La Cour d’appel du Québec maintient les articles clés de la Loi 21 chauvine

Par un vote de 2 juges contre 1, la Cour d'appel du Québec a refusé de suspendre les articles 6 et 8 de la Loi sur la laïcité (ou Loi 21), une loi chauvine et anti-démocratique qui empêche notamment aux enseignants portant un signe religieux d'obtenir un poste dans les écoles primaires et secondaires de la province. La loi 21 reste ainsi en vigueur en attendant un jugement de la Cour Suprême du Canada, qui tranchera éventuellement sur la constitutionnalité de la loi.

Les trois juges ont reconnu que la Loi 21, ou certaines de ses principales clauses, cause des préjudices «sérieux et irréparables» à certaines minorités religieuses et qu'elle porte atteinte aux droits fondamentaux contenus dans la Charte canadienne des droits et libertés, comme la liberté de religion.

Quant aux deux juges qui ont décidé de maintenir la loi, ils l'ont fait largement en raison de la clause dérogatoire invoquée par le gouvernement de droite de la Coalition Avenir Québec (CAQ) du premier ministre François Legault. Cette clause anti-démocratique permet aux gouvernements provinciaux et fédéraux d’adopter une loi «dérogeant à certains articles» de la Charte qui concerne des droits fondamentaux, comme les libertés d’expression ou de réunion pacifique ou encore la protection contre les détentions arbitraires.

La juge en chef, Nicole Duval Hesler, a reconnu que la Loi 21 a déjà causé de sérieux préjudices à des enseignants et étudiants en enseignement, citant entre autres: «problèmes financiers, problèmes psychologiques, humiliation, empêchement de poursuivre la carrière de leur choix».

Étant donné que la Loi 21 représente une attaque flagrante contre les droits démocratiques, ce que les trois juges ont reconnu, les plaignants (une étudiante universitaire qui veut devenir enseignante et qui porte un signe religieux, le Conseil national des musulmans et l'Association canadienne des libertés civiles) soutenaient qu'il y a de fortes raisons de croire que la Cour suprême va la trouver anti-constitutionnelle et qu'elle doit donc être immédiatement suspendue.

C'est ce qui était arrivé à la Loi 62 du Parti libéral du Québec, qui stipulait que les services publics devaient être donnés et rendus à visage découvert, une autre loi chauvine dont s’inspire l'article 8 de la Loi 21 de la CAQ.

Mais, comme l'a écrit la juge Duval Hesler: «L’effet discriminatoire de la Loi étant évident, les législateur.es inscrivent la disposition dite "Nonobstant"». Autrement dit, Legault était conscient du caractère anti-démocratique de la Loi 21 et qu'elle risquerait d'être suspendue par les tribunaux et c'est pour cela que son gouvernement a invoqué cette clause dérogatoire de la constitution canadienne.

Pour tenter de contourner la clause dérogatoire et faire suspendre la loi, les plaignants ont invoqué l'article 28 de la Charte canadienne, qui stipule que les droits et libertés sont garantis également aux personnes des deux sexes et ce, «indépendamment des autres dispositions» de la Charte, dont la clause dérogatoire.

La juge Duval Hesler a accepté cet argument et a donc accueilli l'appel. Duval Hesler estime que la Loi 21 discrimine «de manière disproportionnée» contre les femmes (notamment les enseignantes qui portent le hijab musulman).

Cependant, les juges Bélanger et Mainville, qui ont rejeté l’appel, ont estimé que le preuve concernant l'atteinte de la Loi 21 à l'égalité des sexes devrait être plus exhaustive et que l'interaction entre l'article 28 et la clause dérogatoire est une question juridique complexe, comme elle n'a jamais été traitée par les tribunaux. Ils ont aussi présumé que, comme la loi a été adoptée à l'Assemblée nationale, «l'intérêt public» est servi par les pouvoirs en place.

Les deux juges critiquent toutefois sévèrement l’utilisation de la clause non-obstant. La juge Bélanger écrit: «En l’espèce, ce que la clause dérogatoire impose aux tribunaux, c’est de laisser à leur sort, à cette étape du dossier, des femmes diplômées prêtes à travailler qui, pour l’unique raison qu’elles portent le voile, se sont vu refuser l’accès à un emploi pour lequel elles détiennent toutes les compétences.»

Le juge Mainville ajoute que l'utilisation de la clause dérogatoire n'est «pas une affaire banale. Il s’agit de suspendre les droits fondamentaux des citoyens, droits qui ont été durement acquis et qui garantissent les libertés qui nous sont chères comme société et pays.»

Toute la classe dirigeante québécoise et canadienne est impliquée dans le tournant vers le chauvinisme anti-immigrants. La loi sur la laïcité, qui contient d'importantes exceptions pour les symboles catholiques dans les lieux publics au nom du «patrimoine culturel», s’inspire largement de la défunte Charte des valeurs du Parti québécois souverainiste (interdiction de porter des signes religieux, sauf les croix «discrètes», pour tous les employés du secteur public) et de la Loi 62 du parti libéral. Elle s’inspire aussi des recommandations pseudo-libérales de la commission Bouchard-Taylor (interdiction de porter des signes religieux pour les employés de l'État en «position de coercition» comme les juges, gardiens de prisons et policiers).

Cette dernière recommandation avait été longtemps défendue par Québec Solidaire, un parti des classes moyennes privilégiées, comme faisant «consensus». Malgré sa prétendue opposition à la Loi 21, QS a refusé de mener la moindre campagne contre la loi et a toujours défendu les «débats» chauvins autour des «accommodements raisonables» attisés par la classe dirigeante et ses médias en les qualifiant de «légitimes». Il a ainsi joué un rôle clé pour permettre au gouvernement Legault d'aller de l'avant avec sa Loi 21.

«L'opposition» affichée des sections fédéralistes de la classe dirigeante canadienne à la Loi 21 est non moins hypocrite. L'attisement de la haine contre les réfugiés et les immigrants fait aussi partie des politiques des autres gouvernements provinciaux, incluant les ultraconservateurs Doug Ford et Jason Kenney, respectivement en Ontario et en Alberta. Quant au gouvernement libéral de Trudeau, son premier mandat a été marqué par une hausse massive des dépenses militaires et un renforcement du rôle des Forces armées canadiennes dans les guerres néocoloniales de Washington, qui ont forcé le déplacement de millions de personnes. Malgré sa pose «pro-réfugiés», le gouvernement Trudeau a collaboré étroitement avec l'administration Trump dans sa chasse-aux-sorcières contre les réfugiés.

Les mesures anti-immigrants de la CAQ font partie d'un tournant international vers des formes autoritaires de gouvernement et la promotion du chauvinisme. Aux États-Unis, par exemple, la présidence de Trump a été marquée par des dénonciations constantes des migrants en provenance d'Amérique Latine comme des «criminels». Appuyé par le Parti Démocrate, Trump a alloué des milliards pour construire un mur entre les États-Unis et le Mexique et renforcer la militarisation de la frontière.

Partout dans le monde, devant la montée des mouvements de masse contre les inégalités sociales, la classe dirigeante utilise le poison du chauvinisme pour diviser les travailleurs sur des lignes ethniques et désigner les immigrants comme les boucs émissaires de la crise sociale engendrée par le capitalisme. Cela sert aussi à justifier les guerres et opérations impérialistes menées par Washington et son allié canadien dans de nombreux pays à majorité musulmane, dont l'Irak, l'Afghanistan, la Libye, la Syrie ou, plus récemment, l'Iran.

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