Canada: Début des audiences d’extradition de la haute dirigeante de Huawei

L'audience d'extradition de Meng Wanzhou, la directrice financière du géant technologique chinois Huawei, a commencé à Vancouver, au Canada, cette semaine. Les autorités canadiennes ont détenu Meng en décembre 2018 à la demande du gouvernement américain, qui souhaite son transfert sur la base d'accusations de fraude inventées de toutes pièces et passibles d'une peine de trente ans de prison.

La détention de Meng est liée à l'aggravation des conflits économiques et géostratégiques entre l'impérialisme américain et la Chine. Washington est déterminé à intimider les États du monde entier pour qu'ils interdisent l'utilisation de la technologie Huawei dans la construction de leurs réseaux de téléphonie mobile 5G, et plus généralement pour contrecarrer l'émergence de la Chine en tant que concurrent dans les industries de haute technologie. Cet objectif est à son tour inséparable de la volonté de Washington de bloquer à tout prix l'essor économique et géopolitique de la Chine, y compris par la préparation d'un conflit militaire.

L'affaire Meng a mis à mal les relations entre Ottawa et Pékin et a également eu un impact négatif sur les relations canado-américaines, qui ont été mises à rude épreuve par la politique de «l'Amérique d'abord» de Trump. Néanmoins, le partenariat militaro-stratégique de l'élite dirigeante canadienne avec Washington, vieux de trois quarts de siècle, reste essentiel à la poursuite de ses ambitions impérialistes prédatrices dans le monde entier.

L'audience de cette semaine vise à déterminer si les actes présumés de Meng constitueraient un crime s'ils avaient été commis au Canada, un test connu sous le nom de «double incrimination». Si le procureur général du Canada, plaidant au nom du gouvernement américain, ne parvient pas à prouver la «double incrimination», la tentative américaine d'extradition sera nulle et non avenue.

La Couronne, sur la base de la demande d'extradition américaine, accuse Meng d’avoir commis une fraude en mentant aux cadres supérieurs de HSBC sur les relations de Huawei avec une société de télécommunications iranienne. Cela a eu pour conséquence, selon elle, que HSBC a dégagée jusqu'à 100 millions de dollars de transferts entre 2010 et 2014, en violation des sanctions économiques de Washington sur l'Iran.

Dans les arguments présentés lundi et mardi, l'équipe de la défense de Meng a rétorqué que l'accusation de fraude est une «façade» pour les autorités américaines afin de la poursuivre pour avoir violé ses sanctions économiques punitives sur l'Iran. «Le Canada n'applique pas le droit pénal étranger», a déclaré l'avocat de Meng, Eric Gottardi. «Nous ne pouvons tout simplement pas importer cette loi et la faire appliquer au Canada. C'est contraire à nos valeurs».

L'équipe juridique de Meng a en outre fait valoir que ses prétendus mensonges, même s'ils étaient prouvés, ne constitueraient pas une fraude au Canada. Ils ont également souligné que l'incident présumé de fraude s'était produit lors d'une réunion dans un café de Hong Kong, ce qui les rendait hors de portée du droit canadien et soumis au droit américain uniquement parce que les États-Unis ont fait valoir un droit étendu à l'extraterritorialité rejeté par la plupart des États.

Meng, pour sa part, a nié tout acte répréhensible.

Si la juge en chef adjointe de la Cour suprême de Colombie-Britannique, Heather Holmes, estime que la condition de «double incrimination» est remplie, l'audience d'extradition de Meng passera à une seconde étape. Prévue en juin, cette deuxième étape consiste à entendre les arguments selon lesquels la détention de Meng à l'aéroport international de Vancouver le 1er décembre 2018 était illégale. L'avocat de Meng soutient que ses droits ont été violés lorsque les agents de l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) l'ont interrogée pendant trois heures sans jamais l'informer de l'intention de l'État canadien de l'arrêter. Au cours de ce processus, les agents de l'ASFC ont eu accès à son téléphone personnel et à d'autres biens, qu'ils ont rapidement remis à la Gendarmerie royale du Canada (GRC), tout en refusant à Meng l'accès à un avocat.

L'équipe de défense de Meng accuse l'Agence de sécurité des frontières canadiennes, la Gendarmerie royale du Canada et le Federal Bureau of Investigations (FBI) des États-Unis de conspirer pour mener une «enquête criminelle secrète».

L'arrestation de Meng, survenue le jour même où le président américain Donald Trump rencontrait le président chinois Xi Jinping en marge d'une réunion du G-20 pour tenter de contraindre Pékin à se soumettre aux exigences commerciales américaines, a mis à rude épreuve les relations du Canada avec la Chine. Le gouvernement chinois a réagi en détenant deux Canadiens, Michael Kovrig et Michael Spavor, et a ensuite décidé de bloquer des exportations agricoles canadiennes d'une valeur de plusieurs centaines de millions de dollars. Nombre de ces restrictions commerciales sont toujours en vigueur.

Lorsque Justin Trudeau est arrivé au pouvoir en novembre 2015, l'un des principaux points de son programme économique et diplomatique était d'ouvrir des négociations avec Pékin sur un pacte de libre-échange. Or, ce pacte a essentiellement été annulé.

La saisie de Meng pour des raisons politiques a été approuvée au plus haut niveau de l'État canadien, bien que la question de savoir si Trudeau a été informé plusieurs jours ou seulement quelques heures à l'avance reste controversée.

Le rôle du Canada en tant qu'homme de main des États-Unis dans sa campagne contre Meng et Huawei est une preuve supplémentaire qu'il soutient fermement Washington dans sa campagne agressive visant à isoler la Chine sur le plan économique, diplomatique et stratégique.

