Élections au Canada: les sondages prédisent un parlement minoritaire

Alors que la campagne pour l'élection fédérale du lundi 21 octobre en est à ses derniers jours, les sondages d'opinion suggèrent fortement qu'aucun parti ne remportera une majorité parlementaire.

Les libéraux au pouvoir et les conservateurs sont au coude à coude, chacun appuyé par un peu moins du tiers de l'électorat. Au cours de la campagne, les partis traditionnels de gouvernement de la classe dirigeante ont perdu un appui considérable au profit du NPD, le parti social-démocrate appuyé par une aile de la bureaucratie syndicale, et du Bloc québécois, le parti frère fédéral du Parti québécois pro-indépendance.

Les médias corporatifs concèdent qu'il y a peu d'enthousiasme populaire pour le premier ministre Justin Trudeau et ses libéraux ou pour les conservateurs et leur possible premier ministre, Andrew Scheer. Une grande partie de l'électorat, affirment les sondeurs, votera davantage pour s'opposer à un parti que pour appuyer leur choix électoral.

La campagne électorale s'est surtout distinguée par son esprit de clocher et son caractère essentiellement frauduleux, le débat politique officiel tournant autour des plans rivaux des partis en matière de réductions d'impôts et, dans le cas de certains, de modestes augmentations des dépenses sociales.

La campagne officielle a exclu toute discussion de fond, ou même mention, des multiples crises interconnectées qui secouent le capitalisme mondial: de la guerre commerciale et de la probabilité croissante d'une implosion financière semblable à 2008, à la montée des tensions entre les grandes puissances, en passant par la crise politique sans précédent qui touche les États-Unis, de loin le plus important partenaire économique et stratégique du Canada.

Dans un silence qui équivaut à un consentement, aucun des partis n'a parlé des plans du gouvernement Trudeau de dépenser des dizaines de milliards de dollars pour acheter de nouvelles flottes de cuirassés et d'avions de guerre et d'augmenter les dépenses militaires de plus de 70 % d'ici 2026. De même, les discussions sur l'intégration de plus en plus poussée du Canada aux offensives militaires stratégiques de Washington contre la Chine et la Russie, et dans le Moyen-Orient riche en pétrole – où chacune pourrait déclencher une conflagration mondiale – ont été, dans les faits, censurées par tous les partis.

Les libéraux, le NPD, les Verts et le Bloc québécois prétendent tous que des mesures urgentes sont nécessaires pour lutter contre les changements climatiques. Mais leurs propositions, basées sur l'inviolabilité de la production pour le profit et du système capitaliste des États-nations, sont, au mieux, entièrement inadéquates et des promesses en l'air.

Avec l'appui des syndicats, le NPD se prépare à s'allier aux libéraux

Au cours des quatre dernières années, le NPD a eu de la difficulté à se distinguer des libéraux, même si le gouvernement Trudeau s'est employé à réarmer, à réduire les impôts des sociétés, à élargir davantage les pouvoirs de l'appareil de sécurité nationale et à criminaliser ou menacer de criminaliser les activités des travailleurs des postes et autres. Au début de la campagne électorale, le NPD, avec à peine 10 % d'appui dans le scrutin, faisait face à une débâcle électorale. Mais après une campagne au cours de laquelle les sociaux-démocrates ont lancé un appel très calibré à la colère populaire contre les inégalités sociales, le chômage précaire, l'endettement étudiant, un système de santé de plus en plus privatisé et une économie «truquée» contre le «peuple», leur soutien a apparemment fait une remontée.

Encouragé par la perspective que le NPD détienne la «balance du pouvoir» dans un gouvernement minoritaire, le chef du NPD, Jagmeet Singh, a annoncé à la fin de la semaine dernière les six «priorités urgentes» de son parti dans les négociations postélectorales avec Trudeau et ses libéraux. Ces priorités, qui comprennent des mesures minimalistes comme la réduction des factures de téléphone cellulaire, sont formulées de façon vague et sous la forme de propositions auxquelles les libéraux se sont, pour la plupart, dits favorables. Singh a souligné que le NPD insisterait seulement pour qu'une discussion ait lieu sur la façon de les mettre en oeuvre.

Puis, dimanche, Singh a proclamé que sous le prétexte d'empêcher les conservateurs de revenir au pouvoir, les sociaux-démocrates seraient prêts à envisager de servir dans un gouvernement de coalition dirigé par les libéraux. En 2008, le NPD, avec le plein appui des syndicats, a réagi à l'éclatement de la plus grande crise du capitalisme mondial depuis la Grande Dépression en concluant un accord mort-né avec les libéraux pour remplacer les conservateurs de Stephen Harper par un gouvernement de coalition qui s'était engagé à réduire de 50 milliards de dollars l'impôt des sociétés, à être «financièrement responsable» et à faire la guerre en Afghanistan jusqu'en 2011.

Soulignant l'appui inconditionnel du NPD aux alliances impérialistes du Canada, le NPD a publié lundi une déclaration exigeant qu'Ottawa travaille «avec ses alliés de l'UE et de l'OTAN» – c'est-à-dire les principaux responsables des guerres sans fin qui ravagent le Moyen-Orient – pour mettre fin à l'invasion réactionnaire du nord de la Syrie par la Turquie qui vise la minorité kurde du pays.

Le premier ministre Trudeau a réagi au resserrement de la course électorale en insistant encore plus sur l’idée que voter libéral est la seule façon de former un gouvernement «progressiste» qui «tiendra tête» au président américain Donald Trump et d'empêcher l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement conservateur, semblable à celui du détesté premier ministre populiste de droite de l'Ontario, Doug Ford, qui réduira considérablement les dépenses sociales.

