Conclusion de la campagne électorale

Les travailleurs canadiens doivent se préparer à des luttes explosives

Quel que soit le résultat des élections fédérales canadiennes, les travailleurs et les jeunes seront bientôt plongés dans des luttes sociales et politiques explosives.

Selon les sondages d'opinion, pour la toute première fois, ni l'un ni l'autre des partis traditionnels des grandes entreprises du gouvernement national – les libéraux ou les conservateurs – ne commande l'appui d'un tiers de l'électorat.

Les caprices du système uninominal majoritaire à un tour pourraient permettre encore aux libéraux au pouvoir, dirigés par Justin Trudeau ou Andrew Scheer et ses conservateurs, de s'en sortir avec une majorité parlementaire.

Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, s'adresse aux journalistes depuis le toit de l'ambassade du Canada à Washington. (AP Photo/J. Scott Applewhite)

Mais que les libéraux ou les conservateurs obtiennent la majorité ou, comme cela semble maintenant beaucoup plus probable, que le Canada soit gouverné par une alliance dirigée par les libéraux et regroupant le Nouveau Parti démocratique (NPD) et éventuellement les Verts, ou par un gouvernement conservateur minoritaire appuyé par le Bloc québécois, le prochain gouvernement intensifiera l'attaque de la classe dirigeante contre la position sociale des travailleurs au pays et mènera une politique agressive et guerrière sur la scène mondiale.

Les actions du nouveau gouvernement ne seront pas déterminées par les fausses promesses faites pendant la campagne, mais par la crise systémique du capitalisme mondial. Enfermées dans une lutte désespérée pour les marchés, les profits et les avantages stratégiques et confrontées à l'opposition sociale croissante d'une classe ouvrière de plus en plus militante, les élites dirigeantes capitalistes du monde entier se tournent vers la réaction, la guerre, les méthodes autoritaires de gouvernement et l’attisement de l'extrême droite.

La classe dirigeante du Canada, qui s'est historiquement nourrie à la table du banquet de l'impérialisme britannique d'abord, puis américain, et qui a été l'un des principaux belligérants dans les deux guerres mondiales impérialistes du siècle dernier, n'est pas différente. Déjà au cours des 18 derniers mois, elle a propulsé au pouvoir dans trois des quatre provinces les plus populeuses du pays - l'Ontario, le Québec et l'Alberta – des gouvernements ayant à leur tête des populistes de droite qui s'attaquent aux services publics et aux droits des travailleurs.

Pendant ce temps, le gouvernement libéral de Trudeau a fait un virage de plus en plus à droite. Rien que l'année dernière, il a de nouveau réduit les impôts des entreprises, criminalisé une grève des postiers, attaqué les droits des réfugiés, étendu le pouvoir et la portée de l'appareil de sécurité nationale et soutenu sans réserve le coup d'État avorté «Made in USA» contre le gouvernement élu du Venezuela.

Complot du silence sur la guerre et tournant vers l'autoritarisme

La campagne électorale qui s'est achevée hier s'est surtout distinguée par son caractère paroissial, avilissant et surtout frauduleux. La campagne officielle a exclu toute discussion de fond sur les questions cruciales auxquelles sont confrontés les travailleurs – l'insécurité économique croissante et les inégalités sociales, l'atteinte aux droits démocratiques, le réarmement et la menace de guerre.

La classe dirigeante n'ose pas discuter ouvertement de son programme de droite, car elle sait qu'il provoquerait une opposition massive de la classe ouvrière.

Dans un silence qui révèle le consentement, aucun des partis n'a fait état des plans du gouvernement Trudeau de dépenser des dizaines de milliards de dollars pour l'achat de nouvelles flottes de cuirassés et d'avions de guerre et d'augmenter les dépenses militaires de plus de 70 % d'ici 2026. De même, les discussions sur l'intégration de plus en plus poussée du Canada dans les offensives militaires stratégiques de Washington contre la Chine et la Russie, et dans le Moyen-Orient riche en pétrole – dont chacune pourrait déclencher une conflagration mondiale – ont été essentiellement censurées par un accord multipartite.

