Tandis que la crise du coronavirus s’intensifie

Le gouvernement du Québec tente d'extorquer des concessions aux travailleurs de la santé et du secteur public

Tandis que la pandémie de coronavirus s'étend à tout le Canada, le gouvernement québécois de la CAQ (Coalition Avenir Québec) cherche à imposer de nouvelles concessions aux 550.000 infirmières, préposés aux bénéficiaires, enseignants, fonctionnaires et autres travailleurs du secteur public de la province.

Au cours de la semaine dernière, les dirigeants des principales fédérations syndicales et des syndicats du secteur public du Québec ont tenu des négociations à huis clos avec le gouvernement de la CAQ afin de parvenir à des règlements contractuels «accélérés» pour les travailleurs dont les conventions collectives ont expiré le 31 mars.

Selon les syndicats, le gouvernement n'offre même plus, comme il l'avait indiqué il y a quelques semaines, d'augmentations salariales liées au taux d'inflation. Au lieu de cela, il est revenu à son offre salariale initiale, tout en ne proposant aucun nouvel investissement dans les services publics ni aucune modification des règles et des régimes de travail qui sont si onéreux qu'ils ont conduit un grand nombre d'infirmières et d'enseignants à quitter leurs professions respectives.

Selon l'offre du gouvernement, les 550.000 travailleurs du secteur public de la province bénéficieraient d'augmentations salariales de 1,75% les deux premières années et de 1,5% la troisième année des contrats de trois ans, soit une augmentation totale de 5%. Cela signifierait un appauvrissement supplémentaire des travailleurs, qui ont déjà été la cible de plusieurs années de «restriction salariale». Le gouvernement lui-même prévoit que l'inflation augmentera de 6,4% d'ici 2023.

Les syndicats ont rejeté à l'unanimité les offres de contrat du gouvernement, sachant pertinemment qu'ils ne pouvaient pas obtenir l'acceptation de leurs membres. Mais si le gouvernement de la CAQ peut être aussi intransigeant et arrogant envers les travailleurs du secteur public, y compris les travailleurs du secteur de la santé qui risquent leur vie chaque jour alors que la pandémie s'intensifie, c'est précisément à cause de la soumission des syndicats.

Le premier ministre du Québec, François Legault, a pris la mesure des syndicats lorsqu'ils ont répondu à sa proposition du 13 mars de suspendre indéfiniment les négociations contractuelles en raison de l'urgence liée au coronavirus, en offrant au gouvernement leur pleine collaboration. Les dirigeants syndicaux ont ainsi signalé qu'ils feraient tout ce qui est en leur pouvoir pour bloquer une rébellion de la classe ouvrière contre des années d'austérité qui menaceraient le gouvernement de la grande entreprise de la CAQ et le programme de guerre de classe de toute l'élite dirigeante au milieu d'une crise sanitaire et économique sans précédent qui a mis à nu l'échec manifeste du capitalisme.

Lorsque, quelques jours plus tard, le Conseil du Trésor est revenu sur sa position et a plutôt invité les syndicats à un «blitz de négociations» pour parvenir rapidement à des «accords intérimaires», tous les syndicats se sont empressés de donner leur accord. Le président de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) est allé jusqu'à dire que «tout est sur la table», tandis que le président de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), Daniel Boyer, a à peine caché sa volonté d'imposer des concessions aux travailleurs: «Nous sommes prêts à entendre les préoccupations du gouvernement», a-t-il écrit dans un communiqué de presse.

Maintenant, les syndicats feignent l'étonnement et l'indignation, comme si cette nouvelle tentative d'extorsion de concessions, venant d'un parti qui depuis des années prône la réduction des dépenses sociales, la privatisation, et des réductions d'impôts somptueuses pour les riches et les entreprises, était inattendue. Apparemment, les discussions sont toujours en cours et le gouvernement espère conclure des accords dans les prochains jours.

Cependant, la plupart des syndicats demandent maintenant un report des négociations, bien que certains, dont la CSQ (Centrale des syndicats du Québec) et la CSN (Confédération des syndicats nationaux), aient soumis des contre-offres qui sont pleinement conformes au cadre d'austérité du gouvernement.

La CSN a proposé des contrats de 24 mois avec une maigre augmentation de salaire de 4,4%, plus des primes de 3$ l'heure pour tous les travailleurs du secteur de la santé et autres travailleurs engagés pour aider à la lutte contre le coronavirus. Son offre accepte qu'aucune des demandes de longue date des travailleurs pour une réduction de la charge de travail et un réinvestissement massif dans les services ne sera prise en compte. La CSQ a déposé une offre similaire.

Malgré les critiques creuses des dirigeants syndicaux à l'égard des propositions du gouvernement, ils sont déterminés, comme lors de la lutte pour le secteur public en 2015-2016, à empêcher toute contestation ouvrière du programme d'austérité de la bourgeoisie et de la batterie de lois anti-grève par lesquelles il a été imposé.

Si la plupart des syndicats semblent aujourd'hui favorables à l'abandon de la tentative de conclure des accords intérimaires et souhaitent plutôt revenir à une date ultérieure à la négociation sur la base des offres de contrat initiales de cinq ans du gouvernement, c'est parce qu'ils craignent de perdre le contrôle de toute la classe ouvrière, qui est de plus en plus agitée. En s'éloignant de la table des négociations, ils espèrent pouvoir faire traîner les négociations, comme ils l'ont souvent fait par le passé, dans le but de démobiliser et de diviser les travailleurs, puis d'utiliser la menace gouvernementale d’une loi anti-grève et des contrats imposés par décret pour intimider les travailleurs afin qu'ils acceptent des accords de concession «négociés».

