Royaume-Uni: Johnson salue la police comme «le socle de la société» alors que la crise du Brexit s'intensifie

Le Premier ministre conservateur Boris Johnson a déclaré que des dizaines de milliers de policiers supplémentaires constitueraient le «socle absolu» de son gouvernement. Il a annoncé la mesure jeudi dans un discours dans lequel un mur de nouvelles recrues de policiers a été mobilisé pour servir d’arrière-plan.

Cette décision était inspirée de la tactique du président américain Donald Trump, dont la cérémonie d'inauguration a vu le personnel militaire apparaître derrière lui. Il y a deux ans, Trump a prononcé un discours entouré de policiers alors qu'il avertissait «chaque membre d'un gang et chaque étranger criminel. Nous allons vous trouver. Nous allons vous arrêter. Nous allons vous emprisonner. Et nous vous expulserons.» Le discours de Johnson a été prononcé quelques heures à peine après avoir accueilli le vice-président de Trump, Mike Pence, à sa résidence de Downing Street.

L'école de police de Wakefield, dans le West Yorkshire où Johnson a prononcé son discours, a pour directive officielle que tous les officiers doivent faire preuve d'impartialité politique.

Johnson a commencé son discours en déclarant à la police que ses ministres avaient annoncé des dépenses supplémentaires pour le Service national de la santé et l'éducation publique (ce qui est très loin de combler les énormes compressions budgétaires infligées aux deux services au cours des dix dernières années), avant de déclarer que ni l'un ni l'autre ne constitueraient une priorité majeure pour son gouvernement.

«Mais à mon avis, la police, des rues sûres, c'est le socle absolu de la société», a-t-il déclaré. «C'est ce qui dynamise une économie prospère et productive. Cela donne aux gens la confiance nécessaire pour investir […] pour améliorer leurs quartiers, des rues sûres sont absolument essentielles pour notre pays.»

Déclarant qu'en tant que maire de Londres, «j'étais effectivement commissaire de la police chargé de la lutte contre le crime», il a insisté: «La chose la plus importante que les hommes politiques puissent faire est de soutenir la police, de vous protéger au maximum dans vos missions. Il s’agit d’assurer que vous disposiez des protections juridiques appropriées pour des interventions importantes comme les pouvoirs d’arrestation et perquisition et surtout que vous ayez le financement adéquat pour vos besoins.»

Son gouvernement recrutera 6000 policiers et «ce n’est que le début» d’un «programme de recrutement de 20.000 agents de police supplémentaires». Cette «première phase» coûterait 750 millions de livres sterling et il y en aurait plus à l’avenir. Johnson a déclaré que le leader du parti travailliste Jeremy Corbyn «suggère maintenant que nous devrions dépenser un milliard de livres supplémentaires par mois, et non pas £ 750 millions, mais un milliard de livres de plus par mois, pour rester dans l'Union européenne après le 31 octobre et je ne pense pas que ce soit une bonne utilisation des fonds publics et je vais m'assurer que nous n'avons pas ce délai inutile.»

L’éloge à la gloire de la police par Johnson doit être comprise dans le contexte des plans du gouvernement, dans le cadre de l' opération Yellowhammer, visant à déployer toute la force de l'État pour contenir les troubles civils post-Brexit. Déjà en janvier dernier le ministre délégué à la défense, Tobias Elwood, avait déclaré à des ministres du gouvernement de Theresa May, lors d'une réunion sur les dispositions pour un Brexit sans accord, que 30.000 soldats réguliers et 20.000 réservistes devraient être prêts au déploiement au moment où le Royaume-Uni quitterait l'UE. En avril, il a été révélé que plus de 10.000 policiers anti-émeute viendraient en renfort aux soldats, qui seraient prêts à se mobiliser dans les 24 heures requises. La première vague de 1000 policiers anti-émeute sera disponible pour une mobilisation n'importe où en une heure à peine.

Les travaillistes ont réagi à la provocation de Johnson en affirmant leur propre attachement à l’état de droit. Louise Haigh, ministre fantôme de la police et ancienne policière volontaire, a qualifié la mise en scène du discours de Johnson de «méprisable», les policiers étant «utilisés comme complices de la campagne électorale après avoir voté pour éliminer des milliers de postes de leurs collègues». Diane Abbott, ministre fantôme travailliste de l’intérieur et proche collaboratrice de Corbyn a déclaré: «Quand les conservateurs ont réduit le nombre de policiers jusqu'à la limite, est-il vraiment bon que le Premier ministre en utilise un grand nombre comme accessoires?» Depuis des mois, Corbyn réclame de milliers de policiers supplémentaires, une revendication qui figure dans le manifeste du Parti travailliste de 2017 promettant le recrutement de 10.000 policiers dès sa prise de fonctions au gouvernement.

