Canada: Alors que le gouvernement Trudeau vire de plus en plus à droite, les néo-démocrates plaident pour une coopération avec les libéraux

Le virage accentué du gouvernement libéral minoritaire de Justin Trudeau vers la droite a été mise en évidence la semaine dernière lors de la première réunion de la Chambre des communes du Canada en 2020.

Reflétant le fait que la classe dirigeante du Canada entre en conflit de plus en plus direct avec une classe ouvrière résurgente au pays et affirme agressivement ses intérêts prédateurs sur la scène mondiale, Trudeau a annoncé que la priorité absolue de son gouvernement est l'adoption de l'accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM), et a accueilli à Ottawa Juan Guaidó, le leader du coup d'État vénézuélien soutenu par les États-Unis.

Mercredi, les libéraux ont présenté un projet de loi visant à ratifier l'ACEUM. L'accord, signé le même jour par le président américain Donald Trump, vise à consolider un bloc commercial dominé par les États-Unis en Amérique du Nord afin d'affronter les rivaux commerciaux et stratégiques de l'impérialisme américain et canadien. Il renforce la main de Trump dans sa guerre commerciale avec la Chine, tout en accélérant l'effondrement général de l'économie mondiale en blocs commerciaux concurrents.

L'accord, qui empêche en fait le Canada et le Mexique de conclure des accords de libre-échange avec des pays qui n’ont pas d’«économie de marché», un euphémisme pour la Chine, et augmente les exigences de production nord-américaines pour obtenir un accès libre de droits de douane au marché de l'ACEUM, a été négocié par les libéraux de Trudeau en étroite collaboration avec les syndicats. Jerry Dias et Hassan Yussuff, respectivement présidents d'Unifor et du Congrès du travail du Canada, ont été de proches conseillers du gouvernement pendant les négociations, ce qui a amené Trudeau à remarquer que ses libéraux – le parti de gouvernement préféré de la bourgeoisie canadienne depuis plus d'un siècle – bénéficient d’un «partenariat spécial» avec les syndicats.

Les néo-démocrates ont voté avec les libéraux, les conservateurs et les verts en faveur d’une considération de la loi sur l'ACEUM, laissant le Bloc québécois seul à voter contre. Le vote du NPD en faveur de l'ACEUM se voulait un signal clair des sociaux-démocrates à Trudeau qu'il peut compter sur eux pour obtenir une majorité parlementaire sur des questions cruciales pour les intérêts de l'impérialisme canadien. Après avoir échoué à obtenir une majorité aux élections fédérales d'octobre dernier, les libéraux de Trudeau ont besoin du soutien d'au moins 13 députés de l'opposition pour obtenir une majorité parlementaire.

Un jour avant le dépôt du projet de loi sur l'ACEUM, Trudeau a pris la décision provocatrice de rencontrer Guaidó, celui qui s’est autoproclamé président intérimaire en janvier 2019 sous la gouverne de Washington avec le soutien d'Ottawa sur le terrain. Guaidó a servi de représentant de la campagne menée par les puissances impérialistes nord-américaines pour évincer le président démocratiquement élu du Venezuela, Nicolás Maduro. Soulignant le rôle crucial joué par le Canada dans la campagne de menaces militaires, de sanctions et d'intimidation menée par les États-Unis contre Maduro, Guaidó a tenu à remercier Trudeau lors de leur rencontre pour «le rôle international de premier plan du Canada».

Le «rôle international» du Canada a été de coprésider le groupe de Lima, qui a fourni une couverture «démocratique» à l'opération américaine de changement de régime, tout en offrant régulièrement une plate-forme aux principaux responsables de l'administration Trump pour qu'ils profèrent des menaces belliqueuses d'action militaire américaine contre le Venezuela. En novembre, le gouvernement Trudeau a également soutenu un coup d'État en Bolivie qui a porté au pouvoir des forces fascistes d'extrême droite.

Soutenir des opérations de «changement de régime» comme celles-ci avec une «force dure» est une motivation clé du plan des libéraux visant à augmenter les dépenses militaires de plus de 70 % d'ici 2026. Dans un contexte d'aggravation des conflits entre grandes puissances, Trudeau a également élargi l'implication militaire canadienne dans les principales offensives stratégiques de l'impérialisme américain dans le monde, notamment contre la Russie et la Chine dotées de l'arme nucléaire.

Le programme de «l’Amérique d’abord» de Trump entre en conflit avec les intérêts de la bourgeoisie canadienne. Elle se retrouve la cible de tarifs douaniers et de menaces des États-Unis, et de plus en plus isolée sur le plan international, alors que les institutions multilatérales s'effritent. Tout cela ne fait que renforcer la détermination du gouvernement Trudeau et de toute la classe dirigeante à sauvegarder et à renforcer le partenariat militaro-stratégique du Canada avec Washington, la base à partir de laquelle l'impérialisme canadien a fait progresser ses intérêts dans le monde entier au cours des huit dernières décennies.

À cette fin, le gouvernement Trudeau a salué l'assassinat illégal du général iranien Qassem Soleimani par Trump au début du mois de janvier. Un mois plus tôt, Trudeau était devenu l'un des principaux défenseurs du maintien de la pertinence de l'OTAN après que le président français Emmanuel Macron ait affirmé que l'alliance militaire dirigée par les États-Unis était en état de «mort cérébrale».

