ouvrier, qui visait à unir les forces militaires de la ZANU, dont la base était constituée du peuple majoritaire shona, et celles de l'Union du peuple africain du Zimbabwe ( ZAPU) dirigée par Joshua Nkomo, appartenant à la minorité ndebele. La faction vashindi avait également organisé des écoles pour enseigner aux combattants des rudiments de marxisme.

Au début de 1977, Mugabe réussit à convaincre Samora Machel, président du Mozambique, de rassembler et d'emprisonner les dirigeants vashindi, qui ne furent libérés qu'après l'élection de Mugabe à la présidence du Zimbabwe en 1980. Il considérait cette tendance comme un obstacle intolérable à sa propre direction, à la fois en raison de ses tentatives d'unir les peuples issus de différentes ethnies et, tout aussi important, son opposition à la participation de Mugabe à une conférence en 1976 organisée par le ministère des affaires étrangères britannique à Genève avec le soutien décisif de Kissinger, le secrétaire d'Etat américain.

Les contacts de Mugabe avec les principales puissances impérialistes ont trouvé leur point culminant lors des pourparlers de Lancaster House organisés sous les auspices du gouvernement britannique. Tenus sous la houlette de Lord Carrington, ces pourparlers ont été convoqués en septembre 1979 après que lui et Nkomo, suite à la réunification de ZANU et ZAPU au sein du Front patriotique, avaient mis un terme à la lutte armée.

Finalement, ils ont accepté un règlement dicté par le gouvernement britannique de droite de Margaret Thatcher. Cet accord réactionnaire a réservé un bloc de sièges parlementaires à la minorité blanche, garanti le maintien de la base capitaliste de l’économie de la Rhodésie, reporté toute réforme agraire importante pour une décennie et assuré le statut de non-aligné du Zimbabwe ainsi que sa coexistence pacifique avec l’apartheid en Afrique du Sud.

Lord Carrington a fait remarquer plus tard que, bien que Mugabe ait utilisé la rhétorique marxiste lors des négociations de Lancaster House, «bien sûr, il n'a pas réellement mis en pratique ce qu'il avait prêché, n'est-ce pas? Dès qu’il était aux affaires, il est devenu capitaliste.»

Ainsi, Mugabe et son parti, rebaptisé ZANU-PF, sont arrivés au pouvoir après une élection en 1980 après avoir garanti les intérêts des entreprises internationales qui dominaient les secteurs miniers et agricoles clés, ainsi que ceux des propriétaires terriens blancs.

Alors qu’il fit initialement entrer Nkomo et d’autres dirigeants de la ZAPU dans son cabinet, ils ont été par la suite écartés du gouvernement face aux tensions croissantes entre la ZANU-PF et la ZAPU. Au début de 1983, cela aboutit à l’invasion de Matabeleland, la base du ZAPU, où une brigade responsable directement devant Mugabe procéda à des exécutions massives, à des actes de torture et au blocage de denrées alimentaires qui aboutissaient à une famine de masse. Les estimations du nombre de morts allaient jusqu'à 20.000, dépassant considérablement le nombre de personnes tuées pendant toute la guerre contre le gouvernement de la minorité blanche.

Ni les États-Unis ni le gouvernement britannique - qui allaient plus tard calomnié Mugabe – n’élevèrent la voix en protestation contre le massacre commis à Matabeleland. Ils considéraient la ZANU-PF, qui avait noué des relations étroites avec la Chine, comme le moindre mal comparé à la ZAPU, qui entretenait des relations avec l'Union soviétique.

Le gouvernement Mugabe, tout en consolidant un régime répressif, a été en mesure d'introduire des mesures de protection sociale ainsi que des réformes dans les domaines de la santé et de l'éducation dans les années 1980, dans des conditions de croissance économique et où le nouveau gouvernement pouvait bénéficier d'un traitement favorable de la part des puissances occidentales, qui veillaient à empêcher le pays nouvellement indépendant de s’aligner sur Moscou.

Toutefois, après la dissolution de l'Union soviétique par la bureaucratie stalinienne de Moscou en 1991, Washington, Londres et l'Union européenne ne voyaient plus la nécessité d'étendre de nouvelles concessions au Zimbabwe.

Les réformes sociales du régime de Mugabe ainsi que ses réseaux de favoritisme et de népotisme étaient de plus en plus considérés comme des freins intolérables aux intérêts financiers du capital international. Au cours des années 90, le Fonds monétaire international a coupé le financement et exigé que le Zimbabwe soit ouvert aux investissements étrangers, à la privatisation et à des niveaux d’exploitation toujours plus importants dans le cadre des programmes d’ajustement structurel approuvés par Mugabe.

Cela a conduit à des troubles sociaux, notamment des grèves générales entre 1997 et 1999. Cependant, la Confédération des syndicats du Zimbabwe (ZCTU) s’est opposée à Mugabe depuis une position de droite - formant une alliance avec les intérêts commerciaux et agricoles blancs du Mouvement pour le changement démocratique (MDC) en 2000, qui s'était engagé à «privatiser et à restaurer la confiance des entreprises».

Au lieu de faire face à l'assaut lancé par les intérêts capitalistes tant étrangers que nationaux, Mugabe a cherché à faire porter le poids de la crise économique croissante à la classe ouvrière dans les centres urbains, tout en encourageant de manière démagogique les expropriations limitées de fermes appartenant à des Blancs afin de s’attirer les bons grâces d'anciens soldats de la lutte de libération mécontents ainsi que de la base essentiellement rurale de la ZANU-PF. Il remarqua plus tard: «Nos racines sont dans le sol et non dans les usines.»

