Les témoignages de détenus américains et canadiens révèlent des conditions de vie mortelles dans les prisons

Les prisons et les centres de détention des États-Unis et du Canada sont en train de devenir des foyers de COVID-19 sur tout le continent. Les mauvaises conditions qui existaient déjà dans ces établissements ont laissé les détenus et le personnel pénitentiaire extrêmement susceptibles d'être infectés et de décéder. La proximité et le surpeuplement signifient qu'une fois que le virus pénètre dans une prison ou un centre de détention, il peut rapidement se propager à une large population.

Le Bureau of Prisons a officiellement rapporté que seuls huit détenus de prisons fédérales sont morts du virus; cinq de ces décès concernaient des personnes incarcérées dans une prison fédérale à Oakdale, en Louisiane. Les prisons d'État de l'Illinois, de la Géorgie, du Michigan, du Massachusetts et de New York ont également connu au moins un décès.

Le nombre réel de décès et d'infections parmi les personnes incarcérées est sans aucun doute beaucoup plus élevé. De nombreux récits poignants ont été publiés ces deux dernières semaines sous forme de vidéos et de témoignages écrits de prisonniers décrivant les conditions auxquelles ils sont confrontés.

Un jeune prisonnier de la prison fédérale d'Elkton a enregistré une vidéo sur un téléphone de contrebande qui a été publiée sur YouTube le 5 avril. Le prisonnier, dont l'identité est inconnue, commence:

«Tout allait bien il y a quelques jours, puis tout d'un coup, tout le monde a commencé à tomber malade et à mourir. Trois gars que je connais sont déjà morts. Et sinon nous sommes malades comme des chiens. Ils nous laissent littéralement mourir. Ils n'arrêtent pas de parler de distanciation sociale, mais nous... nous ne pouvons même pas prendre de distance sociale, regardez ça.»

Celui qui parle tourne alors la caméra vers sa chambre. Il se trouve sur le lit du bas d'un lit superposé, dont l'extrémité est poussée contre un autre lit. L'homme couché dans l'autre lit est enveloppé dans une couverture, porte un masque chirurgical et ne réagit pas aux questions de celui qui parle.

Il continue: «Ce fils de p**e là-bas est en train de mourir du coronavirus, ils l'ont mis dans ma chambre. Comment suis-je censé vivre?» Le prisonnier révèle alors que son compagnon de cellule sur la couchette au-dessus de lui est également infecté.

«Ils nous ont dit de rester à 2 mètres, nous ont donné ces masques [masques chirurgicaux] et nous ont dit "bonne chance". J'ai été condamné à une peine légère pour drogue et maintenant ils essaient de me tuer. J'essayais de garder la situation avec le téléphone discrète, mais c'est trop grave. Tout le monde est en train de mourir.»

Il quitte ensuite sa cellule et se rend dans une zone commune et tourne la caméra pour montrer un détenu qui ne réagit pas et qui a, de manière audible, d'extrêmes difficultés à respirer. «Il ne peut pas respirer, ce fils de p**e est littéralement en train de mourir. Je ne sais pas quoi faire. Je ne veux pas mourir ici, il me reste moins d'un an.»

Plus tard dans la vidéo, le détenu dit: «L'infirmier est venu aujourd'hui, il m'a dit d'être prêt, "la moitié de l'unité va mourir", a-t-il dit. Ils sont déjà en train d'empiler les corps dans la tente.» À un autre moment de la vidéo, le détenu se rend à une fenêtre pour montrer une grande tente qui a été construite sur le terrain de basketball de la prison.

Vers la fin de la vidéo, le détenu commence à énumérer les noms de ses amis et de sa famille, en leur disant adieu car il craint de ne plus jamais les revoir. Il ajoute: «J’emm**de tous ces conseils, nous devons partir d'ici! Andrew Cuomo, nous ne pouvons pas faire de la distanciation sociale! Si je ne passe pas à travers, c'est pour la réforme du système carcéral, ne laissez personne d'autre mourir pour ça. Si je meurs, partagez cela avec tout le monde. Partagez ça!»

Il termine l'enregistrement en déclarant: «Il n'y a pas de protection pour les détenus, on va nous jeter dans cette tente, et ils vont téléphoner à nos parents pour leur dire qu'ils n'auraient rien pu faire. Mais il y a quelque chose qu'ils peuvent faire! Je suis ici pour une légère accusation de drogue, je réponds à tous les critères de libération compassionnelle, pourquoi ne puis-je pas sortir? Quelqu'un doit répondre à cette question! Mais ils veulent l'argent.

«Ils pourraient m'envoyer au trou pour cela [l'enregistrement de la vidéo], mais qu’est-ce que je peux d'autre? Il faut sensibiliser les gens en prison, nous [en parlant de son compagnon de cellule] n'avons que des accusations de drogue et c'est ce qu'ils nous font. Il est sur son lit de mort.»

Le sort de ce détenu et de ceux montrés dans la vidéo est actuellement inconnu. Le 6 avril, un jour après la fuite de la vidéo, le gouverneur républicain de l'Ohio, Mike DeWine, a appelé la garde nationale à la prison fédérale d'Elkton, juste à l'est de Canton, dans l'Ohio.