Sur le front intérieur, Trudeau a répondu aux demandes de la classe dirigeante après les élections du 21 octobre, qui lui demandaient de concilier les premiers ministres de droite de l'Alberta et de la Saskatchewan, en proclamant son engagement envers «l'unité nationale» et en nommant le faucon de guerre Chrystia Freeland au poste de vice-premier ministre et de ministre des Affaires intergouvernementales.

L’accueil des libéraux à Jason Kenney de l’Alberta, à Scott Moe de la Saskatchewan et au premier ministre populiste de droite de l'Ontario Doug Ford, avec qui Trudeau a eu une séance de réconciliation après les élections, est lié au fait qu'ils ont l'intention de poursuivre des politiques propatronales similaires au niveau fédéral.

Le ministre des Finances, Bill Morneau, a lancé l’avertissement que le Canada doit se préparer à un éventuel ralentissement mondial en limitant les dépenses publiques. Entre-temps, le gouvernement Trudeau a fait adopter une réduction de l'impôt sur le revenu, semblable à celle préconisée par Andrew Scheer et ses conservateurs lors de la campagne électorale de l'automne. Les libéraux ont présenté leur réduction d'impôts comme une bénédiction pour les personnes à faible revenu, mais les Canadiens les plus pauvres n'auront rien et une grande partie des «économies d'impôts» ira à la classe moyenne supérieure et aux riches. De plus, la réduction, qui coûtera plus de 6 milliards de dollars par an lorsqu'elle sera pleinement mise en œuvre, sera bientôt citée par le gouvernement et l'opposition comme un argument supplémentaire en faveur de l'austérité des dépenses publiques.

Le gouvernement Trudeau a également montré une fois de plus qu'il était prêt à appliquer directement des mesures anti-ouvrières. Lorsque 3000 travailleurs de CN Rail se sont mis en grève fin novembre pour protester contre des conditions de travail intolérables, les libéraux ont clairement indiqué que si les Teamsters n'annulaient pas rapidement la grève, ils interviendraient par le biais d'une loi de retour au travail. L'interdiction par les libéraux, en novembre 2018, d'une campagne de grèves tournantes de 50.000 postiers montre bien qu'il ne s'agissait pas d'une menace en l'air.

En fin de compte, les Teamsters ont mis fin à la grève sans informer leurs membres des détails de l'accord proposé, et sans encore moins leur permettre de voter sur celui-ci, et ont remercié le gouvernement Trudeau d'avoir aidé à négocier l'accord.

Les travailleurs doivent en être conscients: dans les conditions d'une résurgence de la lutte des classes au Canada et à l'échelle internationale, les syndicats et le NPD approfondissent leur collaboration avec le gouvernement libéral proaustérité et proguerre.

On a pu observer ces dernières semaines près de 200.000 enseignants de l'Ontario organiser des manifestations pour lutter contre les coupes budgétaires du gouvernement Ford dans le domaine de l'éducation, un amer lock-out de deux mois des travailleurs des raffineries de pétrole à Regina, en Saskatchewan, et des protestations en Alberta contre les coupes budgétaires et les demandes de réduction des salaires de Kenney. Les dirigeants des syndicats qui répriment la lutte des classes depuis des décennies commencent à exprimer la crainte que la montée du militantisme ouvrier puisse échapper à leur contrôle et entraîner une remise en cause du pouvoir bourgeois. Cela a été résumé récemment par le président du syndicat des employés de la fonction publique de l’Alberta (Alberta Union of Public Employees), Guy Smith, qui a dit à Kenney que: «La colère qui s'est accumulée risque maintenant de se répandre dans les rues.»

Cela rend le rôle du NPD, officiellement «de gauche», d'autant plus vital pour la bourgeoisie canadienne. Comme les sociaux-démocrates et les syndicats du monde entier, le NPD agit comme le plus loyal défenseur de l'ordre capitaliste, utilisant des propos «progressistes» pour désamorcer l'opposition de la classe ouvrière et la rediriger vers le Parlement et l'establishment politique. Les dernières initiatives du NPD à cet égard sont la promesse de présenter un projet de loi national sur l'assurance-médicaments adapté à la proposition des libéraux et une proposition de loi anti-briseurs de grève dont les sociaux-démocrates savent qu'elle n'a aucune chance d'être adoptée.

Ce qui est encore plus significatif que cette posture est la déclaration du chef du NPD Jagmeet Singh selon laquelle le NPD est prêt à «procéder de la bonne manière» sur l'ACEUM, une promesse qu'ils ont rapidement tenue en votant avec le gouvernement pour lancer le débat sur l'adoption de l'accord commercial protectionniste et anti-Chine; et le soutien des sociaux-démocrates à d'autres éléments clés du programme de l'impérialisme canadien. Parmi ceux-ci, on peut citer le soutien inconditionnel du NPD aux projets du gouvernement libéral de dépenser des dizaines de milliards pour l'achat de nouvelles flottes de navires de guerre et d'avions de chasse, et leur ralliement à la campagne de plus en plus belliqueuse de l'élite canadienne contre la Chine.

(Article paru en anglais le 1er février 2020)

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