La junte algérienne sabre dans les subventions à l'énergie sur fond de manifestations de masse

Alors que les travailleurs et les jeunes algériens descendaient dans les rues pour la 35e semaine de manifestations de masse contre le régime militaire du général Ahmed Gaïd Salah, son projet de loi énergétique visant à réduire les subventions et à augmenter les prix de vente de l'énergie pour les travailleurs algériens a provoqué une profonde colère. Le projet de loi a souligné les intérêts impérialistes servis par le régime, qui a annoncé une élection présidentielle pour le 12 décembre - la première élection depuis l'éviction de l'ancien président Abdelaziz Bouteflika.

Dimanche dernier, des centaines de personnes ont manifesté devant le Parlement contre le projet de loi approuvé par les ministres. Le cabinet a également approuvé le budget de 2020, qui réduit les dépenses publiques de 9,2 pour cent et introduit de nouvelles taxes afin de réduire un déficit budgétaire qui devrait s'établir à 7,2 pour cent du produit intérieur brut (PIB).

Des unités de police ont été déployées pour réprimer les manifestations mais n'ont pas réussi à disperser la foule. Les principaux quartiers entourant le palais Zighout Youcef, siège de l'Assemblée nationale populaire, ont été envahis par des manifestants en colère.”

Les manifestants ont dénoncé le projet de loi énergétique en scandant: «Ce pays n'est pas à vendre», «Les législateurs traîtres» et «Vous avez pillé ce pays». Un manifestant a déclaré: «C'est une loi écrite par des entreprises étrangères dans leur propre intérêt, même le régime l'admet.»

Quelques jours auparavant, le ministre de l'énergie, Mohamed Arkab, avait annoncé: «Nous avons discuté avec les grandes entreprises classées parmi les cinq meilleures au monde, et nous avons eu l'occasion de constater deux aspects qui doivent être améliorés dans la loi actuelle sur les hydrocarbures: à savoir, le cadre réglementaire et le système fiscal.»

La Sonatrach, le monopole national algérien de l'énergie, s'est entretenue avec un certain nombre de grandes sociétés du secteur de l'énergie, notamment les sociétés américaines Exxon Mobil et Chevron, ainsi que plusieurs sociétés européennes.

Alors que les prix mondiaux du pétrole et du gaz baissent, le régime de Salah fait adopter une réforme de l'énergie préparée de longue date. Il vise à appauvrir les travailleurs ordinaires et à intensifier le pillage de l'Algérie dans l'intérêt de l'impérialisme et de la bourgeoisie algérienne qui a provoqué les manifestations de masse contre le régime. Depuis la baisse des prix du pétrole en 2014, plus de 90 pour cent des ménages ont déclaré que leur niveau de vie avait baissé.

L’hebdomadaire Arab Weekly, qui a obtenu un exemplaire du projet de loi, indique que «le gouvernement prévoit de supprimer les subventions sur les prix de l'énergie et de l'électricité et de les aligner sur les prix internationaux. Il continue: «La suppression des subventions pourrait entraîner une augmentation de près de 300 pour cent des prix de vente de l'essence, du diesel et de l'électricité, et le budget de la plupart des familles algériennes ne serait pas en mesure de faire face à ces augmentations.»

Les responsables affirment qu'il est essentiel d'éliminer le système de subventions, car la majeure partie des 15 milliards de dollars budgétés pour les subventions est destinée à des personnes qui, disent-ils avec cynisme, «n'en ont pas besoin».

Raouf Farrah, analyste politique, a déclaré à El Watan: «Le gouvernement ne le dit pas au peuple algérien, mais ce projet marquera un net recul pour le contrôle public et la mise en œuvre de projets pétroliers favorables aux intérêts des sociétés transnationales.»

En foulant aux pieds l’opposition de masse qui s’est focalisée sur Bouteflika, le régime tente de faire passer en force un projet de loi dont Bouteflika eut discuté avec les sociétés pétrolières et espérait faire adopter s’il avait obtenu un cinquième mandat. Farrah a déclaré: «Les grandes lignes de ce projet ont été discutées et approuvées lors des discussions avec Total, Exxon, ENI et Repsol avant le 22 février 2019. En effet, le régime de Bouteflika visait à modifier la loi de 2005 sur les hydrocarbures, partiellement modifiée en 2013, pour obtenir le soutien politique des transnationales de l'énergie afin qu'elles soutiennent sa candidature pour un cinquième mandat.»

