Podemos accepte de soutenir le gouvernement social-démocrate espagnol

Lundi, le parti Podemos a signé un « pré-accord » avec le Parti socialiste espagnol (PSOE), s'engageant à soutenir tout gouvernement que le PSOE finira par former après l’élection de dimanche.

L'accord est une nouvelle étape importante dans l'émergence, comme groupes réactionnaires et anti-travailleurs, des partis « post-marxistes » petits-bourgeois d'Europe. L'allié grec de Podemos, Syriza, a pris le pouvoir en 2015 et a rapidement piétiné ses promesses électorales de mettre fin à l'austérité, imposant des dizaines de milliards d'euros de coupes sociales. De même, Podemos et le PSOE tentent de présenter leur accord au public comme un projet de gouvernement « progressiste » et « démocratique ». En fait, Podemos soutient les politiques d'austérité sociale et de répression policière violente du PSOE en Catalogne.

Dans l’accord signé par le secrétaire général de Podemos Pablo Iglesias et le premier ministre espagnol par intérim Pedro Sanchez (PSOE), les deux partis prennent cet engagement: « Le gouvernement espagnol s'attachera en priorité à garantir la paix sociale en Catalogne et la normalisation de la vie politique. Dans ce but, il organisera un dialogue en Catalogne et rechercha de formulations permettant une compréhension et une réconciliation communes, toujours dans le cadre de la Constitution ».

Le chef du parti Podemos, Pablo Iglesias, s'exprime alors que le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez, Premier ministre intérimaire, observe la signature d'un accord au Parlement à Madrid, le mardi 12 novembre 2019. (AP Photo/Paul White)

L'accord engage également Podemos à l'austérité, que le PSOE s'est engagé à imposer dans une lettre à l'Union européenne (UE) avant l’élection, promettant des milliards d'euros en nouvelles coupes sociales. L'accord met l'accent sur les principes de « justice fiscale et d'équilibre budgétaire. »

Aux termes de l'accord, Iglesias doit être vice-président du conseil des ministres sous la direction d'un premier ministre du PSOE, quel que soit le gouvernement que le PSOE met en place maintenant.

Après avoir signé l'accord, Iglesias a souligné que Podemos ne s'opposerait nullement au PSOE. « Sanchez sait qu'il pourra compter sur notre totale loyauté », a déclaré Iglesias. « Il est temps de laisser derrière nous toutes les critiques... et de travailler côte à côte à la tâche historique et passionnante qui nous attend ». Il a affirmé qu'un gouvernement dirigé par le PSOE et Podemos serait « le meilleur vaccin contre l'extrême droite ».

L'affirmation d'Iglesias qu’un gouvernement PSOE-Podemos stoppera la montée du parti fasciste et franquiste Vox est une fraude politique. Avec cette alliance, Podemos ne soutient pas seulement l'austérité de l'UE visant la classe ouvrière, mais soutient encore la répression d’État-policier des manifestations en Catalogne, clé de voûte de la propagande de Vox. Cela permet à ce dernier de continuer à grandir en se présentant comme le défenseur du peuple espagnol contre l'austérité de PSOE-Podemos, tout en légitimant l’appel de Vox à des politiques d’État-policier.

Podemos et le PSOE ne luttent pas contre l'autoritarisme, mais bien plutôt l'organisent. La politique catalane du PSOE, adoptée par Podemos, a un caractère fascisant. Le PSOE a d'abord soutenu la répression sanglante du gouvernement PP (Parti populaire) contre le référendum pacifique d'octobre 2017 sur l'indépendance de la Catalogne, alors que le PP soutenait les manifestations anti-catalanes où l’on chantait l'hymne franquiste Cara al Sol. Après son arrivée au pouvoir l'année dernière, le PSOE a invité Vox à aider la justice à poursuivre les prisonniers politiques catalans.

Le PSOE a ensuite déclenché sa propre répression policière brutale le mois dernier en Catalogne lors de manifestations de masse contre les longues peines de prison prononcées lors de leurs procès. 700 manifestants y ont été blessés lors d’affrontements, dont quatre ont perdu un œil du aux balles en caoutchouc de la police. Des centaines de personnes ont été arrêtées.

Podemos n'a pas d'illusions sur le caractère du PSOE ou de sa politique catalane. Il a vu de ses propres yeux la violente répression de la part des polices espagnole et catalane, ordonnée par le PSOE, à l'encontre des manifestants à Barcelone, et qu'Iglesias a visitées lors des affrontements, se déclarant satisfait que « les relations institutionnelles entre les forces de police fonctionnent ». Podemos est conscient de ce que le PSOE poursuit en Catalogne une politique de la répression violente qui renforce le parti fasciste Vox, et il soutient le PSOE sur cette base.