De même, les débats entourant la campagne électorale n’ont soufflé mot sur les attaques de plus en plus grandes contre les droits démocratiques. Cela comprend: la criminalisation systématique des luttes ouvrières par le biais des lois antigrèves fédérales et provinciales; l'habilitation du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) à enfreindre pratiquement toute loi visant à perturber les prétendues menaces à la «sécurité nationale»; le droit que s’arrogent les services de renseignement de surveiller les communications électroniques des Canadiens; la «normalisation» de l'utilisation par les gouvernements de la «clause dérogatoire» antidémocratique.

Le projet de loi 21, la loi chauvine visant les minorités religieuses que le gouvernement québécois de la CAQ a adoptée en juin dernier, a fait son entrée en campagne électorale, mais seulement parce que le premier ministre François Legault en a fait un enjeu. Devant l'exigence de Legault de ne pas contester la constitutionnalité du projet de loi 21 devant les tribunaux, tous les chefs de parti, y compris Jagmeet Singh du NPD, se sont prosternés.

Le NPD et les syndicats manigancentla création d’une coalition de droite avec les libéraux

Vers la fin de la campagne, Trudeau a mis de plus en plus l’accent sur les affirmations selon lesquelles l'élection d'un gouvernement «progressiste» dirigé par les libéraux était le seul moyen d'empêcher l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement conservateur, semblable à celui du premier ministre populiste de droite de l'Ontario, le détesté Doug Ford, qui réduirait considérablement les dépenses sociales.

C'est une vieille ruse. À maintes reprises, les libéraux, le parti de gouvernement préféré de la classe dirigeante pendant la plus grande partie du siècle dernier, se sont opposés aux prescriptions politiques des conservateurs (et, dans les années 1990 et 2000, du Parti réformiste/Alliance canadienne) pour les reformuler et les mettre en œuvre une fois les votes comptabilisés.

Pour ne citer qu'un exemple, c'est le gouvernement libéral de Chrétien-Martin, élu sur la base des dénonciations des conservateurs et leur «obsession» du déficit, qui a mis en œuvre les plus importantes réductions des dépenses sociales et les plus importantes réductions d'impôt pour les grandes entreprises et les riches de l'histoire canadienne.

Les médias corporatifs et les bureaucrates syndicaux ont beaucoup insisté sur le fait que le gouvernement Trudeau, conformément aux recommandations du FMI, a enregistré des déficits budgétaires. Mais c'est beaucoup moins qu'il n'y paraît. Derrière un écran de fumée de rhétorique «progressiste» – la promotion d'une politique de genre et d'identité ethnoraciale et de fausses déclarations d'inquiétude au sujet de la croissance des inégalités sociales – le gouvernement Trudeau a appliqué le cadre fiscal réactionnaire établi par les gouvernements libéraux et conservateurs successifs au cours des trois décennies précédentes: des impôts extrêmement bas pour les grandes entreprises et les riches, et des services publics et sociaux rationnés. Cela comprend la réduction de dizaines de milliards de dollars des dépenses en soins de santé.

De plus, les plus proches alliés provinciaux de Trudeau, le gouvernement libéral du Québec dirigé par Philippe Couillard et le gouvernement libéral de l'Ontario de Kathleen Wynne, ont procédé à des compressions radicales des dépenses sociales.

Les sondages suggèrent que les sociaux-démocrates du NPD ont évité une autre déroute électorale en faisant une feinte à gauche. Singh et ses néo-démocrates ont lancé un appel calibré et très limité aux griefs socio-économiques des travailleurs et des jeunes, en promettant un régime national d'assurance-médicaments, un allégement pour les étudiants endettés, des impôts modestes pour les grandes entreprises et les super-riches, et en dénonçant les libéraux et les conservateurs qui «truquent» l'économie en faveur de leurs amis dans les entreprises.

Tout cela n'est qu'une fraude, pas moins effrontée que les prétentions de Trudeau de «défendre les travailleurs». Non seulement les timides réformes préconisées par le NPD sont lamentablement inadéquates pour faire face à la crise sociale que vivent les travailleurs, mais le NPD n'a pas vraiment l'intention de les mettre en oeuvre.

