La crise des incendies en Australie et la nécessité du socialisme

Les incendies catastrophiques qui ont ravagé de larges pans de l’Australie montrent de manière saisissante l’échec du capitalisme et de son personnel politique à tous les niveaux de gouvernement. L’indifférence et la complaisance des dirigeants politiques face au désastre qui touche les travailleurs ordinaires sont une leçon qui ne sera pas oubliée. L’establishment politique défend un ordre social où chaque aspect de la vie est subordonné au profit des entreprises et aux intérêts d’une riche élite, quelles que soient les conséquences.

La saison des incendies de 2019-2020 est loin d’être finie; des régions entières de l’Australie ressemblent à des zones de guerre; des dizaines de milliers de personnes sont coupées du monde extérieur dans les villes comme dans les villages; les routes sont bloquées par les embouteillages alors que vacanciers et habitants fuient des incendies terrifiants. Les images frappantes de gens entassés sur les plages, redoutant l’approche des flammes, et de pompiers mal équipés affrontant d’énormes murailles de feu, ont choqué le monde entier.

Pendant des semaines, la fumée a recouvert les plus grandes villes du pays comme Sydney, Melbourne et Canberra, la capitale, ainsi que de vastes espaces dans les campagnes. Les experts de la santé ont traité de «crise de santé publique» la dangereuse qualité de l’air. Ils ont mis en garde contre les risques accrus pour les très jeunes, les personnes âgées, ceux qui souffrent d’asthme et d’autres maladies respiratoires, et ont averti d’autres problèmes de santé à long terme.

À ce jour, au moins 26 personnes sont mortes des suites directes des incendies, principalement dans les États du sud-est – Nouvelle-Galles du Sud (NSW) et Victoria. Mais les incendies n’ont épargné aucun État. Dans tout le pays, au moins 10,7 millions d’hectares ont été calcinés depuis octobre – une superficie plus grande que l’Irlande – et plus de 2.100 foyers détruits. Les pertes en bétail, qui restent à comptabiliser, seront considérables. On estime que jusqu’à un milliard de mammifères, oiseaux et reptiles indigènes ont été tués, cela pouvant aller jusqu’à l’extinction de certaines espèces.

Sans prévision de pluies importantes, on s’attend à ce que les incendies brûlent pendant des mois et les conditions estivales chaudes et sèches entraîneront presque certainement de nouveaux feux dangereux dans les régions qui n’ont pas encore brûlé.

Les retombées politiques

Avec l’escalade de l’actuelle catastrophe sont aussi montés frustration et colère devant l’incapacité des gouvernements à fournir des ressources adéquates aux pompiers, à apporter aide et secours aux sinistrés et à s’attaquer aux causes sous-jacentes de ces incendies catastrophiques, au facteur contributif du changement climatique surtout.

Le premier ministre Scott Morrison est devenu, à juste titre, la cible d’une hostilité massive après avoir disparu pour des vacances secrètes à Hawaii alors qu’une grande partie du pays était en feu. Lorsqu’il est réapparu, il a balayé du revers de la main les difficultés économiques éprouvées par les dizaines de milliers de pompiers volontaires ayant quitté leur emploi et leur entreprise pendant des semaines pour combattre les incendies. Et il ne leur a offert que tardivement une indemnisation symbolique.

Tentant de limiter les dégâts, le gouvernement de la coalition libérale-nationale a pris la mesure sans précédent de faire appel à 3.000 réservistes militaires, puis a annoncé un financement de 2 milliards de dollars pour des secours d’urgence et la reconstruction des infrastructures. Ces mesures visent davantage à sauver la fortune politique du gouvernement qu’à fournir une aide réelle ; ce qu’illustre le fait que Morrison ne se soit même pas donné la peine de consulter les services d’incendie pour savoir où et comment les militaires pourraient apporter une aide effective.

Les partis de l’opposition ne sont pas différents. Le chef du Parti travailliste, Anthony Albanese, s’est distingué par son refus de critiquer le gouvernement – au nom de la volonté de ne pas politiser une catastrophe qui est, en fait, hautement politique et potentiellement explosive. Avec les Verts, le Parti travailliste a ensuite commencé à faire des critiques, sous forme toutefois de conseils au gouvernement sur comment il pourrait désamorcer la colère populaire; en convoquant par exemple une commission royale d’enquête ou en tenant une conférence avec les premiers ministres des États pour donner l’impression de faire quelque chose.

La colère a éclaté très publiquement : ceux qui sont au cœur de l’action ont exprimé leur frustration devant les médias, tant envers Morrison qu’envers Albanese. Les gens ont réclamé plus de ressources et de financement pour des services de pompiers volontaires qui se battent pour sauver vies et biens. Mais leurs budgets et leurs ressources ont subi des coupes pendant de nombreuses années.

