À la veille des caucus de l’Iowa

Les médias bourgeois et l’establishment démocrate ciblent Sanders

À la veille des caucus de l’Iowa, où les premiers votes seront exprimés dans la course à l’investiture du parti démocrate pour la présidence, les médias bourgeois et l’establishment du parti démocrate multiplient les attaques désespérées et réactionnaires contre le sénateur du Vermont Bernie Sanders.

Les sondages montrent que Sanders a une petite avance sur l’ancien vice-président Joe Biden et sur une demi-douzaine d’autres rivaux dans l’Iowa, et qu’il est à égalité avec Biden au niveau national. Le barrage médiatique est devenu, sans en porter le nom, une campagne «stop Sanders».

Si l’on prend uniquement le New York Times et le Washington Post, ils ont publié pas moins de cinq commentaires distincts, dont des éditoriaux et des articles se présentent comme des investigations au cours du week-end. Tous proclament que la nomination d’un «socialiste démocrate» autoproclamé serait un désastre pour les Démocrates et garantirait la réélection du président Donald Trump.

Dans le même temps, la candidate démocrate battue en 2016, Hillary Clinton, a intensifié son attaque contre Sanders, tandis que d’autres membres importants du Parti démocrate se sont joints à l’effort. Le Comité national démocrate (DNC) a annoncé vendredi un changement de règle pour déterminer l’éligibilité des candidats aux débats. L’objectif serait d’ouvrir la porte au milliardaire Michael Bloomberg. Certains membres du DNC ont ouvertement discuté des changements de règles proposés lors de la convention de nomination démocrate pour bloquer Sanders.

L’issue réelle des caucus de l’Iowa reste très incertaine. Toutefois, Sanders continue d’attirer de loin les plus grandes foules — plus de 3.000 personnes pour un rassemblement samedi soir à Cedar Rapid — et enregistre le plus large soutien parmi les jeunes et les travailleurs. Un sondage a montré que parmi les électeurs de moins de 50 ans, Sanders est en tête avec 44 pour cent. La sénatrice Elizabeth Warren suivait avec 10 pour cent, et aucun autre candidat, y compris Biden, n’a atteint les deux chiffres.

Sanders devait se classer premier dans le dernier sondage du Des Moines Register/CNN. Le sondage allait être publié samedi soir, mais il a été annulé de manière inattendue après les objections du camp de l’ancien maire de South Bend, Pete Buttigieg déclarant que certains interlocuteurs du sondage téléphonique avaient omis le nom de leur candidat.

C’est l’édition du dimanche du Washington Post qui a manifesté son hostilité la plus ouverte parmi les médias à l’égard de Sanders. Son propriétaire est le milliardaire Jeff Bezos, propriétaire d’Amazon et cible fréquente des critiques de Sanders. La première page du journal portait un titre peu subtil, «Sanders et le spectre du socialisme». L’idée maîtresse de l’article était que Trump allait faire de Sanders une cible de choix pour les élections générales en diffamant les «Démocrates socialistes radicaux».

Un long commentaire à l’intérieur du journal, écrit par le professeur Brendan Nyhan de Dartmouth, a déploré le fait que les rivaux Démocrates de Sanders n’allaient pas «lui nuire» comme le ferait inévitablement Trump. Le professeur Nyhan a résumé les épithètes anti-communistes que le sénateur du Vermont méritait, selon lui:

«Combien d’Américains savent que Sanders n’est pas seulement un Démocrate socialiste déclaré. Mais aussi un ancien partisan du Parti socialiste ouvrier trotskiste, qui voulait abolir le budget fédéral de la défense et soutenait la "solidarité" avec les régimes révolutionnaires comme ceux de l’Iran et de Cuba? Les gens savent-ils qu’il a parlé positivement de Fidel Castro et de la révolution cubaine («une révolution très profonde et très pénétrante»). Il a même fait l’éloge de l’Union soviétique et critiqué les États-Unis lors d’un voyage de noces en URSS?»

Les éditorialistes du New York Times étaient également sur la même ligne digne de McCarthy. Timothy Egan soutenait, sous le titre «Bernie Sanders ne peut pas gagner», que ce qu’il appelait la «haine de classe» contre les milliardaires n’était pas un appel électoral viable. Faisant écho à Nyhan, Egan a écrit:

«Le mois prochain est la dernière chance de pouvoir examiner sérieusement Sanders, qui est en tête dans l’Iowa et le New Hampshire. Après cela, les républicains le mettront en pièces. Lorsqu’ils auront fini, vous ne reconnaîtrez pas le communiste vieillissant, destructeur d’entreprises, à la bouche écumée, venant de l’État laitier dystopique du Vermont. La démagogie est ce que les républicains font de mieux. Et Sanders est mûr pour une telle caricature.»

Le compagnon d’écurie d’Egan au Times est Bret Stephen, un éditorialiste néoconservateur, et partisan de l’agression militaire américaine dans tout le Moyen-Orient. Stephen a affirmé, sous le titre «les voyous fâchés de Bernie», que les partisans de la ligne de Sanders étaient semblables aux foules de droite rassemblées par Trump. Il a écrit qu’«aucun autre candidat Démocrate n’a autant d’adeptes venimeux […] Les seuls véritables analogues dans la politique américaine actuelle aux voyous fâchés de Bernie sont les méchants de Trump. Ils se ressemblent d’une manière qu’aucun des deux camps n'ose admettre.»