Le 4 avril, une lettre a été publiée sur Twitter, par un avocat au nom de son client anonyme, un détenu du complexe pénitentiaire de Rikers Island à New York.

La lettre, qui est datée du 21 mars, commence: «Je n’inclurai pas mon nom par crainte de représailles et de répercussions. Je suis actuellement détenu à Rikers Island en attendant que mon affaire soit résolue [l'auteur est donc en attente de son procès et n'a pas encore été condamné pour un crime].

«Ces derniers mois, j'ai regardé les nouvelles tous les jours sur la pandémie de COVID-19. Et je vois aussi comment notre gouverneur [Andrew Cuomo] continue de mentir en disant qu'il n'y a pas eu de cas de COVID-19 sur l'île de Rikers. C'est un mensonge complet. Il y en a eu 28 à ma connaissance jusqu'à présent.»

Le jour même où cette lettre a été écrite, le maire deBlasio a annoncé que 21 détenus avaient été testés positifs. Jusqu'alors, un seul cas, confirmé le 18 mars, avait été rapporté parmi les détenus de Rikers par les autorités de la ville.

Le lendemain de la publication de la lettre, il a été confirmé que Michael Tyson, âgé de 53 ans, était le premier détenu de Rikers à mourir de la COVID-19. Tyson avait été incarcéré le 28 février. Il attendait une audience sur une violation de sa liberté conditionnelle. Les chiffres les plus récents à Rikers incluent au moins 273 détenus infectés par le virus: un taux d'infection sept fois supérieur à celui de la ville de New York, aujourd'hui l'épicentre mondial de la pandémie.

La lettre du détenu se poursuit: «Chaque jour, il y a de plus en plus de personnes qui toussent, éternuent et présentent des symptômes de grippe et personne n'est testé. Nous dormons dans des conditions horribles, à seulement deux pieds de distance. Nous ne recevons ni masque, ni gants, ni même assez de savon. Nous ne recevons pas le temps de téléphone supplémentaire que le maire nous a promis lorsque les visites ont été interrompues.

«Chaque jour, nous vivons dans la peur de ce virus et le personnel a également très peur. Personne ici ne méritait la peine de mort pour le crime dont on l'accuse. Nous devrions être libérés avec des moniteurs à la cheville pour nous donner une chance de nous battre. Passons au moins ce qui peut être nos derniers jours avec nos proches qui s'inquiètent à mort pour nous. Chaque jour, nous sommes assis et nous regardons "notre" maire et "notre" gouverneur mentir.»

À l'établissement de détention Leclerc à Laval près de Montréal, au Canada, un certain nombre de prisonniers font actuellement une grève de la faim pour protester contre les conditions de leur incarcération. La nouvelle de cette grève s'est propagée à la prison de Burnside à Halifax, en Nouvelle-Écosse. Les prisonniers de l'établissement ont rédigé une lettre ouverte en solidarité avec les grévistes de la faim, qui déclare «Laisser des personnes marginalisées en prison pendant une pandémie est une violation des droits de l'homme qui vise les moins puissants de la société. Les personnes qui plaident pour que nous soyons détenus dans ces établissements peuvent rester chez elles en toute sécurité tandis qu'elles nous abandonnent à la maladie ou à la mort si une infection se déclare.»

Soulignant l'injustice flagrante dont sont victimes des milliers de migrants emprisonnés et confrontés à des conditions mortelles, la lettre poursuit: «La prison n'est jamais sûre ni saine. Nous condamnons particulièrement l'incarcération de personnes qui n'ont commis aucun crime: des personnes qui sont simplement venues d'un endroit à un autre.

La lettre conclut: «Libérez les grévistes de Laval! Solidarité avec tous les prisonniers à travers le monde!»

Un migrant qui est enfermé au South Texas Immigrant and Customs Enforcement Center, qui est géré par le groupe privé à but lucratif GEO, a fait le plaidoyer suivant à un avocat: «Aidez-nous, nous craignons pour notre vie. GEO ne veut pas que nous sachions quoi que ce soit ici.»

Les détenus désespérés ont également souligné le risque accru auquel sont exposés les prisonniers âgés et ceux qui ont des conditions préexistantes. Dans une lettre au gouverneur DeWine, un détenu de l'Ohio a écrit: «Il me reste quatre mois et je suis asthmatique. Ce virus qui circule peut tuer des gens comme moi. J'ai deux enfants et une femme. Je sais qu'il y en a d'autres ici qui n'ont pas fait des choses si mauvaises que nous pourrions tous être mis en résidence surveillée ou en probation pour le reste de cette période.»

Le détenu poursuit: «Nous sommes par groupes de 210, peut-être plus, et nous dormons les uns à côté des autres et nous mangeons dans les mêmes assiettes. Il suffira que l'un d'entre nous l’attrape et toute la prison l'aura.»

L'incarcération de masse a été l'une des principales armes utilisées par la classe capitaliste, tant démocrate que républicaine, au cours des quarante dernières années de contre-révolution sociale.

Aucune société dans l'histoire de l'humanité n'a incarcéré autant de ses propres citoyens que les États-Unis. La crise de COVID-19 n'a fait qu'accentuer les conséquences mortelles de cette pratique.

(Article paru en anglais le 11 avril 2020)

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