Les tentatives de certains membres de Podemos de continuer à se faire passer pour des critiques « de gauche » du PSOE sont absurdes et trompeuses. Miguel Urban, d’Anticapitalistas, la faction pabliste de Podemos, a applaudi l'accord avec le PSOE, en ajoutant: « Le soulagement ne doit pas nous faire baisser la garde. Les risques auxquels nous serons confrontés chaque jour sont: la cooptation de ceux venus pour tout changer, le blanchissement de ceux ayant toujours cherché à l'empêcher et l’attribution au (PSOE) du monopole de la contestation de la droite ».

Le PSOE est le principal parti gouvernemental de la bourgeoisie espagnole depuis la transition, en 1978, du régime fasciste franquiste au régime parlementaire ; il a imposé l'austérité de l'UE et fait la la guerre, depuis l’Afghanistan jusqu’à la Libye. L'argument d'Urban relatif à une cooptation de Podemos par la classe dirigeante alors qu'il sert dans un gouvernement capitaliste avec le PSOE est ridicule. Si le PSOE choisit Podemos comme partenaire de coalition, c'est parce que Podemos s’est montré être un outil de confiance, pro austérité et pro guerre, de l'impérialisme espagnol.

Le PSOE et Podemos promeuvent leur accord sur une base entièrement frauduleuse. Non seulement un gouvernement formé sur cette base ne serait ni progressiste ni démocratique, mais l'accord ne permet en fait pas aux deux partis de former un gouvernement. Le PSOE a 120 sièges et Podemos 35; n’ayant ensemble que 155 sièges, ils leur en manque 21 pour la majorité de 176 sièges requise dans un Parlement de 350 sièges. Le PSOE cherche maintenant d'autres alliés pour son gouvernement « pré-accord » avec Podemos, comme les partis nationalistes catalans et basques, et le parti de droite Ciudadanos (Citoyens).

En réalité, cet accord est une manœuvre de Podemos pour lier les travailleurs et les jeunes au PSOE et supprimer l'opposition politique à la campagne de la bourgeoisie pour un régime policier. Podemos vise à démoraliser les travailleurs, à permettre à Vox de se positionner comme seul parti d'opposition au PSOE, et à s'assurer que rien, dans la politique officielle, n'aille encourager les travailleurs à monter une lutte contre le PSOE

Cela explique également l'extraordinaire rapidité avec laquelle le PSOE et Podemos sont parvenus à un accord. L'Espagne avait dû retourner aux urnes dimanche parce que les pourparlers entre le PSOE et Podemos sur la formation d'un gouvernement après l’élection d'avril 2019 avaient pris six mois, pour finalement échouer. Aujourd'hui cependant, il leur a fallu un peu plus d'un jour pour s’accorder sur la formation d’un gouvernement – un accord clairement préparé bien à l'avance.

« Six mois et une élection perdue, et maintenant ils arrangent tout en moins de 48 heures », se sont plaints au quotidien pro-PSOE El País des étudiants de l'Université Complutense de Madrid où de nombreux dirigeants de Podemos, dont Iglesias, ont été professeurs de science politique.

« S'il a été possible de signer l'accord en quelques heures seulement pourquoi alors ont-ils perdu six mois pour appeler ensuite à de nouvelles élections? Il faut que les deux dirigeants (Sanchez et Iglesias) donnent des explications plus cohérentes que ce qu'ils ont offert jusque là », commente El País.

En fait, Sanchez et Iglesias n'ont fourni aucune explication, puisque expliquer les raisons de l'échec des pourparlers Podemos-PSOE en septembre démasque les calculs tout à fait cyniques de Podemos.

L'universitaire Jaime Pastor, d'Anticapitalistas, explique dans un article pourquoi Podemos avait dû se retirer des discussions avec le PSOE. Il y souligne le danger couru par Podemos s'il entrait dans un gouvernement PSOE avant la condamnation, en octobre 2019, des prisonniers politiques catalans à de longues peines de prison. « Il était difficile de penser que Podemos aurait pu développer des politiques de gauche au sein du gouvernement s’il avait par ailleurs à admettre, par son silence, qu'il était complice de la politique de droite sur les questions économiques et sociales et la politique répressive en Catalogne ».

Mais maintenant, le PSOE a mis les prisonniers politiques catalans en prison, en collaboration avec Vox, et réprimé les manifestations s’y opposant, et Podemos croit apparemment que le champ est libre. Il entre au gouvernement avec le PSOE, espérant ne pas être vu comme le complice des pires politiques sociales et économiques droitières du PSOE et de sa répression d'Etat policier en Catalogne.

Les manœuvres cyniques et mesquines des éléments staliniens et pablistes composant Podemos ne convaincront finalement personne. L'accord conclu entre Sanchez et Iglesias est une confirmation sans appel de ce que les universitaires, journalistes et officiers de l'armée aisés qui composent Podemos sont des ennemis politiques déterminés de la classe ouvrière.

(Article paru d’abord en anglais le 13 novembre 2019)