Le fait même que la réponse du gouvernement ait été d’envoyer des militaires montre le manque, dans toute l’Australie, de services de lutte contre l’incendie suffisamment financés et dotés en personnel. Et il indique une absence totale de coordination au plan national et de planification d’urgence.

Le besoin criant d’allouer des milliards de dollars à la lutte contre les incendies n’est qu’une expression de la crise désespérée à laquelle sont confrontés tous les services sociaux essentiels, y compris la santé, l’éducation et les transports publics, qui ont été privés de ressources pour permettre de réduire les taux d’imposition des sociétés et des riches.

Cette dernière décennie, les gouvernements travaillistes et de coalition successifs ont dépensé des dizaines de milliards de dollars pour équiper l’armée avec de nouveaux navires et avions de guerre et d’autres matériels. En même temps, ils déclaraient qu’il n’y avait «pas d’argent» pour répondre aux besoins sociaux de la classe ouvrière. Tout cela dans le cadre de l’alliance australo-américaine et les préparatifs d’une guerre catastrophique avec la Chine.

De surcroît, le déploiement de l’armée face aux incendies a vu les gouvernements s’emparer de pouvoirs d’urgence étendus dans les États les plus touchés (NSW et Victoria). Ceci démasque le caractère profondément antidémocratique de ces gouvernements.

Devant la situation désastreuse des incendies de brousse le 4 janvier, le premier ministre travailliste de l’État de Victoria, Daniel Andrews, a pris la mesure sans précédent de déclarer un «état de catastrophe». Cela donne au ministre des services d’urgence le pouvoir d’imposer des évacuations obligatoires, de réquisitionner des véhicules et des biens, et de passer outre aux lois et règlements. En NSW, le gouvernement de coalition de la première ministre Gladys Berejiklian a déclaré l’«état d’urgence» à deux reprises. Ces mesures ne visent pas principalement à protéger les communautés vulnérables, mais à permettre au gouvernement et à ses responsables de réprimer l’opposition à leurs diktats.

Le déclin des services d'incendie

On a adoptée la loi du Victoria sur l’«état de catastrophe» à la suite des incendies du «Samedi noir» de 2009 qui ont fait 173 morts, détruit plus de 2.000 maisons et brûlé 450.000 hectares en une seule journée. Afin de détourner la colère du public, le gouvernement travailliste de l’État avait convoqué une commission royale. Mais ses principales recommandations furent rejetées car considérées comme trop coûteuses à mettre en œuvre. Sous les gouvernements travaillistes et de coalition successifs, tant au niveau fédéral que régional, on a refusé dans tout le pays d’allouer les ressources nécessaires pour la réduction des risques d’incendies ou la lutte contre eux.

En dehors des grandes agglomérations et des villes régionales, la protection des vies et des biens contre les incendies incombe en grande partie aux brigades de volontaires qui manquent souvent de ressources et sont obligées de collecter des fonds pour se procurer des articles essentiels. Au Victoria, a rapporté le Weekly Times l’an dernier, on a réduit de moitié le financement de l’Autorité des incendies du pays (CFA). «Ils ont les équipements les plus vieux de lutte contre les incendies du pays avec plus de 522 camions-citernes et pompes de plus de 20 ans», déclare ce journal. La réduction des risques d’incendie dans les parcs nationaux et d’État est laissée à des ministères et organismes gouvernementaux sous-financés, qui sont obligés de remplir leurs effectifs limités avec des sous-traitants.

Un rapport de la Commission de la productivité, publié ce mois-ci, constate une chute spectaculaire du nombre de pompiers volontaires dans tout le pays, près de 17.000 d’entre eux ayant démissionné au cours des cinq dernières années. Depuis le Samedi noir de 2009, quelque 5.000 volontaires ont quitté l’AFC du Victoria. En NSW, le service d’incendie rural (RFS) a perdu 3.000 personnes au cours des quatre dernières années. Le déclin à long terme des collectivités rurales a fini par vider les possibilités d’emploi et les services de leur substance, contribuant au rétrécissement et au vieillissement des services d’incendie volontaires.

Un rapport du Climate Council publié en 2015 conseillait de doubler le nombre de pompiers professionnels pour atteindre au moins 22.000 d’ici 2030 afin de faire face à des saisons de feux plus intenses. Le rapport appelait à un investissement plus important dans des équipements sophistiqués et avertissait que des saisons d’incendies plus longues aux États-Unis et en Australie conduiraient à des chevauchements, mettant à rude épreuve le partage actuel des avions de lutte contre les incendies.

En avril 2019, 23 anciens responsables des services d’incendie et d’urgence ont écrit au gouvernement Morrison pour l’avertir que la prochaine saison d’incendies serait catastrophique. Ils ont demandé la tenue d’un sommet national pour prendre des mesures immédiates, telles que l’augmentation substantielle du nombre d’avions anti-incendies qui seraient opérationnels au-dessus de l’Australie. Comme les avertissements précédents, on a ignoré leur lettre.

