Québec: des travailleurs dénoncent le manque de mesures sanitaires et le travail «essentiel» flou

Depuis le 24 mars dernier, le gouvernement du Québec a officiellement demandé la fermeture des services et entreprises jugés non-essentiels, disant vouloir empêcher la propagation du coronavirus hautement contagieux et potentiellement mortel.

Mais sous le prétexte de fournir des services essentiels, de nombreuses entreprises, y compris des usines de fabrication et des minières, ont reçu l’autorisation de maintenir leurs activités.

Le gouvernement de la Coalition Avenir Québec, comme tout l’establishment politique, ne donne pas la priorité aux vies humaines. Il répond avant tout aux exigences des marchés financiers et de la grande entreprise, qui sont impatients de relancer l’économie pour continuer à empocher leurs profits (voir article).

Le premier ministre François Legault a laissé entendre à la fin de la semaine dernière que son gouvernement envisageait la réouverture précipitée des écoles et garderies avant le 4 mai pour permettre la réouverture de certains milieux de travail. Ce «scénario» irresponsable et même criminel, sachant que ces réouvertures pourraient entraîner une nouvelle vague de contamination et de décès, a suscité une vive opposition dans la population et sur les réseaux sociaux. Une pétition exigeant la fermeture des écoles et garderies jusqu'en septembre a été signée par plus de 175.000 personnes en moins de 72 heures.

Une équipe du World Socialist Web Site s’est entretenue avec des travailleurs de divers domaines qui ont soit travaillé, ou été forcés de travailler, en ces temps de pandémie. Ils ont tous révélé l’hypocrisie des entreprises, ainsi que l’inefficacité des mesures sanitaires mises en place.

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Max est opérateur dans une usine d’affinage de métaux à Montréal qui emploie environ 300 employés. «La compagnie dit qu’on est un service essentiel parce qu’apparemment, le cuivre qu’on produit sert à la soudure des boîtes de conserve. Je n’avais jamais entendu ça auparavant», a-t-il dit d’entrée de jeu.

«Le syndicat nous a dit qu’on aurait des horaires allégés pour que personne ne perde son emploi, mais là on fait même de l’overtime. J’ai travaillé 48 heures la semaine dernière.»

Exprimant ses inquiétudes face à la pandémie, Max a dit: «Je n’ai pas envie que le virus se propage plus, ni envie de contaminer qui que ce soit, mais j’ai des paiements donc je n’ai pas le choix de rentrer travailler. Personnellement, je serais resté à la maison, mais ils ne veulent pas me donner mon chômage. Mes patrons me disent que je peux rester chez nous, mais sans solde. J’ai déjà pris deux semaines sans solde après avoir appris qu’il y avait des cas potentiels à ma job. Quand j’ai appris que mon emploi faisait partie de la liste des services essentiels, je n’avais plus le choix d’aller travailler.»

«Il y a des rumeurs que certains auraient été infectés, mais on n’a pas de preuve. Je trouve ça louche. Un gars a été retiré il y a plus de deux semaines, en attente de résultats. Ils sont supposément négatifs, mais le gars n’est pas encore revenu travailler. Il avait tous les symptômes, mais on s’est fait dire que ce n’était pas le COVID».

Max a expliqué que les mesures sanitaires mises en place étaient insignifiantes. «À l’usine, les horaires ont été légèrement modifiés pour éviter le chevauchement des quarts de travail. Quand on entre et on sort de l’usine, il y a une caméra thermique pour prendre notre température et voir s’il y a de l’évolution. On a des produits pour nettoyer aussi. Mais on s’entend que la distanciation sociale de 2 mètres est très difficile à appliquer dans nos conditions de travail».

Il poursuit: «Je travaille dans une salle d’opération d’environ 3 mètres de long par moins de 2 mètres de large. Dans mon cas, on est trois à se partager cet espace-là. Donc quand tu passes de bord en bord du bureau d’affinage, c’est certain que tu croises quelqu’un».

