Québec: la page Facebook du premier ministre inondée de messages anti-musulmans

Des centaines de messages à caractère anti-musulman sont apparus sur la page Facebook du premier ministre québécois François Legault après sa participation à une cérémonie officielle pour marquer le troisième anniversaire de la tuerie de la Grande Mosquée de Québec, qui avait fait 6 morts et de nombreux blessés le 29 janvier 2017.

Malgré les efforts pitoyables du chef de la Coalition Avenir Québec (CAQ) pour en minimiser la signification, ce déluge de messages haineux souligne le lien profond qui existe entre le débat officiel de plus en plus chauvin alimenté par l’élite dirigeante québécoise et la montée des éléments les plus réactionnaires.

Sur sa page Facebook, Legault avait versé des larmes de crocodile sur un «événement qu’on ne croyait pas possible au Québec», tout en ajoutant: «Nous nous sommes réunis ce soir pour nous rappeler que notre peuple n’est pas à l’abri de cette haine. Mais cette haine n’est pas celle du Québec.»

L’apparente sympathie de Legault pour les victimes de l'attentat a enragé les éléments fascistes qui s’abreuvent depuis plus de 10 ans du discours anti-immigrants adopté par tout l'establishment politique et médiatique québécois, qui vise en particulier la communauté musulmane.

«Les suprémacistes blancs n’existent pas au Québec, mais les islamistes, il y en a des milliers!», a écrit l’un d’entre eux sur la page Facebook de Legault. Un autre a défendu le tireur de la mosquée de Québec en écrivant: «Bissonnette ne méritait pas 40 ans de prison». Une partie des internautes arborait le logo de La Meute, un groupe d’extrême-droite qui s’est développé dans la dernière décennie.

La Loi 21 (ou Loi sur la laïcité) du gouvernement Legault a certainement contribué à cette nouvelle avalanche de messages haineux. Mais elle ne fait que perpétuer une série de mesures tout aussi chauvines et anti-démocratiques adoptées par tous les partis de l'establishment depuis plus de dix ans.

* En 2006-2007, les grands médias et l'ADQ (absorbée depuis par la CAQ) avaient causé tout un tollé à propos des accommodements «déraisonnables» accordés aux minorités culturelles, menant à la tenue de la Commission Bouchard-Taylor. Celle-ci avait préconisé l’interdiction des signes religieux aux employés de l’État dits en position de «coercition» (juges, gardiens de prison, policiers), une mesure discriminatoire faussement présentée comme un «compromis».

* En 2013, le Parti québécois avait mis de l’avant sa «Charte des valeurs» visant à interdire le port de signes religieux à tous les employés de l’État, tout en faisant une exception pour les croix catholiques «discrètes».

* En 2017, la Loi 62 du Parti libéral obligeait de donner ou recevoir des services publics à visage découvert. Cette mesure visait explicitement à priver les femmes musulmanes portant le voile islamique de l’accès aux soins de santé, à l’éducation et à d’autres services essentiels.

* L’an dernier, les médias de la grande entreprise ont accueilli le projet de loi 21 de la CAQ comme un compromis légitime, tout en minimisant le contenu profondément anti-démocratique de ses mesures principales: l’interdiction de fournir des services publics aux femmes musulmanes voilées (inspirée de la Loi 62 des libéraux); l’interdiction d’engager des enseignants au primaire et au secondaire issus des minorités culturelles et portant des signes religieux (inspirée de la «Charte des valeurs» du PQ); et le recours à la clause dérogatoire qui permet de soustraire la loi à toute contestation légale qu’elle viole la Charte canadienne ou québécoise des droits et libertés.

Québec Solidaire (QS), qui se présente faussement comme un parti de gauche, a joué un rôle clé pour légitimer ces débats en les qualifiant de «nécessaires», déplorant seulement qu’ils aillent parfois «trop loin».

Dans les jours qui ont suivi le massacre de la mosquée de Québec, alors que des millions de personnes étaient révoltés par ces événements, QS s’est joint à l’élite dirigeante pour cacher le lien évident entre la montée de l’islamophobie et le chauvinisme promu sans cesse par cette même élite. Déchargeant l’establishment et les grands médias de toute responsabilité, QS a claironné que les recommandations pseudo-libérales de la Commission Bouchard-Taylor constituaient un «plancher minimum consensuel».

Même si QS s’est formellement opposé à la Loi 21 après son dépôt, il a depuis refusé de mener la moindre campagne contre elle, tout en insistant à plusieurs reprises que la CAQ n’est «pas raciste». Il n’a fait aucun commentaire sur la vague de messages anti-musulmans suite à la commémoration de la tuerie de Québec.

Il faut aussi mentionner que le Journal de Montréal, fervent partisan de la Loi 21 et propriété du richissime et ex-chef du Parti québécois Pierre-Karl Péladeau, n’a pas commenté les messages haineux apparus sur la page Facebook du premier ministre.

Le JDM veut, lui aussi, couvrir sa responsabilité. Reprenant la position de Legault et de tout l’establishment, ses chroniqueurs répètent sans cesse que toute mention d’un «courant islamophobe» au Québec ne représente que du «Quebec-bashing». L’un d’entre eux, l’ex-péquiste Joseph Facal, s’est déjà outré de voir des survivants de la tuerie de Québec présents lors d’une manifestation contre la Loi 21 réunissant des milliers de personnes.

Il y a une profonde empathie dans la province pour les victimes de l'attentat de Québec et d’autres actes anti-immigrants. Et il existe un fort courant d’opposition, jusqu’ici politiquement inarticulé, contre la Loi 21.

C’est ce que le chef par intérim du Parti québécois, Pascal Bérubé, a dû reconnaître. Venant à la rescousse de Legault, il a déclaré: «Il y a également des gens qui attaquent le gouvernement de M. Legault, et notre formation politique, en disant qu’on fait preuve de discrimination à l’égard de plusieurs personnes dans notre société, c’est pas plus acceptable, ça non plus.»

La montée du chauvinisme découle de la profonde crise du capitalisme. Alors que l'opposition sociale de la classe ouvrière internationale augmente face à l'austérité sans fin, la Loi 21 et des mesures similaires imposées partout dans le monde visent à faire des immigrants et des minorités culturelles des boucs émissaires pour les vastes problèmes sociaux engendrés par la crise du système capitaliste. L’islamophobie sert en particulier de couverture aux guerres de conquête que Washington et ses alliés, y compris le Canada, mènent en Irak, en Afghanistan, en Syrie et dans d’autres pays à majorité musulmane.

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