Dès qu'il est devenu évident que les partis du gouvernement de la classe dirigeante canadienne perdaient leur appui, les sociaux-démocrates ont manifesté clairement leur intention d'appuyer un gouvernement proguerre, proaustérité, dirigé par les libéraux, si l'arithmétique parlementaire le permettait. À cette fin, Singh a déjà annoncé six «priorités clés», y compris des exigences minimalistes comme la réduction des frais de téléphone cellulaire, qu'il veut que Trudeau prenne en considération lorsqu'il négocie une alliance gouvernementale entre le Parti libéral et le NPD. Comme par hasard, la plupart des «priorités» de Singh coïncident avec les promesses libérales.

Soulignant encore davantage la volonté des sociaux-démocrates de travailler en tant que partenaires subalternes des libéraux des grandes entreprises, Singh a proclamé à maintes reprises la volonté du NPD d'entrer dans un gouvernement de coalition dirigé par les libéraux.

Les deux factions de la bureaucratie syndicale – celle dirigée par Unifor, le plus grand syndicat industriel du pays, qui a ouvertement appuyé la réélection de Trudeau sous la bannière «N'importe qui sauf les conservateurs», et celle qui poursuit la politique traditionnelle des syndicats de soutenir le NPD sur le plan électoral – attendent avec impatience un gouvernement dirigé par les libéraux et appuyé par le NPD.

Les bureaucrates syndicaux espèrent qu'avec la participation du NPD à la formulation de la politique gouvernementale, ils seront en mesure d'élargir davantage leurs relations corporatistes avec les grandes entreprises et l'État.

Pendant des décennies, les syndicats procapitalistes ont imposé des réductions d'emplois et de salaires et d'autres reculs, saboté les luttes de masse contre l'austérité comme le mouvement de masse anti-Harris des années 1990 ou la grève étudiante québécoise de 2012, et ont fait accepter les lois antigrèves adoptées par les gouvernements de toutes tendances, des conservateurs aux libéraux et au NPD en passant par le Parti Québécois.

L'hostilité des sections prolibérales et pro-NPD de la bureaucratie syndicale envers la classe ouvrière a été soulignée au cours de la campagne électorale elle-même. Unifor n'a pas levé le petit doigt pour mobiliser les travailleurs canadiens de l'automobile en faveur des grévistes américains de GM, tout comme il a étouffé toutes les actions syndicales contre la fermeture de l'usine GM d'Oshawa et a systématiquement dressé les travailleurs canadiens contre leurs frères et sœurs américains et mexicains.

Plus tôt ce mois-ci, le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), l'un des plus importants syndicats pro-NPD, s'est plié aux demandes du gouvernement conservateur de l'Ontario et a accepté des réductions réelles des salaires et avantages sociaux de 55.000 employés de soutien dans les écoles. L'accord entériné par le SCFP pour les employés de soutien ouvre la voie au gouvernement populiste de droite de Ford qui imposera les mêmes conditions de réduction des salaires à plus d'un million de travailleurs du secteur public dans toute la province. De plus, il divise les travailleurs de l'éducation de la province, ce qui facilite les efforts du gouvernement pour augmenter considérablement la taille des classes et éliminer 10.000 emplois dans l'enseignement.

Les travailleurs doivent prendre ces événements comme un avertissement sérieux. Un gouvernement libéral-néo-démocrate soutenu par les syndicats – que ce soit sous la forme d'un gouvernement de coalition, d'un «accord de confiance et d'approvisionnement» ou d'un accord plus informel – ne serait pas moins redevable aux grandes entreprises et hostile aux intérêts de la classe ouvrière qu'un gouvernement conservateur.

Tout comme le gouvernement libéral actuel, une alliance gouvernementale libérale-néo-démocrate utiliserait la politique identitaire, une rhétorique progressiste creuse, y compris sur l'urgence de s'attaquer aux changements climatiques, et un partenariat corporatiste renforcé avec les syndicats comme un écran de fumée pour poursuivre le programme de la bourgeoisie: réarmement, affirmation agressive des intérêts impérialistes canadiens dans le monde et une attaque sans fin sur la position sociale et les droits des travailleurs.

