Wall Street donne à GM et à l’UAW le temps d'épuiser les grévistes et d'imposer des reculs

La grève des 48.000 travailleurs de l'automobile de GM est entrée dans sa troisième semaine. Les travailleurs sont déterminés à lutter contre les constructeurs automobiles, et réclament de plus en plus une lutte unie des travailleurs de GM, Ford et Fiat Chrysler et de l'ensemble de l'industrie de l'automobile et des pièces automobiles.

Cependant, les travailleurs font face à une offensive combinée des Travailleurs unis de l'automobile (TUA, UAW – United Auto Workers) et de GM, soutenus par Wall Street. Les TUA continuent de garder les travailleurs dans l'ignorance. Le syndicat n'a émis aucune demande officielle. En même temps, les TUA isolent la grève en forçant les travailleurs de Ford et de Fiat Chrysler à rester au travail. Et à compter de cette semaine, ils ne verseront que 250 $ par semaine d'indemnités de grève sur les 800 millions de dollars du fonds de grève du syndicat, sachant pertinemment que cela entraînera de terribles difficultés économiques pour les travailleurs.

En bref, GM et les TUA attendent de juger que les travailleurs soient suffisamment épuisés pour accepter un accord profondément impopulaire.

Les investisseurs financiers de GM ont clairement fait savoir qu'ils étaient prêts à accepter des pertes à court terme à la suite de la grève, à condition que l'entreprise impose de profondes concessions, en particulier la réduction des prestations de soins de santé et l'expansion des bas salaires temporaires, qui vont fortement augmenter les profits à long terme de l'entreprise.

C'était le sens d'un reportage de CNBC de vendredi dernier, intitulé «Wall Street reste patient alors que la grève des TUA contre GM traîne en longueur et que les pourparlers avancent». Le reportage a souligné le fait que le cours de l'action GM est resté «relativement stable» depuis le début de la grève. «Les investisseurs ne sont pas si inquiets parce qu'ils voient la grève comme une douleur à court terme qui se traduira par une baisse des coûts de main-d'œuvre à long terme, même si cela coûte au constructeur automobile des centaines de millions, voire des milliards, de dollars en perte de production», selon le réseau câblé.

«Nous comprenons que c'est un gros titre et que c'est digne d'intérêt, mais dans le grand plan de la stratégie de GM, ils vont mettre cela derrière eux, et ils ont des problèmes beaucoup plus importants à régler au niveau du conseil d'administration», a déclaré Adam Jonas, analyste de Morgan Stanley, au programme «Squawk on the Street» de CNBC.

En d'autres termes, les investisseurs de l'entreprise sont prêts à donner à GM le temps dont elle a besoin pour vaincre la grève, tout contrat de concession servant de base à une attaque plus large contre les travailleurs de l'automobile et toute la classe ouvrière. Cependant, si GM ne parvient pas à imposer des concessions majeures à sa main-d'œuvre, Wall Street punira le géant de l'automobile en faisant couler ses actions et en rétrogradant son crédit.

Fait significatif, pas un seul analyste interrogé dans le reportage ne s'est même donné la peine d'évoquer la possibilité que les négociateurs des TUA forcent l'entreprise à renoncer à ses revendications. Au contraire, les investisseurs ont déjà tenu compte d'une capitulation des TUA dans leurs calculs financiers.

L'analyste de Bank of America Merrill Lynch, John Murphy, dans une note aux investisseurs vendredi, a déclaré: «Dans l'ensemble, la grève n'est pas bonne pour les finances de GM à court terme, mais étant donné l'historique des contrats de travail de GM, nous pensons que les investisseurs restent favorables à une position dure mais équitable.»

Les investisseurs de Wall Street ont depuis longtemps pris la mesure des TUA, qui collaborent avec les constructeurs automobiles depuis des décennies pour fermer des usines et réduire les salaires.

Ils savent aussi que les intérêts financiers des TUA sont alignés sur ceux de GM, parce qu'ils détiennent des milliards d'actions de GM et qu'ils comptent sur le fonds de grève pour soutenir les salaires des fonctionnaires. GM transfère également de l'argent directement dans les poches de la bureaucratie par l'intermédiaire du centre de formation conjoint qu'elle gère avec les TUA. Il a dépensé plus de 3 milliards de dollars pour le Centre de formation conjoint TUA-GM depuis son ouverture au début des années 80, selon Thomas Adams, historien du travail et critique des TUA.