Au cours de son discours, Johnson a déclaré qu'il préférait «mourir dans un fossé» que d'accepter une prolongation du Brexit au-delà du 31 octobre - comme l'ont demandé le Parti travailliste et les autres principaux partis d'opposition, le Parti national écossais, les Démocrates libéraux et le Plaid Cymru du Pays de Galles. Cette crise de nerfs s’est produite au moment où la Chambre des lords a accepté de renvoyer le projet de loi rédigé par le blairiste de droite Hilary Benn sans amendement à la Chambre des communes, écartant le soutien des députés à un Brexit sans accord que Johnson menace d’imposer.

Le gouvernement savait qu'il n’était pas en mesure d’empêcher le projet de loi de suivre son cours et a décidé d’y enlever toute obstruction par les Lords. Le projet de loi oblige Johnson à demander que l'UE accepte de reporter le Brexit jusqu'au 31 janvier 2020, à moins que les députés n'approuvent un nouvel accord ou ne votent en faveur d'une sortie sans accord d'ici le 19 octobre. Il sera promulgué lundi.

Vendredi, le parti travailliste et quatre autres partis d'opposition - le parti national écossais, les Démocrates libéraux, Plaid Cymru et le groupe indépendant (composé d'anciens députés travaillistes blairistes et de conservateurs) ont tenu une vidéo-conférence pour convenir qu'ils ne soutiendraient pas la convocation d'élections générales avant que l'UE n’ait décidé de prolonger le Brexit.

Les partis d'opposition ont voté contre Johnson après qu'il eut présenté une motion mercredi soir réclamant des élections le 15 octobre en vertu de la loi sur la durée du mandat parlementaire. Ce dernier pacte signifie qu'ils voteront contre la deuxième tentative lundi soir de Johnson pour déclencher une élection anticipée.

Le Financial Times (FT) a rapporté: «Ils [les partis de l'opposition] ont également abandonné l'idée de présenter lundi une motion de censure au Premier ministre, qui pourrait déclencher des élections plus tard en octobre, selon les connaissances intimes de deux personnes au sujet de la conversation privée.»

Le gouvernement Johnson est ballotté dans tous les sens ayant déjà perdu sa majorité parlementaire et expulsé 21 députés rebelles conservateurs après leur refus de soutenir un Brexit sans accord cette semaine.

La semaine dernière, dans l'éditorial du Financial Times, envisageait que les blairistes et les démocrates libéraux pourraient être amenés à considérer la proposition de «gouvernement intérimaire dirigé par Jeremy Corbyn du Parti travailliste» comme le moyen le plus susceptible d'empêcher un Brexit sans accord avec l’UE. Corbyn avait promis de mener à bien cette tâche unique avant d'organiser des élections générales, ainsi que l’engagement d’organiser un deuxième référendum sur le Brexit. Le FT s’opposait à l'insistance des Libéraux démocrates que Corbyn cède la direction d'un gouvernement par intérim au cacique conservateur Ken Clarke ou à la blairiste Harriet Harman ainsi que le plan de pérenniser un tel arrangement en vue d’établir un gouvernement d’unité nationale permanent.

En fin de compte, Corbyn a accepté d'abandonner les appels en faveur d'un vote de censure et d'un gouvernement par intérim et en faveur du projet de loi de Benn. Il a tellement bien fait son travail pour la faction pro-UE de la classe dirigeante que le FT pense pouvoir souligner sa propre hostilité à l'égard de tout rôle gouvernemental à long terme pour Corbyn.

Jeudi, il avait prévenu qu'un gouvernement Corbyn menacerait de «défaire une grande partie de la révolution thatchérienne des années 1980». Les politiques de Thatcher a-t-il déclaré, «bien qu’elles soient souvent brutales, ont mené à un changement dans les rapports de force entre le travail et le capital».

La City de Londres ne craint pas Corbyn ni son ministre fantôme des finances, John McDonnell, qui passe tout son temps à rassurer les banquiers que le Parti travailliste ne leurs voudra pas de mal.

Le rôle essentiel de Corbyn depuis son entrée en fonction, qui a été vital pour les grandes entreprises pendant la crise actuelle, a été d'empêcher à tout prix une intervention sociale et politique indépendante de la classe ouvrière. Cependant, le souci des milieux dirigeants reste de faire en sorte que rien ne soit fait qui encourage les travailleurs, dans des conditions de croissance de la lutte de classe sur le plan international, à demander à Corbyn de tenir ses promesses de mettre fin à l'austérité et au militarisme. Pour eux, mieux vaut qu’il continue à semer la confusion et la paralysie pendant que les factions de droite groupées autour des pro- et anti- Brexit se disputent le meilleur moyen d'affirmer les intérêts de l'impérialisme britannique contre ses rivaux au niveau international et contre la classe ouvrière du pays.

(Article paru en anglais le 7 septembre 2019)

Loading