Vendredi, Hillary Clinton a redoublé son attaque contre Sanders. Elle avait commencé la semaine dernière dans un entretien du Hollywood Reporter. Lors de l’entretien, elle avait indiqué qu’elle ne s’engagerait pas à soutenir le candidat Démocrate à la présidence si Sanders remportait la compétition. Dans un podcast très médiatisé, elle a affirmé que de nombreux partisans de Sanders avaient appelé à soutenir les candidats de tiers en 2016 après qu’elle ait remporté l’investiture, sans toutefois pouvoir donner d’exemple. En fait, tous les plus proches collaborateurs de Sanders ont suivi l’exemple du sénateur en apportant un soutien rampant à Clinton, au choix de Wall Street et à l’appareil militaro-intelligent, lors des élections générales.

Le procureur général de l’Iowa, Tom Miller, un partisan de Biden, a déclaré à Politico que le choix de Sanders comme candidat à la présidence serait préjudiciable aux autres Démocrates. «Je pense que certains sont inquiets et je pense que cette inquiétude est assez répandue», a-t-il dit, «que si Bernie est le candidat, il pourrait bien perdre et entraîner d’autres Démocrates avec lui».

L’ancien représentant John Delaney, un homme d’affaires multimillionnaire, s’est retiré de la course à la présidence récemment. Dans sa dernière déclaration publique a alors qu’il déclaré qu’il soutenait des candidats comme Biden et la sénatrice Amy Klobuchar du Minnesota. Delanney a dit quant à «des gens comme Bernie Sanders qui se présentent en jetant par la fenêtre toute l’économie américaine et en partant de zéro. Je pense juste que cela rend notre travail beaucoup plus difficile, en termes de battre Trump.»

L’ancien gouverneur du Maryland Martin O’Malley, également en lice pour l’élection présidentielle démocrate de 2016, a publié une diatribe vicieuse contre Sanders dans l’édition américaine du quotidien britannique The Guardian. Il a décrit l’appel de Sanders aux jeunes comme une «escroquerie» et l’a comparé aux escrocs nigérians sur Internet.

Faisant écho à Clinton, O’Malley a dit de Sanders «C’est un homme qui n’a jamais rien accompli dans la fonction publique. Il a, je crois, démontré son incapacité à forger un consensus de gouvernement, sans parler de maintenir un consensus de gouvernement. Et je pense qu’il serait un choix terrible en tant que candidat de notre parti.»

NBC News a fait un reportage sur l’ancien secrétaire d’État, John Kerry, le candidat démocrate battu à la présidence en 2004 contre George W. Bush. On a entendu Kerry dimanche au téléphone dans un hôtel à Des Moines. Selon NBC, il discutait de l’entrée dans la course à la présidence lui-même en raison de «la possibilité que Bernie Sanders fasse tomber le Parti démocrate dans son ensemble.»

Kerry aurait regretté de devoir démissionner du Conseil d’administration de la Bank of America et de devoir renoncer à de lucratifs discours rémunérés. Toutefois, maintenant, il pouvait s’attendre à ce que de riches donateurs lui apportent leur soutien, car ils «ont maintenant la réalité de Bernie.»

Ce qui inquiète vraiment la direction du Parti démocrate et les médias bourgeois n’est pas la perspective que Sanders puisse mener le parti à la défaite. Mais, au contraire, que s'il obtient l’investiture cela contribuerait — malgré les propres efforts du sénateur du Vermont — à une radicalisation des travailleurs et des jeunes américains que même Sanders ne pourrait pas contenir.

La réponse de Sanders lui-même à ce déluge d’attaques négatives est révélatrice.

Lors d’un rassemblement de Sanders vendredi soir, la représentante, Rashida Tlaib, du Michigan, a répondu à l’attaque de Clinton en huant la mention de son nom. Le lendemain, Tlaib a été contrainte de faire une déclaration de regret et elle a été exclue de la liste des orateurs lors du rassemblement suivant de Sanders.

Le candidat lui-même, comme le décrit un rapport, «s’est efforcé de faire preuve de déférence envers ses adversaires» et a réitéré qu’il soutiendrait quiconque remporterait l’investiture démocrate.

«Certes, j’espère que nous allons gagner», a déclaré Sanders, «mais si nous ne gagnons pas, nous soutiendrons le vainqueur et je sais que tous les autres candidats feront de même. Nous sommes unis dans la compréhension que nous devons vaincre Donald Trump».

Cependant, malgré les affirmations de Sanders, l’establishment démocrate n’est en aucun cas réconcilié avec la perspective d’une nomination de Sanders. Le changement de règle sur l’éligibilité aux futurs débats annoncé vendredi par le DNC supprime l’exigence selon laquelle les candidats doivent avoir un nombre minimum de contributeurs. Cette mesure permettrait au milliardaire Michael Bloomberg, qui n’a lui-même qu’un seul contributeur, de se qualifier. Le conseiller de campagne de Sanders, Jeff Weaver, a dénoncé cette mesure, déclarant: «Maintenant, à cette heure tardive, ce serait déraisonnable de modifier les règles pour accommoder un milliardaire qui veut acheter son entrée dans le parti.»

Selon un article paru dans Politico, des membres du DNC ont commencé à discuter en privé d’une autre modification des règles de la convention. Une telle modification permettrait aux «super-délégués» — des fonctionnaires élus et membres du DNC — de voter au premier tour de l’investiture présidentielle. Selon les règles actuelles, ils n’ont pas le droit de vote au premier tour, qui est réservé aux délégués choisis lors des primaires et des caucus. Aussi, actuellement, ils peuvent voter seulement si deux conditions tiennent: que l’ensemble des candidats ne dispose pas d’une majorité initiale au premier tour, et que la compétition en arrive à un second tour. Un tel changement viserait, de manière transparente, à bloquer la victoire de Sanders au premier tour.

(Article paru d’abord en anglais 3 février 2020)

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