L'asservissement des syndicats a déjà encouragé le gouvernement à publier, sous le prétexte de l'urgence sanitaire, deux décrets ministériels qui lui donnent le pouvoir de mettre de côté à volonté les termes des contrats actuels couvrant les travailleurs des secteurs de la santé et de l'éducation. En justifiant ces décrets, les fonctionnaires du gouvernement ont spécifiquement mentionné la nécessité d'avoir le pouvoir d'imposer des équipes de 12 heures, d'affecter les employés à n'importe quel lieu de travail ou tâche, et de suspendre les vacances et les congés. Selon les syndicats, ces mesures entraîneront sans aucun doute des pertes de salaire pour les travailleurs.

Comme les gouvernements du monde entier, le gouvernement fédéral de Justin Trudeau, la CAQ de Legault, le gouvernement progressiste-conservateur de l'Ontario dirigé par Doug Ford et leurs homologues de tout le Canada sont venus au secours des banques et des grandes entreprises avec des plans de sauvetage illimités, tout en offrant aux travailleurs qui ont perdu leur emploi une aide de type rationnement. Comme après le krach financier de 2008, l'élite dirigeante cherchera par la suite à soustraire aux travailleurs, par une austérité encore plus sauvage, les centaines de milliards de dollars canalisés vers les banques et les entreprises. Un tel programme est incompatible avec les formes démocratiques de gouvernement.

Sans l'intervention politique indépendante de la classe ouvrière dans la crise actuelle, l'élite dirigeante tentera de rendre «permanentes» des mesures antidémocratiques «temporaires» telles que la suspension des droits contractuels des travailleurs, le déploiement croissant de la police – et même de l'armée – dans les rues, le renforcement des contrôles aux frontières, etc. En fait, pendant des années, les gouvernements fédéraux et provinciaux ont piétiné les droits des travailleurs tels que le droit de grève.

Les manœuvres perfides des syndicats avec le gouvernement du CAQ s'inscrivent dans le cadre de leur collaboration corporatiste de longue date avec le patronat et de leur intégration croissante dans l'État capitaliste. Pendant des décennies, les appareils syndicaux ont étouffé la lutte des classes, sabotant les luttes ouvrières les unes après les autres afin de permettre aux grandes entreprises québécoises de satisfaire les demandes des investisseurs pour des profits toujours plus importants.

Ces organisations continuent de tendre la main à Legault et de semer le mensonge selon lequel on peut faire pression sur la CAQ pour répondre aux besoins des travailleurs, alors qu'il devient de plus en plus évident que le gouvernement du Québec, comme les gouvernements du monde entier, a fait preuve d'une négligence criminelle face à la menace imminente du coronavirus. Rien n'a été fait pour mobiliser les ressources de la société afin d'obtenir des respirateurs artificiels, des masques et d'autres équipements médicaux essentiels, ou pour prendre d'autres mesures préventives, afin de ne pas empiéter sur les profits de l'élite financière. Cet échec est d'autant plus frappant que la pandémie est en plein essor, le Québec étant la province la plus touchée par le coronavirus avec plus de 4.160 cas confirmés et 31 décès. Plus de 80 travailleurs de la santé ont contracté le COVID-19.

Depuis le début de la crise, l'ensemble de l'establishment, y compris Québec Solidaire, prétendument de gauche, s'est rangé du côté de Legault, que les médias ont dépeint comme un quasi «héros national» parce qu'il a ordonné des fermetures un ou deux jours avant les autres gouvernements du pays. Pourtant, il a longtemps résisté aux demandes pressantes des travailleurs de secteurs non essentiels comme la construction, qui réclamaient la fermeture des lieux de travail. Aujourd'hui encore, le premier ministre du CAQ insiste pour que des sociétés minières comme Rio Tinto et ArcelorMittal maintiennent leur production, même si cela fait courir aux travailleurs un risque grave d'attraper et de transmettre la maladie.

Pendant ce temps, des rapports continuent d'apparaître quotidiennement sur le manque d'équipements essentiels dans les hôpitaux de la province, comme les masques de protection N95.

La contre-offensive croissante de la classe ouvrière contre l'austérité et l'inégalité sociale qui a balayé le monde en 2018 et 2019, se traduit maintenant par une vague de grèves – notamment des travailleurs de l'automobile américains et d'Amazon et d'autres travailleurs de la logistique, des travailleurs du textile italiens et des travailleurs des transports français – qui sont contraints de travailler dans des conditions dangereuses.

Plus que jamais, il est urgent que les travailleurs prennent les choses en main. Face à la tentative de l'élite, avec la complicité des syndicats et de la gauche officielle, d'utiliser la pandémie pour faire tourner la politique encore plus à droite, les travailleurs doivent former des comités indépendants sur les lieux de travail et dans les quartiers afin de développer leur propre solution à la crise. Cette solution doit être basée sur les besoins humains et non sur ce que l'élite financière prétend qu’on peut se permettre. Elle doit opposer au capitalisme la lutte internationale de la classe ouvrière pour la réorganisation socialiste de la société.

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