Les TUA ne s'opposent pas aux réductions importantes des prestations de santé ou à la vaste expansion des travailleurs temporaires: ils les appuient. En 2015, la tentative des TUA de faire adopter une «Coopérative de soins de santé» contrôlée par le syndicat n'a été vaincue que par la révolte des travailleurs de Fiat Chrysler qui savaient que les TUA avaient l'intention de réduire les prestations des travailleurs actuels comme ils le faisaient pour les retraités couverts par la Fiducie des soins médicaux des retraités des TUA. En même temps, les TUA ont servi de modèle aux usines qui construisent des véhicules électriques, l'usine d'assemblage d'Orion, juste au nord de Detroit. L'année dernière, Cindy Estrada, alors vice-présidente de TUA-GM (maintenant à la tête de l'équipe de négociation Fiat Chrysler du syndicat) a signé un «accord d'exploitation concurrentiel» secret qui permet à 40 % des travailleurs de l'usine d'être des contractuels à bas salaires qui représentent environ la moitié du salaire des travailleurs âgés qui ont été congédiés.

La chose la plus dangereuse pour les travailleurs est d’entretenir des désirs chimériques ou d'«attendre de voir ce qui va se passer». Les TUA feront ce qu'ils ont fait au cours des quatre dernières décennies: collaborer avec la direction pour réduire le niveau de vie des travailleurs et accroître leur exploitation. C'est pourquoi la différence entre la victoire ou la défaite de cette grève dépend entièrement de l'initiative indépendante des travailleurs de la base.

La conduite de la lutte doit être retirée des mains des TUA corrompus en élisant des membres de la base et des comités d'usine. Ces comités devraient unifier les travailleurs de GM, de Ford et de Fiat Chrysler et étendre la grève à l'ensemble de l'industrie automobile et des pièces d'automobile. En même temps, ces comités devraient s'efforcer de mobiliser toutes les sections de travailleurs et de jeunes, y compris les enseignants et les travailleurs de la santé, Amazon et d'autres travailleurs de la logistique, et unifier les travailleurs américains avec leurs frères et sœurs de classe au Canada, au Mexique et dans le monde.

En même temps, les travailleurs de l'automobile devraient exiger le triplement des indemnités de grève à 750 $ par semaine, qui devraient être financées en liquidant les actifs des centres de formation conjoints et en réduisant les salaires du personnel gonflé des TUA au niveau des indemnités de grève. En même temps, les travailleurs doivent se préparer à respecter le principe «Pas de contrat, pas de travail» et défier tout ordre de retour au travail avant un vote de ratification d'un accord. Les travailleurs doivent insister sur le fait qu'ils doivent avoir accès à la totalité de l'entente de principe – et non à des «faits saillants» bidons – et à une semaine complète pour étudier l'entente et en discuter avant tout vote. Enfin, les travailleurs doivent superviser l'ensemble du processus de ratification pour prévenir la fraude et le truquage des votes.

Les travailleurs devraient se rappeler la campagne de mensonges et d'intimidation qui a eu lieu lors des votes sur les contrats de 2015, notamment l'envoi de Norwood Jewell et Cindy Estrada, l'une condamnée et l'autre impliquée dans le scandale de la corruption, pour intimider les travailleurs avec des menaces de fermeture d'usine et des licenciements massifs. Le processus s'est terminé par des allégations généralisées de la part des travailleurs de Ford concernant des irrégularités dans le vote et le bourrage des bulletins de vote lors d'un vote clé à l'usine de camions Dearborn avant que les TUA annoncent que l'accord national avait été «ratifié» par une majorité très mince de 51-49 %.

La grève de GM est maintenant la plus longue grève depuis la grève de 21 jours des travailleurs de Ford en 1976 et la grève de 67 jours de GM en 1970. Alors que la grève entre dans sa troisième semaine, les travailleurs doivent tenir compte des signes révélateurs que les TUA préparent une autre capitulation comme ils l'ont déjà fait un nombre incalculable de fois.

Les travailleurs de GM bénéficient d'un soutien populaire aux États-Unis et dans le monde entier. Mais ce soutien ne peut être mobilisé que si les travailleurs se libèrent des chaînes des TUA, en organisant des comités grèves d'usine pour prendre en main la conduite de cette bataille. Il faut briser l'isolement de la grève en l'étendant aux travailleurs de Ford et de Fiat Chrysler et en s'unissant aux travailleurs de GM au Mexique, au Canada, en Corée et ailleurs dans le monde dans une lutte commune contre les sociétés transnationales.

(Article paru en anglais le 30 septembre 2019)

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