Des centaines d’étudiants dénoncent la Loi 21 xénophobe de la CAQ

Malgré un temps glacial, des centaines d’étudiants de l’université anglophone McGill et de l’Université du Québec à Montréal francophone ont manifesté le 17 janvier dernier contre la Loi 21 du gouvernement nationaliste-populiste de la Coalition Avenir Québec (CAQ). Cette loi anti-démocratique et chauvine va entre autres empêcher les enseignants portant un symbole religieux d’obtenir un poste au Québec.

La manifestation était organisée par des associations étudiantes des deux universités, y compris la Students’ Society of McGill University (SSMU) External Affairs, l’Education Undergraduate Society (EdUS), l’Association des étudiantes et étudiants de la faculté des sciences de l’éducation et l’Association facultaire étudiante de science politique et droit de l’UQAM. Les étudiants de l’EdUS, qui avaient voté deux journées de grève pour manifester, ont également tenu une autre action le 21 janvier.

Les quelque 300 manifestants ont entendu des témoignages d’étudiants opposés au projet de loi, et ont marché jusqu’au ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration du Québec. Ils exigeaient entre autres le retrait total de la Loi 21 et cherchaient à faire pression sur les administrations universitaires de la province pour qu’elles adoptent une position «plus ferme» à l’encontre de cette loi.

Interrogée par un reporter de CTV News Channel quant aux raisons qui ont poussé les étudiants à manifester, la vice-présidente de la McGill Education Undergraduate Society, Courtney Murdoch, a déclaré: «Un des problèmes fondamentaux est que le projet de loi dicte à chaque minorité raciale ou religieuse au Québec qu’elle n’a pas sa place ici». Une autre étudiante a expliqué que les manifestants «demandent aux gens de se joindre aux actions ou de ne pas se présenter en classe afin que nous démontrions à la faculté de l’éducation à quel point nous sommes sérieux».

La Loi 21 est le résultat d’une campagne de longue date menée par les sections les plus chauvines de la classe dirigeante québécoise et soutenue par les médias et l’ensemble de l’establishment politique, avec la complicité de la bureaucratie syndicale et le parti soi-disant de «gauche» Québec Solidaire. Cette campagne hystérique a été déclenchée à la veille du krach économique de 2008 par les tabloïds de l’empire Quebecor et l’Action démocratique du Québec (ADQ), le prédécesseur de la CAQ, qui décriaient les accommodements accordés aux minorités religieuses comme une menace à la sécurité et à la «culture québécoise».

La Loi 21 interdit le port de «symboles religieux» par de nombreuses catégories d’employés de l’État dits en «position d'autorité» – y compris les dizaines de milliers d'enseignants de la province. Elle reprend la mesure principale de la loi 62 du gouvernement libéral précédent qui réduit au statut de paria les femmes musulmanes portant le voile intégral (niqab ou burqa), en leur interdisant de recevoir ou donner des services publics (soins de santé, école publique, transport en commun, etc).

Toute l’hypocrisie entourant le principe de «laïcité de l’État» est révélée par le fait que pendant que les droits des minorités sont attaqués, le projet de loi comprend des exceptions pour les symboles catholiques et défend le «patrimoine religieux» du Québec, soit l’héritage catholique qui a historiquement dominé les institutions de l’État.

Le recours par la CAQ à la clause de dérogation, qui lui permet de protéger sa loi contre toute contestation judiciaire même si elle viole des droits fondamentaux reconnus par la Charte canadienne ou québécoise des droits et libertés de la personne, démontre pour sa part que la Loi 21 ouvre la voie à un assaut plus large sur les droits démocratiques de toute la classe ouvrière et que l’État se tourne vers des méthodes autoritaires pour imposer des mesures impopulaires.

Le tournant marqué de la classe dirigeante québécoise vers les politiques xénophobes s’inscrit dans une tendance internationale où des politiques historiquement associées à l’extrême-droite sont normalisées. Les mesures du premier ministre Legault sont similaires aux attaques contre les réfugiés du gouvernement Ford en Ontario, la chasse-aux-sorcière anti-immigrants menée par l’administration Trump ou la fermeture des frontières aux migrants fuyant la guerre par les gouvernements européens.

Partout au monde, les élites détournent l’attention de leur programme d’austérité et du militarisme croissant en répandant le poison du nationalisme et du chauvinisme et en faisant des immigrants les boucs-émissaires pour la catastrophe économique et sociale causée par la crise capitaliste. Comme le triste troisième anniversaire de la tuerie de la mosquée de Québec en témoigne, ces politiques encouragent les forces d’extrême-droite.

Les impacts de cette réforme se font déjà sentir parmi les étudiants et les travailleurs. Dans une entrevue accordée à CTV News, Amrit Kaur, une enseignante sikh portant le turban qui est née et a enseigné au Québec, a expliqué qu’elle a dû quitter la province pour la Colombie-Britannique afin de pouvoir enseigner. Exprimant ce que des centaines et mêmes des milliers de travailleurs ressentent, Kaur a dit: «Je suis traitée comme une personne de deuxième classe simplement parce que j’ai des croyances, et que je souhaite m’exprimer par des signes visuels». Elle a renchéri en soulignant que «le projet de loi contribue à la pénurie de main-d’œuvre [en éducation] parce qu’il y a des gens comme moi qui sont qualifiés pour enseigner, mais qui ne peuvent pas à cause du racisme institutionnalisé».

Le journal étudiant de l’université McGill a rapporté les discussions qui ont pris place lors de l’assemblée générale des étudiants en éducation avant le vote de grève. Un des représentants de l’EdUS, Tatum Arcon, a expliqué que malgré la clause grand-père dans la loi qui prévoit qu’un employé déjà embauché puisse garder son poste, les travailleurs feront face à de sérieux obstacles. «Si vous êtes enseignant, vous ne pourrez jamais être promu», a-t-il dit.

Un autre organisateur, Ehab Lotayef a pour sa part souligné le dangereux précédent que représente le projet de loi et le recours à la clause de dérogation par la CAQ. « Qui sait quels autres éléments de la Charte seront piétinés par une loi, demain, ou l’an prochain, ou par un futur gouvernement?» a déclaré Lotayef. Il a ajouté: «Ce n’est pas seulement à propos d’une kippa ou d’un foulard ou d’un turban. On ne peut accepter qu’un individu se fasse refuser un emploi parce qu’il se conforme à ce en quoi il croit».

L’attitude des futurs enseignants qui ont fait grève en défense des minorités stigmatisées est en contradiction avec la position de la bureaucratie syndicale. Avec leurs alliés politiques au sein de Québec Solidaire, les syndicats ont toujours légitimé le débat sur les « accommodements raisonnables » et la soi-disant laïcité de l’État, y compris la «Charte des valeurs» du Parti québécois en 2013. Cette charte raciste allait encore plus loin que la Loi 21 et proposait d’interdire le port de signes religieux ostentatoires à tous les employés de l’État.

Les syndicats sont conscients que la Loi 21 est impopulaire parmi leurs membres, mais ils se refusent à la dénoncer en tant qu’attaque flagrante sur les droits démocratiques et tentative de diviser la classe ouvrière. La Centrale des syndicats du Québec (CSQ), le plus important syndicat de l’éducation, a dit espérer un «consensus» sur cette question. Elle critique seulement le gouvernement pour avoir adopté la loi «trop vite» et ajouté les enseignants aux catégories d’employés visées.

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