«Nous sommes des êtres humains et ils ne peuvent pas nous maltraiter de la sorte.»

Les travailleurs du secteur du conditionnement de la viande exigent d’être protégés alors que la pandémie frappe la chaîne d'approvisionnement alimentaire américaine

Aux États-Unis, les travailleurs de l'industrie alimentaire réclament une protection car la contagion de la COVID-19 se propage dans les abattoirs, les usines de conditionnement de la viande, les entrepôts, les supermarchés et d'autres segments de la chaîne d'approvisionnement alimentaire américaine.

Sur cette photo prise le 9 avril 2020, des employés et des membres de leur famille manifestent devant une usine de transformation de Smithfield Foods à Sioux Falls, Dakota du Sud. L'usine a connu une épidémie de cas de coronavirus selon la gouverneure Kristi Noem. (Photo d’archives AP/Stephen Groves)

Alors que les travailleurs du secteur du conditionnement de la viande et des épiceries ont été jugés «essentiels» pendant la crise, les employeurs ont refusé de leur fournir les moyens de protection les plus élémentaires. Au cours des dernières semaines, plus de 2000 personnes ont été testées positives et un certain nombre sont décédées, dont cinq travailleurs de l'industrie du conditionnement de la viande au Colorado, en Pennsylvanie et en Géorgie et au moins 41 travailleurs d'épiceries, dont quatre travailleurs de Kroger et un de Meijer dans le sud-est du Michigan.

Dimanche, Smithfield Foods, le plus grand producteur de porc des États-Unis, a annoncé qu'il fermait son usine de Sioux Falls, dans le Dakota du Sud, «jusqu'à nouvel ordre», après que des protestations aient éclaté à propos de l'infection de centaines de travailleurs de l'usine. Les responsables de la santé ont déclaré dimanche que 293 des 730 personnes chez qui la COVID-19 a été diagnostiquée dans l'État du Dakota du Sud travaillent à l'usine.

Après que des dizaines de travailleurs aient été testés positifs la semaine dernière, l’entreprise a ordonné la fermeture de l'usine géante pour trois jours afin de nettoyer, annonçant qu'elle ajouterait du savon et des désinfectants pour les mains et installerait des cloisons en plexiglas pour renforcer la «distanciation sociale» dans l'usine, qui emploie 3700 travailleurs. Les responsables de l'entreprise ont cependant refusé de fermer l'usine, le président et directeur général de Smithfield, Kenneth Sullivan, déclarant, «Nous avons un choix difficile en tant que nation: nous allons soit produire de la nourriture soit ne pas en produire, même face à la COVID-19.»

Des travailleurs protestent devant l'usine

Alors que les Travailleurs unis de l'alimentation et du commerce (TUAC), le syndicat présent dans l'usine, ont accepté le plan, la fermeture temporaire n'a fait qu'irriter les travailleurs qui, craignant les représailles de la direction, ont inondé un groupe local de défense des immigrants, «¿Que Pasa Sioux Falls», d'appels et de messages textes dénonçant les conditions dangereuses à l'usine.

Parmi les commentaires:

«Il n'y a pas de savon dans les salles de bain, et ils ont mis les tables de la cafétéria dans les couloirs de sorte que toute personne passant par-là peut éternuer et envoyer des particules sur ces tables. Je n'ai vu personne désinfecter les tables de la cafétéria après les repas.»

«Les masques qu'ils donnaient dans mon service étaient les filets que vous mettez sur votre tête. Ils nous ont dit de les mettre sur notre visage et de les utiliser comme masques.»

«Mon service n'a pas reçu de masque de protection avant le jeudi 9 avril, mais aucun d'entre nous ne peut parler à la presse car [nous avons] été avertis à maintes reprises au cours des réunions de ne pas parler.»

«Ils nous ont donné une prime de 500 dollars si nous ne manquions pas un jour de travail au mois d'avril. Je pense que c'est profiter des personnes dans le besoin.»

«Je me suis senti malade pendant trois jours et mon superviseur a continué à m'ignorer jusqu'à ce que je sois testé positif à la COVID-19.»

«J'ai maintenant très peur de retourner au travail car il n'y a pas d'hygiène complète. Je ne vois personne nettoyer les tables de la salle de repos. Je ne vois personne désinfecter les salles de bain. Il n'y a pas de désinfectant là où nous travaillons avec la viande et nous travaillons près de chaque personne! Je vous en prie, nous sommes des êtres humains et ils ne peuvent pas nous maltraiter de la sorte. Il y a beaucoup de choses que cette entreprise cache mais il y a plus de 190 personnes malades.»