Faisant référence aux entreprises, comme des minières, qui ont le droit de poursuivre la production sous prétexte qu’elles sont essentielles, Max a dit: «Il y a du monde qui a plus de pouvoir que le travailleur moyen ordinaire qui fait 40h semaine. Pour les dirigeants, les usines, l’industrie, c’est facile pour eux de passer pour services essentiels en utilisant les failles dans le système: c’est la roue qui tourne, les riches s’enrichissent, les pauvres deviennent plus pauvres».

Max a conclu en soulignant :« Ce qu’il aurait fallu, c’est une vraie quarantaine : tout le monde chez eux pendant 14 jours».

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François travaille chez le fabricant de moteurs Pratt&Whitney comme inspecteur de composante. Depuis le début de la crise, la compagnie a maintenu une partie de sa production sous prétexte qu’elle avait des contrats liés au militaire. La semaine passée, dans une décision qui a surpris et indigné les travailleurs, l’entreprise rappelait l’ensemble de sa main-d’oeuvre même si l’aéronautique ne fait pas partie des services essentiels. La direction et le syndicat ont justifié leur décision, de manière évasive, sur la base que les pièces fabriquées à l’usine servaient à propulser des avions transportant des biens essentiels.

François a expliqué au WSWS que même dans les départements toujours en fonction, le militaire ne représente que 5 à 10% de la production. Secrètement, plus de 90% de la production depuis le début de la pandémie est liée au commercial ou à d’autres services non-essentiels comme les moteurs pour jets privés.

Au niveau des mesures sanitaires, François a été tranchant: «Certaines mesures sanitaires sont prises, mais c’est insuffisant! Les contacts sont inévitables dans une usine où se trouvent des centaines de travailleurs, où on échange constamment nos outils. Quand je vais aux toilettes, on se retrouve une vingtaine d’employés en même temps. Malgré les modifications d’horaire, il y a tout de même de grands attroupements à l’entrée et à la sortie alors que tous les travailleurs quittent leur quart de travail en même temps».

Il a expliqué ce qui motive réellement la compagnie: «C’est bon pour les actionnaires de maintenir la production parce que s’il n’y avait que la production liée au militaire, la compagnie ne ferait pas un bon chiffre d’affaires», avant de lancer ironiquement: «Pour les patrons, c’est totalement pour leur poche. Vive le capitalisme!»

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Le WSWS s’est également entretenu avec Paul, un travailleur de la construction, et Jean, son fils de 19 ans.

Jean a expliqué qu’il travaillait comme commis dans un supermarché mais a quitté par crainte pour sa santé. «Il n’y avait pas vraiment de mesures de sécurité prises à l’endroit des travailleurs. Je travaillais à l’entrée. On avait des petits gants de caoutchouc. On n’avait pas accès à un masque. Je devais mettre le purell dans les mains des clients, qui devaient s’approcher à moins de deux mètres de moi.»

Jean a été critique envers la réponse du gouvernement. «Je crois que le gouvernement aurait dû agir plus rapidement et plus tôt. Maintenant, on réagit au lieu de prévenir», a-t-il dit.

Lorsqu’on lui a demandé ce qui poussait le gouvernement à prôner un retour rapide au travail, malgré le fait que les infections et les décès continuent d’augmenter rapidement dans la province, Paul a pris quelques instants avant de répondre: «Je pense que le gouvernement a de la pression côté finances. Si on me demande ce qui est nécessaire avant que les mesures de confinement soient levées, c’est sûr que j’opterais pour la santé».

Ensuite, nous avons discuté de la situation catastrophique pour les travailleurs de la santé et du prétendu «manque d’argent», le refrain de tous les paliers de gouvernements dans les dernières décennies. Paul a soulevé la question des dépenses militaires faramineuses. «J’ai beaucoup de mal à m’expliquer le manque de matériel surtout pour le médical. Ça fait combien de temps que les États-Unis sont en guerre? 125 ans? Combien d’argent mis là-dedans? Ça me dépasse complètement.»

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