Le changement climatique

L’ampleur des incendies ravageant l’Australie a sonné l’alarme à l’échelle internationale, montrant que la planète est à la veille de changements climatiques fondamentaux aux conséquences dévastatrices. Bien qu’il ne soit pas possible d’établir un lien direct de cause à effet entre le réchauffement planétaire et le déclenchement d’incendies spécifiques, il est indéniable que les conditions plus chaudes et plus sèches qui règnent sur le continent australien sont le principal facteur y contribuant.

L’Australie a toujours été un pays sujet à la sécheresse et aux incendies, mais les saisons annuelles d’incendies deviennent plus longues et plus dangereuses, en raison du réchauffement climatique. Selon le Bureau de la météorologie, les températures australiennes ont augmenté de 1,4 degré Celsius depuis 1910, la plus grande partie de l’augmentation ayant eu lieu depuis 1950. L’année 2019 a été à la fois l’année la plus chaude jamais enregistrée en Australie et celle où l’on a enregistré les plus faibles précipitations. Les 10 années les plus chaudes enregistrées ont toutes eu lieu au cours des 14 années qui ont suivi 2005. La saison des incendies actuelle a commencé à la fin du mois d’août – des mois plus tôt que la normale – et devrait se poursuivre jusqu’en mars.

De vastes étendues de la planète sont confrontées à des risques d’incendie accrus en raison de la hausse des températures. L’année dernière, des incendies incontrôlés ont fait rage en Californie, en Europe méridionale, en Amazonie, en Afrique centrale, à Bornéo et en Sibérie. Ils ont causé d’immenses destructions, polluant l’air respiré par des centaines de millions de personnes et augmentant considérablement les émissions de carbone dans le monde.

L’immensité des incendies australiens confirme les avertissements à l’international que le réchauffement de la planète approche un point de non-retour. Dans sa perspective du 3 janvier intitulée «La décennie de la révolution socialiste commence», le «World Socialist Web Site» cite la déclaration de novembre 2019 signée par 11.000 scientifiques, qui explique que le monde est confronté à «une urgence climatique» dû au fait que quatre décennies de négociations mondiales ont échoué à endiguer l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, sans même parler de les réduire.

Le rapport indiquait que «La crise climatique est arrivée et s’accélère plus vite que la plupart des scientifiques ne l’avaient prévu. Elle est plus grave que prévu, menaçant les écosystèmes naturels et le sort de l’humanité… Les points de basculement irréversibles potentiels du climat et les réactions démultipliées de la nature qui pourraient conduire à une « serre chaude » catastrophique, échappant au contrôle humain, sont particulièrement inquiétants. Ces réactions en chaîne du climat pourraient causer des perturbations importantes aux écosystèmes, à la société et aux économies, rendant potentiellement inhabitables de vastes régions de la Terre».

La négation pendant des semaines par le premier ministre australien et son gouvernement de tout lien entre les incendies et le réchauffement climatique incarne l’incapacité organique des classes dirigeantes à l’international à s’attaquer à la crise climatique, sans même parler de la résoudre ; cela alors même qu’à long terme leur propre survie est en jeu. Morrison, un champion déclaré de l’industrie du charbon et de l’utilisation des combustibles fossiles, ne fait qu’appliquer de façon plus crue la politique de tous les gouvernements précédents, en Australie et dans le monde. Le besoin pressant d’une action d’urgence coordonnée pour éviter un changement climatique catastrophique est continuellement sacrifié sur l’autel du profit privé et des intérêts des entreprises nationales.

Le principal obstacle à tout plan sérieux pour arrêter et inverser le réchauffement climatique est le système capitaliste et sa division dépassée du globe en États-nations rivaux. Les conférences internationales sur le climat ont toujours échoué du aux conflits insolubles entre gouvernements. Ces derniers sont déterminés à défendre des intérêts particuliers chez eux, ce qui conduit, au mieux, à des accords écrits dans une prose solennelle qui n’engagent personne à rien. Dans le même temps, de nouvelles «industries vertes» et des plans carbone basés sur le marché ont vu le jour pour profiter des mesures inadéquates qui sont prises mais ne font rien pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le Projet mondial sur le carbone a estimé que ces émissions avaient atteint un niveau record en 2019. La quantité provenant de l’utilisation du charbon, du pétrole et du gaz naturel a encore augmenté de 0,6 pour cent.