Les travailleurs encerclent l'installation avec leurs voitures

Samedi, l'organisation d'immigrants a organisé une manifestation devant l'usine, avec des dizaines de travailleurs encerclant l'installation avec leurs voitures pour demander sa fermeture. Avec la menace d'une grève, la gouverneure du Dakota du Sud Kristi Noem et le maire de Sioux Falls Paul TenHaken ont demandé à l'entreprise de suspendre ses activités pendant 14 jours afin que les travailleurs puissent s'isoler et que l'usine puisse être désinfectée.

Même avant l'épidémie, les usines de viande et de volaille étaient réputées pour les accidents mortels et les blessures dues à des mouvements répétitifs, des sols glissants, des exigences d’augmentation de rendement et des équipements de coupe dangereux. Ce bilan humain ne fera que s'aggraver en vertu des nouvelles directives du Centre pour le contrôle des maladies (Center for Disease Control, CDC) annoncées par l'administration Trump la semaine dernière, qui permettent aux employeurs d'exiger des travailleurs ayant été exposés à la COVID-19 qu'ils restent au travail après l'exposition, à condition qu'ils soient asymptomatiques.

Loin d'appliquer de nouvelles normes spécifiques à la pandémie, l'administration fédérale de la sécurité et de la santé au travail (Occupational Safety and Health Administration, OSHA) a laissé à la discrétion des employeurs le soin de protéger les travailleurs.

Face à ces conditions, les travailleurs du secteur du conditionnement de la viande, comme ceux des soins de santé, de l'industrie automobile, des transports publics et de l'assainissement aux États-Unis et dans le monde entier, ont pris les choses en main pour protéger leur vie.

En plus des manifestations de groupe, de nombreux travailleurs ont simplement refusé de se présenter au travail, forçant la fermeture d'au moins 10 usines aux États-Unis et au Canada.

 Près d'un tiers des travailleurs – entre 800 et 1000 personnes par jour – sont absents de l'usine de viande bovine JBS USA à Greeley, Colorado, depuis la fin mars. Au moins 50 travailleurs de l'usine ont été testés positifs et un employé comptant 30 ans de service, Saul Sanchez, âgé de 78 ans, est mort de la maladie le 7 avril.

 Les activités de l'usine de transformation du porc JBS USA à Souderton, en Pennsylvanie, située entre Allentown et Philadelphie, ont été interrompues après qu'Enock Benjamin, un immigrant haïtien de 70 ans et délégué syndical de l'usine, soit décédé chez lui des suites de la COVID-19 et que plusieurs cadres aient présenté des «symptômes grippaux.»

 Une usine Cargill à Hazleton, dans l'est de la Pennsylvanie, a été temporairement fermée après que 164 cas aient été diagnostiqués.

 L'usine de porc d'Olymel au Québec a été fermée le 29 mars, après que 50 travailleurs aient été testés positifs et que les travailleurs aient été clairs: «Ils estiment que l'entreprise n'a pas pris toutes les mesures qu'elle aurait pu prendre pour assurer leur sécurité», selon une porte-parole du syndicat.

 Les travailleurs d'une usine de transformation de poulet de Wayne Farms en Alabama ont également réagi avec colère après que l'entreprise leur ait dit qu'ils devaient payer 10 cents par jour pour acheter des masques afin de se protéger de la maladie.

 Tyson Foods, le premier producteur de viande américain, a temporairement fermé des usines en raison de l'apparition du coronavirus, notamment une installation à Columbus Junction, dans l'Iowa, où plus de deux douzaines d'employés ont été testés positifs, et après la mort de trois travailleurs dans l'une de ses usines de volaille à Camilla, en Géorgie.

Selon un reportage du New York Times, l'une des travailleuses géorgiennes décédées s'est fait dire de se présenter au travail même si elle était malade: «Annie Grant, 55 ans, était fiévreuse depuis deux nuits. Inquiets de l'épidémie de coronavirus, ses enfants adultes l'avaient suppliée de rester à la maison plutôt que de retourner à l'usine de volaille frigorifique en Géorgie où elle travaillait sur la chaîne d'emballage depuis près de 15 ans.