Les expropriations, cependant, n'ont servi qu'à aggraver la pauvreté de la classe ouvrière et des pauvres des zones rurales. Ayant été réalisées sans plan centralisé de développement de l'agriculture selon des principes collectivistes, elles ont démantelé les grandes domaines agricoles productifs en de petites exploitations de subsistance incapables de fournir les marchés intérieurs et encore moins de générer des recettes à l'exportation.

Les expropriations, l'incapacité de Mugabe de respecter les exigences du FMI et la répression du gouvernement contre l'opposition MDC pro-impérialiste ont conduit à un tournant brutal par les grandes puissances impérialistes contre le Zimbabwe et à l'imposition de sanctions éprouvantes en 2002 et 2008. En 2008, le gouvernement britannique déchut Mugabe de son titre de chevalier.

Au cours de cette période, les puissances occidentales ont soudainement découvert que Mugabe était un autocrate, le dénonçant pour son régime dictatorial. Comme c’est toujours le cas, cela ne devient un problème que si certains gouvernements ne suivent pas les diktats de l'Occident, tandis que d'autres régimes, de l'Arabie saoudite à l'Ouganda, ont quartier libre pour des crimes similaires ou plus graves.

La réalité est que ces méthodes de gouvernement ne sont pas le résultat d'individus «diaboliques», mais plutôt de la position objective qu’occupent des régimes nationalistes bourgeois dans les anciens pays coloniaux, pris entre les pressions de l'impérialisme mondial, d'une part, et les aspirations révolutionnaires de la classe ouvrière et des masses opprimées, de l'autre, et incapables d'une action véritablement indépendante.

Face aux sanctions, Mugabe a annoncé une «politique tournée vers l’Est» visant à remplacer les investissements occidentaux par ceux de la Russie et en particulier de la Chine. Cette manœuvre n'a toutefois nullement transformé la position de subordination du Zimbabwe par rapport au marché capitaliste mondial, car l'économie continuait de s'effondrer et le déficit commercial du pays continuait de monter en flèche.

En même temps, pour tenter de renforcer son soutien au sein de la ZANU-PF, Mugabe a mis en place une politique «d'indigénisation» censée obliger toutes les entreprises évaluées à plus de 500.000 dollars à être détenues à 51 pour cent par des Zimbabwéens. Cette politique, qui ne pouvait que profiter à Mugabe et à son entourage de riches, a créé des frictions avec les investisseurs étrangers du pays, y compris Pékin.

Mnangagwa, l'un des associés politiques les plus proches de Mugabe depuis les années 1950 et chargé d'exécuter les massacres à Matabeleland, s'est associé à l'armée pour demander la bénédiction de Pékin pour un coup d'État contre Mugabe, promettant des politiques d'investissement et de commerce plus libérales, également mises à la disposition des capitalistes occidentaux. Comme le disait Mnangagwa après le coup d'État, «le Zimbabwe est ouvert aux affaires».

Mnangagwa, salué comme un réformateur après avoir renversé Mugabe, n’a pas tardé après son arrivée au pouvoir à envoyer les soldats massacrer les manifestants, arrêtant des milliers de personnes, à mesure que la classe ouvrière et les pauvres continuaient à protester contre l’inflation de 200 pour cent et le chômage de masse.

Le destin de Mugabe - sous une forme ou une autre - a été partagé par tous les dirigeants nationalistes bourgeois et tous les États nés durant la période de décolonisation qui a suivi la Seconde Guerre mondiale. Tandis que beaucoup, comme lui, ont fait preuve d’un courage considérable lorsqu’ils ont été emprisonnés, soumis à la torture et à la répression, ils se sont avérés incapables d’établir une véritable indépendance vis-à-vis de l’impérialisme, de créer des formes de gouvernement véritablement démocratiques ou de réaliser les aspirations sociales des masses opprimées. Au lieu de cela, ils se sont approprié, à eux-mêmes et à une nouvelle couche bourgeoise naissante, les structures étatiques laissées par le colonialisme, en les utilisant pour supprimer les défis révolutionnaires d'en bas.

Ces expériences amères ont fourni une confirmation en creux de la théorie de la révolution permanente défendue par le grand révolutionnaire russe Léon Trotsky et de la Quatrième Internationale qu'il a fondée en 1938. Elle expliquait que dans les pays colonisés et opprimés, seule une lutte pour le pouvoir de la classe ouvrière pourrait faire avancer la lutte contre l'impérialisme et assurer une véritable libération nationale et des droits démocratiques et sociaux aux travailleurs et aux masses opprimées. Cette révolution était permanente en ce sens que la classe ouvrière, après s'être emparée du pouvoir, ne pouvait se limiter à des tâches démocratiques et était contrainte de prendre des mesures de caractère socialiste. En même temps, la révolution était permanente dans un deuxième sens car elle ne pouvait remporter la victoire que dans la mesure où elle se prolongeait dans un combat uni de la classe ouvrière internationale pour la révolution socialiste mondiale.

Au Zimbabwe et dans tous les autres pays d'Afrique, cela signifie que la classe ouvrière doit maintenir son indépendance politique vis-à-vis de tous les représentants de la bourgeoisie nationale et des puissances impérialistes, ainsi que des fédérations syndicales qui les soutiennent. Les ouvriers avancés et les jeunes doivent commencer à construire des sections du Comité international de la Quatrième Internationale afin de lutter pour un Zimbabwe socialiste et des États socialistes unis d'Afrique, et de créer un mouvement unifié pour le socialisme avec les travailleurs américains, britanniques et d’autres états impérialistes.

(Article paru en anglais le 7 septembre 2019)

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