La réaction de la population travailleuse face à la crise des incendies contraste fortement avec l’indifférence de l’establishment politique. Si le maître-mot du régime d’urgence officiel était de faire porter à l’individu la responsabilité de «partir ou de rester», les communautés en première ligne face aux incendies se sont, dans de nombreux cas, rassemblées pour agir collectivement afin de les combattre. Elles ont fourni nourriture, abris et autres formes d’aide à ceux qui en avaient besoin. Dans le pays comme dans le monde, des dizaines de millions de dollars en dons sont arrivés dans les fonds de secours aux victimes.

Il faut donner à cette auto-organisation élémentaire de la classe ouvrière une perspective internationaliste et socialiste, et développer un mouvement indépendant de masse qui lutte pour prendre le pouvoir politique. Les feux de brousse en Australie sont une démonstration flagrante de plus que la classe capitaliste et ses partis politiques ne sont pas aptes à gouverner.

Les partis de type Verts du monde entier n’offrent ni moyen d’avancer ni politique d’alternative. Pendant plus de trois décennies, les Verts ont promu l’illusion que les élites financières et industrielles pouvaient être persuadées de réaliser les vastes changements nécessaires, de la production d’énergie aux formes de transport, ou qu’on pouvait faire pression sur elles. L’acceptation par les Verts des rapports capitalistes et de la division en États-nations a, en fait, aidé à permettre à la classe dirigeante d’écarter les avertissements scientifiques et de mener l’humanité au bord de la catastrophe.

En Australie, les Verts ont soutenu les gouvernements travaillistes de la grande entreprise ou y sont entrés. Ceux-ci ont présidé non seulement à l’inaction en matière de changement climatique mais aussi à l’attaque permanente des emplois et du niveau de vie de la classe ouvrière, à l’aggravation des inégalités sociales, à la vendetta menée par les États-Unis contre le fondateur de WikiLeaks et citoyen australien Julian Assange. Ils ont participé à la persécution des réfugiés, à la destruction des droits démocratiques et à la préparation accélérée de la guerre. Les partis verts ont également prouvé à l’international qu’ils font partie de l’establishment officiel et représentent des sections privilégiées de la classe moyenne supérieure qui s’opposent à toute véritable remise en cause du statu quo.

Il ne fait aucun doute que la grande majorité des travailleurs et des jeunes du monde entier comprennent maintenant la nécessité d’une action urgente et la souhaitent. Des millions de jeunes ont pris part aux grèves scolaires pour le climat, initiées par l’adolescente suédoise Greta Thunberg. Mais comme Thunberg l’a elle-même déclaré sans ambages en décembre dernier, les protestations et les appels à la classe dirigeante pour qu’elle change sa politique n’ont «rien donné».

La tâche urgente dans la lutte pour endiguer le réchauffement climatique est d’unifier la classe ouvrière internationale en un seul mouvement révolutionnaire, qui vise à mettre fin au capitalisme et au système de l’État-nation. Dans un pays après l’autre, les travailleurs entrent déjà dans des luttes explosives contre l’inégalité sociale et le démantèlement des droits démocratiques, et, dans certains cas, s’efforcent de s’associer au-delà des frontières nationales. La menace du changement climatique et le danger de guerre mondiale motiveront, elles aussi, des mobilisations politiques de masse dans le monde entier.

Aucun des problèmes urgents auxquels la classe ouvrière est confrontée ne peut être résolu sans l’instauration de gouvernements ouvriers qui mettront en œuvre la politique socialiste la plus ambitieuse. La société doit être réorganisée de bas en haut à l’échelle mondiale. Les banques et les grandes entreprises doivent être retirées à leurs propriétaires privés, expropriées et transformées en services publics placés sous le contrôle démocratique de la classe ouvrière – en particulier les 100 conglomérats transnationaux responsables de 71 pour cent de toutes les émissions de carbone de la planète. Cela permettrait la mise en œuvre rapide d’un plan international visant à réduire radicalement les émissions de carbone et à déployer des technologies de capture du carbone, tout en protégeant le niveau de vie des gens ordinaires.

La richesse obscène concentrée dans les mains des 10 pour cent les plus riches, et surtout du un pour cent le plus riche de la société, doit être redistribuée et utilisée pour financer un vaste développement des services et des programmes sociaux. Cela comprendrait la mise en place de services d’urgence bien financés, hautement qualifiés, intégrés et coordonnés au plan international, pour répondre aux incendies, inondations, ouragans, cyclones et autres catastrophes naturelles intensifiées par le changement climatique et dont l’impact est le plus grave pour la classe ouvrière et les pauvres.

Le capitalisme ne peut pas être réformé. Il doit être renversé et remplacé. Nous exhortons les travailleurs et les jeunes à adopter cette perspective. Demandez à rejoindre le Parti de l’égalité socialiste dans le cadre de la construction du Comité international de la Quatrième Internationale, le mouvement trotskyste mondial, qui seul lutte pour l’internationalisme socialiste.

(Article paru d’abord en anglais le 11 janvier 2020)

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