Cela apporte une nouvelle confirmation que la bourgeoisie algérienne, comme dans tous les anciens pays coloniaux, est incapable d'établir une véritable indépendance vis-à-vis de l'impérialisme. La tentative de Bouteflika de briguer un cinquième mandat provoqua de nombreuses protestations parmi les travailleurs et les jeunes, qui ont conduit à son éviction par l'armée au printemps. Pourtant, même après l'éviction de Bouteflika et l'emprisonnement de dizaines de milliardaires et de hauts responsables proches de lui pour corruption, ses lois illégitimes visant à piller l'Algérie sont toujours en vigueur, avec l'approbation des autorités militaires.

L'Algérie est le troisième plus grand fournisseur de gaz naturel d'Europe et sa richesse en gaz naturel est au centre de son économie. Les exportations d'hydrocarbures représentent plus de 95 pour cent des recettes en devises étrangères et 40 pour cent du budget de l'État. La forte chute des prix de l'énergie depuis 2014 a porté le déficit public à 9 pour cent du PIB en 2018, et l'État a réagi par des mesures d'austérité drastiques. Les réserves en dollars de l'Algérie ont chuté de 178 milliards à 89 milliards de dollars au cours de cette période.

Au cours de cette même période, sous Bouteflika, une infime couche d’oligarques liée aux couches supérieures du régime a vue son emprise sur la Sonatrach faire augmenter massivement sa richesse déjà obscène. Les 10 pour cent les plus riches de la population algérienne détiennent 80 pour cent de la richesse du pays, tandis que 35 pour cent de la population vit dans la pauvreté et subsiste avec moins de 1,25 USD par jour.

La seule solution progressiste consiste pour les travailleurs à faire tomber la junte militaire, à exproprier les milliardaires actuellement en prison et à gérer le secteur de l'énergie en Algérie comme un service public. Le mouvement de protestation de masse qui a éclaté en février se heurte au fait que ses objectifs fondamentaux ne peuvent être atteints que par la mobilisation révolutionnaire de la classe ouvrière dans un mouvement contre le capitalisme et l'impérialisme.

Craignant la recrudescence des luttes en Algérie et en Afrique du Nord, ainsi qu'en Europe, les puissances impérialistes cherchent, au nom de changements «démocratiques» et «constitutionnels», à conclure rapidement un accord avec les différentes forces bourgeoises algériennes pour mettre fin au mouvement.

Le mois dernier, Marie Arena, présidente de la sous-commission des droits de l'homme du Parlement européen, a déclaré sa solidarité avec les manifestations de masse contre Bouteflika qui éclatèrent en février. Dans une vidéo sur les médias sociaux, elle a déclaré: «Aujourd'hui, les manifestants sont des hommes, des femmes et des jeunes qui réclament la démocratie en Algérie. Nous les soutenons ici au Parlement européen en organisant une audition avec un certain nombre d'acteurs de la révolution en cours en Algérie.»

Elle a déclaré que les manifestants «exigent bien sûr la tenue d'élections, mais pas selon le modèle actuel, ni sous le régime actuel, ni avec les règles du régime actuel». Elle a poursuivi: «Ils exigent qu'il y ait des changements dans la Constitution, qu'il y ait un pluralisme politique, qu'il y ait une liberté d'expression et d'association, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui en Algérie.»

La déclaration d'Arena pue d'hypocrisie. Les puissances de l'UE soutiennent régulièrement les régimes militaires pour réprimer la classe ouvrière tout en affirmant cyniquement soutenir la «démocratie». L'UE collabore ouvertement avec le dictateur militaire égyptien Abdel Fattah al-Sissi et soutient tacitement sa terreur sanglante contre la classe ouvrière égyptienne.

(Article paru en anglais le 19 octobre 2019)

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