«Mais le troisième jour où elle était malade, ils ont reçu un SMS de leur mère. “Ils m'ont dit que je devais revenir travailler”, disait-il. Mme Grant a fini par retourner chez elle et est morte dans un hôpital le jeudi matin après s'être battue pour sa vie sous respirateur pendant plus d'une semaine. Deux autres travailleurs de l'usine de volaille de Tyson Foods où elle travaillait à Camilla, Géorgie, sont également décédés ces derniers jours».

Les TUAC ont salué un accord avec plusieurs entreprises de transformation de la viande, dont Pilgrim's Pride, Conagra Foods, Cargill, Hormel, JBS, Kraft Heinz, Olymel et Maple Leaf, qui prévoit l'octroi de petites primes à 40.000 membres des TUAC pendant l'épidémie, ainsi que la promesse d'améliorer les conditions de travail et l'accès aux congés de maladie.

Félicitant les entreprises pour leur «véritable leadership», le président des TUAC Anthony Perrone a faussement prétendu que: «Ces augmentations de salaires et d'avantages sociaux ne protégeront pas seulement la santé et le bien-être de ces hommes et femmes qui travaillent dur, elles contribueront à garantir que toutes les familles américaines aient la nourriture dont elles ont besoin pour surmonter la crise de santé publique à laquelle notre nation est confrontée.»

En fait, les primes – dont beaucoup sont conditionnelles à l'assiduité – sont conçues pour faire pression sur les travailleurs afin qu'ils restent au travail, malgré la menace qui pèse sur leur vie. Perrone a gagné 340.684 dollars en 2019, mais après des décennies de grèves trahies et de concessions salariales de la part des TUAC, le travailleur moyen du secteur de la viande et de la volaille gagne 15 dollars de l'heure, soit moins de 30.000 dollars par an. Un tiers de la main-d'œuvre étant composé de travailleurs immigrés, y compris de travailleurs sans-papiers, beaucoup gagnent beaucoup moins.

Après avoir été contraint de fermer l'usine de Sioux Falls, Sullivan, le PDG de Smithfield qui gagne 4 millions de dollars par an, a déclaré que la fermeture de l'usine et d'autres installations de conditionnement de la viande mettait «notre pays dangereusement à la limite en ce qui concerne notre approvisionnement en viande. Il est impossible de maintenir nos épiceries approvisionnées si nos usines ne fonctionnent pas.»

L'approvisionnement alimentaire est en effet crucial. Mais les monopoles géants de la transformation alimentaire ne se soucient pas du bien-être des consommateurs ou des agriculteurs, dont beaucoup ont recours à des mesures datant de l'époque de la Grande Dépression pour déverser le lait et gâcher les récoltes en raison de la baisse de la demande des restaurants et des écoles. Au contraire, ils sont motivés par leur recherche de profits et veulent maintenir les travailleurs en poste, quelle que soit la menace qui pèse sur leur vie.

Fin 2018, Sullivan s'est vanté auprès de la publication spécialisée National Hog Farmer que la peste porcine africaine, qui tuait alors des porcs dans toute la Chine et l'Europe de l'Est, pourrait limiter les approvisionnements et entraîner une flambée des prix du porc et des bénéfices en 2019 pour Smithfield, le plus grand producteur mondial de jambon et de porc.

Comme d'autres grèves et actions des travailleurs de la santé, de l'industrie automobile, des transports publics et des services sanitaires dans le monde entier, ainsi que les actions des travailleurs non syndiqués de Whole Foods, Amazon et Instacart, les protestations des travailleurs du secteur du conditionnement de la viande ont été principalement initiées par les travailleurs de la base eux-mêmes, en opposition aux efforts des syndicats pour les maintenir au travail dans des lieux de travail dangereux.

Ce mouvement devrait être développé en formant des comités de la base dans les usines et les lieux de travail pour exiger la fermeture des usines infectées, l'indemnisation complète des travailleurs licenciés et aucun retour au travail jusqu'à ce que ces comités, travaillant en collaboration avec les professionnels de la santé, puissent garantir que tous les travailleurs disposent des équipements de protection, des tests et de l'environnement nécessaires pour travailler en toute sécurité.

Cela doit être combiné avec la lutte pour un programme socialiste, y compris la nationalisation des grandes entreprises alimentaires, afin que la fourniture de nourriture, comme les soins de santé et tous les autres droits sociaux, soit basée sur le besoin humain, et non sur le profit privé.

(Article paru en anglais le 14 avril 2020)

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