Tout ça n'est que démagogie et mensonges.

C'est le gouvernement libéral de Chrétien-Martin, après une campagne qui dénonçait les conservateurs parce qu’ils étaient «obsédés» par le déficit, qui a mis en oeuvre les plus importantes réductions de dépenses sociales et d'impôt pour les grandes entreprises et les riches de l'histoire du Canada.

Et tandis que Trudeau, suivant les conseils du FMI, a quelque peu assoupli l'austérité fédérale à son arrivée au pouvoir en 2015, ses plus proches alliés provinciaux, le gouvernement libéral du Québec dirigé par Philippe Couillard et le gouvernement libéral de l'Ontario de Kathleen Wynne, ont réduit considérablement leurs dépenses sociales.

Quant à l'«opposition à Trump», le gouvernement Trudeau a collaboré étroitement avec lui et son administration, notamment en remodelant l'ALENA pour en faire plus directement un bloc de guerre commerciale, en encourageant Washington dans sa tentative, qui a échoué jusqu'à ce jour, de changement de régime au Venezuela, et en procédant à la modernisation du NORAD, le commandement aérien interarmées canado-américain.

Dans la mesure où Trudeau a été en désaccord avec Trump, c'est entièrement du point de vue des intérêts de la classe dirigeante canadienne. Par exemple, Trudeau et sa ministre des Affaires étrangères, le faucon de guerre Chrystia Freeland, partagent les préoccupations des services de renseignements américains, des démocrates et d'une faction du Parti républicain selon lesquelles Trump est trop conciliant avec la Russie.

Les conservateurs multiplient leurs appels réactionnaires

Pour leur part, les conservateurs multiplient leurs appels de droite dans les derniers jours de la campagne électorale. Leur objectif est double: rallier le soutien des grandes entreprises qui, par l'entremise des grands médias, se plaignent que leurs politiques sont «faibles» dans un contexte où la part du Canada dans le commerce et l'investissement mondial diminue; et mobiliser leur base populaire, dans une élection où la participation pourrait être décisive pour déterminer le résultat de nombreuses courses à deux, trois ou même quatre partis.

La plateforme conservatrice publiée vendredi dernier réclame des compressions massives, y compris une réduction de 25% du budget de l'aide étrangère et un gel de l'embauche dans le secteur public. Elle réitère également l'engagement des conservateurs à aligner encore plus étroitement la politique étrangère du Canada sur celle de Washington, en adoptant une position plus dure contre la Chine et en intégrant le Canada au bouclier antimissile balistique américain, dont le but ultime est de rendre Washington capable de «remporter» une guerre nucléaire.

Plus tôt la semaine dernière, Scheer a renouvelé les attaques à la Trump des conservateurs contre les libéraux pour avoir prétendument perdu le contrôle des frontières du pays, amenant des journalistes sur Roxham Road, à Huntingdon, au Québec, où des dizaines de milliers de réfugiés fuyant la chasse aux sorcières anti-immigrante de Trump sont arrivés au Canada.

Dès le début de la campagne, Scheer et Hamish Marshall, le directeur de campagne conservateur et ancien directeur du site Web d'extrême droite Rebel Media, ont eu comme principale préoccupation d'empêcher le nouveau Parti populaire du Canada (PPC) de gagner de l'influence dans les élections. Dirigé par Maxime Bernier, qui a terminé deuxième après Scheer dans la course à la direction du Parti conservateur en 2017, le PPC s'inspire de l'AfD et d'autres partis d'extrême droite européens. Il qualifie «l'immigration de masse» et le «multiculturalisme» de menaces pour la «civilisation occidentale».

Les conservateurs sont de connivence avec des éléments d'extrême droite pour répandre des rumeurs et des insinuations du type #MeToo contre Trudeau, à la suite de leur tentative hypocrite d'utiliser le pseudo-scandale du «blackface» pour discréditer le premier ministre libéral.

Dans l'éventualité d'un gouvernement minoritaire, la voie la plus probable pour les conservateurs serait de conclure une entente avec le Bloc québécois, qui a appuyé à maintes reprises le gouvernement conservateur de Harper alors qu'il n'avait pas la majorité parlementaire entre 2006 et 2011. La campagne du Bloc s'est concentrée sur la défense du projet de loi 21, une loi adoptée par le gouvernement provincial «Québec d'abord» de la CAQ qui s'attaque aux minorités religieuses. À cela s'ajoutent des dénonciations hypocrites de la «pétroéconomie» canadienne et des appels malhonnêtes à une augmentation des dépenses sociales.

Quel que soit le résultat des élections, les politiques du prochain gouvernement seront déterminées non pas par les promesses électorales, mais par les besoins de la classe dirigeante canadienne dans des conditions de crise économique, d'intensification du conflit entre les grandes puissances et d'opposition croissante d'une classe ouvrière de plus en plus militante au Canada et dans le monde.

Une mise en garde spécifique doit être faite au sujet d'une alliance gouvernementale NPD-libéraux soutenue par les syndicats, que ce soit sous la forme d'une coalition formelle, d'un accord de «confiance et de soutien» ou d'une entente plus informelle. Comme le gouvernement libéral actuel, une telle alliance gouvernementale utiliserait une rhétorique progressiste, une politique identitaire et un partenariat avec les syndicats comme écran de fumée pour poursuivre le programme de la bourgeoisie: le réarmement, l'affirmation agressive des intérêts impérialistes canadiens dans le monde et une attaque sans fin contre la position et les droits sociaux de la classe ouvrière.

(Article paru en anglais le 16 octobre 2019)

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