Le Canada est profondément impliqué dans les opérations militaires du Pentagone et dans les préparatifs de guerre en Asie-Pacifique, notamment par sa participation à des exercices provocateurs dits de «liberté de navigation» dans la mer de Chine méridionale. Le gouvernement Trudeau a accepté un accord de libre-échange nord-américain révisé, l'accord États-Unis-Mexique-Canada, qui vise à consolider un bloc commercial dominé par les États-Unis contre la Chine et d'autres rivaux. Il s'est également engagé à collaborer avec Washington pour «moderniser» le Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord (NORAD), un organisme conjoint Canada-États-Unis, contre les prétendues menaces russes et chinoises dans l'Arctique.

Washington exige néanmoins qu'Ottawa adopte une position encore plus agressive contre la Chine, notamment sur la question de l'exclusion de Huawei du réseau 5G du Canada. En novembre, lors du Forum international sur la sécurité de Halifax, le conseiller américain pour la sécurité nationale Robert O'Brien a déclaré que la coopération canado-américaine en matière de sécurité serait compromise si le gouvernement Trudeau autorisait Huawei à fournir la technologie du réseau 5G canadien. Le partage de renseignements entre les deux pays «serait affecté si nos proches alliés laissaient entrer le Cheval de Troie dans la ville», a déclaré O'Brien.

Depuis la détention de Meng, et en particulier à l'approche des élections fédérales de l'automne dernier, les grands médias ont mené une campagne anti-Chine féroce, dans le but de susciter de l'animosité envers la Chine et de justifier la participation du Canada aux préparatifs de guerre des États-Unis contre Pékin. D'innombrables articles ont dépeint la Chine comme un tyran et un agresseur dans l'affaire Meng, déterminé à contraindre le Canada à capituler devant ses exigences par l'intimidation et l'anarchie.

Cependant, une faction minoritaire de l'élite dirigeante est impatiente de voir une remise à zéro et une relance des relations Canada-Chine, surtout en raison des opportunités économiques offertes. En juin dernier, l'ancien premier ministre libéral Jean Chrétien a proposé d'abandonner les poursuites pour extradition contre Meng en échange de la libération des deux Canadiens détenus en Chine. Le mois dernier, John Manley, vice-premier ministre dans les dernières années du gouvernement Chrétien et chef du Conseil canadien des entreprises, récemment retraité, a tenté de relancer la proposition d'«échange de prisonniers». Dans un article publié la semaine dernière dans le Globe and Mail, Eddie Goldenberg, le principal conseiller de Chrétien tout au long de son gouvernement qui a duré une décennie, a affirmé que Trump avait politisé le cas d'extradition en suggérant que Meng pourrait être une monnaie d'échange dans les négociations commerciales avec la Chine, et a déclaré que cela ne laissait au Canada aucune autre option que de laisser Meng libre.

Les partisans de l'abandon de l'extradition de Meng notent que le procureur général David Lametti a le pouvoir juridique d'arrêter la procédure à tout moment et qu'il a le pouvoir ultime sur toutes les demandes d'extradition. Lametti a indiqué qu'il n'interviendra pas dans l'affaire tant que les audiences d'extradition ne seront pas terminées et que la juge Heather Holmes ne se sera pas prononcée sur l'extradition de Meng.

Lors d'une conférence de presse mardi, Trudeau a rejeté l'idée d'un échange de prisonniers. «Nous sommes un pays de droit», a-t-il affirmé, «et nous respecterons l'État de droit». C'est le même premier ministre qui, au début du mois, a exprimé le soutien du Canada à l'assassinat illégal par Washington du général iranien Qassem Soleimani sur le sol irakien: un crime de guerre qui a amené le Moyen-Orient au bord d'une guerre totale.

Les grands médias ont saisi l'occasion de l'audition de Meng pour renouveler leurs attaques contre la Chine, tout en exprimant leur mécontentement, voire leur exaspération, à l'égard des États-Unis qui refusent d'en faire davantage pour limiter les retombées des représailles de Pékin.

Le Globe and Mail, le porte-parole traditionnel de l'élite financière canadienne, a proclamé à plusieurs reprises que l'arrestation de Meng et la confrontation qui s'en est suivie entre Ottawa et Pékin étaient une bonne chose, car elles ont permis de briser les «illusions» du gouvernement libéral sur la Chine et de montrer le «vrai visage» de Pékin aux Canadiens.

Dans un éditorial publié samedi dernier, il a condamné toute suggestion du gouvernement Trudeau visant à désamorcer la crise des relations entre Ottawa et Pékin en exerçant son pouvoir légal pour mettre fin à l'extradition de Meng, affirmant que cela équivaudrait à céder «à l'extorsion».

Mais comme l'indique le titre de l'éditorial, «Le Canada fait face à la puissance brutale de la Chine et notre principal allié – les États-Unis – est absent», l'éditorial se plaint amèrement de l'indifférence de Washington à l'égard des coûts économiques et diplomatiques que le Canada a subis dans son rôle de complice de Washington. Le Canada a besoin de «l'aide de Washington et de son poids pour affronter Pékin», a déclaré le Globe, mais «l'aide n'a pas été vraiment fournie». L'éditorial se plaignait ensuite qu’«après avoir mis cette affaire sur le dos du Canada... l'administration Trump a ensuite conclu son propre accord commercial avec la Chine. Elle a oublié tout le coût que représentait sa demande concernant Meng.»

(Article paru en anglais le 23 janvier 2020)

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