La campagne des conservateurs et l'extrême droite

Malgré le bilan du gouvernement Trudeau en matière d'austérité, de réarmement et d'alliance militaire et de sécurité encore plus étroite avec Washington, une puissante faction de la classe dirigeante est devenue aigrie envers le gouvernement libéral et fait pression en faveur d'un gouvernement conservateur ouvertement de droite sous la chefferie du social-conservateur Andrew Scheer.

Les conservateurs se sont engagés à réduire les dépenses de dizaines de milliards de dollars, à réduire davantage l'impôt des sociétés et les restrictions réglementaires sur les capitaux, à promouvoir sans vergogne les intérêts des grandes pétrolières, à appuyer encore davantage la poussée guerrière américaine contre la Chine et à intégrer le Canada au bouclier antimissile balistique américain.

Alors que le mensonge n'est pas nouveau en politique bourgeoise, la campagne électorale conservatrice, qui a été truffée d'intrigues, de provocations et de sales manœuvres, avait un caractère résolument antidémocratique.

Les médias corporatifs et Scheer ont utilisé le pseudo-scandale des «blackface» de Trudeau non seulement pour discréditer le chef libéral. Ils s'en sont aussi emparés pour minimiser et banaliser les liens très réels entre les conservateurs et les forces d'extrême droite, comme Rebel Media. Au cours de la campagne électorale, les conservateurs ont conspiré avec Rebel Media pour tenter de mener une attaque #MeToo contre Trudeau qui, en fin de compte, n'a pas dépassé le stade de la rumeur salace, faute de preuves, même minimes.

Dans les derniers jours de la campagne, Scheer a ouvertement contesté un principe fondamental de la démocratie parlementaire du Canada, dans le but de jeter les bases d'une prise de pouvoir conservatrice. Scheer a affirmé à plusieurs reprises que le parti qui remporte le plus grand nombre de sièges – et non celui qui peut commander une majorité des membres élus des parlements – a le «droit» de former le gouvernement.

Les espoirs des conservateurs de former un gouvernement minoritaire semblent dépendre du Bloc québécois (BQ). Le BQ a mené une campagne chauvine québécoise centrée sur la promotion du projet de loi 21 et le soutien au gouvernement nationaliste de droite de la CAQ.

Le virage à droite de la politique bourgeoise au Canada et dans le monde ne bénéficie pas d'un large appui populaire. Au contraire, les travailleurs et les jeunes du Canada et du monde entier s’orientent de plus en plus rapidement vers la gauche. Depuis les grèves des enseignants et des travailleurs de l'automobile aux États-Unis, le mouvement des «gilets jaunes» en France, les manifestations antigouvernementales de masse à Hong Kong et en Algérie jusqu'aux manifestations de masse en Ontario contre Ford, la classe ouvrière cherche à affirmer ses intérêts de classe indépendants. De plus, ces luttes se développent de plus en plus en dehors des syndicats procapitalistes et des partis de gauche qui, depuis des décennies, répriment la lutte des classes.

La question clé est d'armer cette recrudescence naissante de la lutte des classes avec un programme et une stratégie socialiste et internationaliste et une direction révolutionnaire.

Pour répondre à l'assaut de la classe dirigeante contre les droits sociaux et démocratiques des travailleurs et à son intention de les utiliser comme chair à canon pour faire avancer les intérêts prédateurs de l'impérialisme canadien sur la scène mondiale, la classe ouvrière – anglophone et francophone, immigrante et des Premières Nations – doit se constituer en une force politique indépendante. Elle doit lutter pour un gouvernement des travailleurs et la restructuration socialiste de la vie socio-économique et unir ses combats à ceux des travailleurs aux États-Unis et dans le monde.

Le Parti de l’égalité socialiste s'est engagé à mener la lutte pour ce programme en collaboration avec nos partis frères au sein du Comité international de la Quatrième Internationale.

(Article paru en anglais le 21 octobre 2019)

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