À travers tout le Canada, des dizaines de milliers de personnes se joignent aux protestations contre les violences policières

Des dizaines de milliers de travailleurs et de jeunes se sont joints aux manifestations organisées à travers tout le Canada pendant la fin de semaine pour s'opposer à la violence policière et au racisme. L’élément déclencheur de ces manifestations a été le meurtre brutal de George Floyd par la police de Minneapolis. Mais les manifestants de Toronto, Montréal, Vancouver et d'autres villes ont souligné que les conditions au Canada ne sont que trop similaires, la police tuant et agressant sans raison les travailleurs et les jeunes, et harcelant les noirs, les autochtones et les autres minorités visibles.

Le taux de participation élevé dans au moins 25 villes du pays a également exprimé l'aggravation de la crise sociale produite par des décennies d'austérité capitaliste et intensifiée par la réponse criminellement négligente de la classe dirigeante à la pandémie de COVID-19.

Une partie de la manifestation à Toronto

Des dizaines de milliers de personnes ont défilé à Montréal dimanche. En plus de commémorer la mémoire de Floyd et d'exprimer leur soutien aux protestations de masse qui balaient les États-Unis, les manifestants ont dénoncé avec force le premier ministre du Québec, François Legault, un nationaliste québécois de droite qui a construit sa carrière politique en exacerbant la xénophobie anti-immigrants et l'islamophobie. La semaine dernière, Legault a rejeté l'idée que le racisme est un problème majeur au Québec. «Je suis tellement en colère», a déclaré Amina Diallo, une manifestante, à la CBC. «Il parle comme s'il savait tout, comme s'il était l'un des nôtres. Il n'a aucune idée de nos expériences de vie.»

Reflétant la perspective politique réactionnaire des organisateurs, la Ligue des noirs nouvelle génération, des personnalités politiques de droite ont été invitées à s'adresser à la manifestation de Montréal. Parmi elles, le chef du Parti libéral du Québec, Dominique Anglade. Les libéraux, qui ont été au pouvoir d’avril 2003 à octobre 2018, sauf pour un court intermède de 18 mois, ont imposé des mesures d'austérité sans fin et, en 2012, ont présidé pendant des mois à une violente répression policière d'une grève étudiante dans toute la province.

La police de Montréal a confronté un petit groupe de manifestants et les a attaqués au gaz poivré et au gaz lacrymogène après qu'ils aient refusé de se disperser à la fin de la manifestation.

Des manifestations importantes ont également eu lieu devant l'assemblée législative provinciale à Québec, à Sherbrooke, Trois-Rivières, Rimouski et dans la petite ville industrielle de Sept-Îles, sur la Côte-Nord.

Des milliers de protestataires ont rejoint deux manifestations distinctes à Toronto samedi, dont une qui a commencé à la place Nathan Phillips avant de se rendre au consulat américain. L'autre manifestation a défilé du parc Trinity Bell au Queen’s Park, le siège de la législature provinciale.

L'une des personnes participant à la manifestation devant le consulat américain était Sahar Bahadi, la mère de Sammy Yatim, qui a été abattue par un policier de Toronto dans un tramway vide en 2013. «Je suis désolée pour les personnes qui ont perdu leurs enfants, un membre de leur famille sans aucune raison par la faute de la police. La police devrait nous protéger, pas nous tuer. Mon cœur est avec tout le monde ici», a-t-elle déclaré.

Dix mille personnes ont également défilé à London en Ontario, tandis que les manifestations à Kingston et Guelph, entre autres villes, ont attiré des milliers d'autres personnes.

À Calgary, en Alberta, au moins 4000 manifestants se sont rassemblés dans le centre-ville samedi. Sur l'Olympic Plaza, des milliers de personnes ont assisté à une veillée à la bougie et scandé les noms des personnes tuées par la police aux États-Unis et au Canada. Une manifestation a également eu lieu à Fort McMurray, le centre de l'industrie pétrolière des sables bitumineux du nord de l'Alberta. La semaine dernière, le chef de la Première nation Athabasca Chipewyan, Allan Adam, a révélé que lui et sa femme avaient été agressés par la police dans un stationnement de Fort McMurray au début de l'année.

Des milliers de personnes ont également participé aux manifestations de samedi à St John's (Terre-Neuve), Victoria (Colombie-Britannique) et Whitehorse dans le Grand Nord. Le vendredi, des milliers d'autres s'étaient rassemblés devant l'assemblée législative du Manitoba à Winnipeg et au Jack Poole Plaza à Vancouver. Pas moins de dix mille personnes se sont jointes à cette dernière manifestation.

L'ampleur des protestations et le fait qu'elles aient touché des dizaines de villes dans tout le pays témoignent de l'indignation populaire profonde que suscitent les violences policières. Elles soulignent également que le meurtre brutal de Floyd a été un événement déclencheur, libérant une colère refoulée après des décennies d'austérité et des niveaux d'inégalité sociale sans précédent (voir: «Des protestations de masse contre la brutalité policière et Trump éclatent dans tout le Canada»).

La réalité brutale du capitalisme canadien a été révélée encore davantage pendant la pandémie de coronavirus. L'élite au pouvoir s'est récompensée avec des centaines de milliards de dollars en fonds de renflouage pour se dédommager de toute perte, tout en plaçant les millions de travailleurs et de jeunes qui ont perdu leur emploi sur des allocations de secours minimales. Aujourd'hui, elle mène une campagne de retour au travail, obligeant les travailleurs à reprendre leur emploi dans des conditions dangereuses.

L'indignation exprimée à l'égard de Legault lors de la manifestation de dimanche à Montréal était un bon exemple à cet égard. L'ancien PDG d'Air Transat, un homme très à droite, a été présenté dans les médias bourgeois comme une figure populaire qui a guidé sa province pendant la pandémie et qui réussit maintenant à rouvrir l'économie. En réalité, le Québec a subi le plus grand nombre d'infections de toutes les provinces du Canada, et le nombre de décès par habitant est l'un des plus élevés au monde.

La crise économique et sociale et le pillage du Trésor public par la classe dirigeante américaine, ainsi que sa volonté de sacrifier la vie des travailleurs à la poursuite du profit, ont également été le moteur de la vague sans précédent de protestations multiraciales et multiethniques qui a engouffré toutes les régions des États-Unis, y compris le Sud profond, depuis le meurtre brutal de Floyd le 25 mai dernier.

L'administration Trump, avec la complicité des démocrates, a réagi en incitant l’armée et la police à la violence, ce qui a fait une douzaine de morts et de nombreux blessés parmi les manifestants, et entraîné des milliers d'arrestations. Le 1er juin, Trump a cherché à déployer l'armée américaine dans tout le pays pour réprimer les manifestations en violation de la Constitution et a entrepris un coup d'État dirigé par la Maison-Blanche visant à établir une dictature présidentielle.

Les protestations de masse ont terrifié l'élite dirigeante du Canada tout autant que son équivalent américain. Le premier ministre Justin Trudeau a refusé de condamner la prise de pouvoir autoritaire de Trump, de peur qu'une telle critique ne nuise au partenariat militaro-stratégique de l'impérialisme canadien avec Washington. La pause de 21 secondes qu'a prise Trudeau après qu'on lui ait demandé de commenter l'incitation de Trump à la violence policière la semaine dernière et les éloges qu'il a reçus depuis de la part des grands médias pour avoir mis l'«intérêt national» du Canada au premier plan illustrent l'absence dans les cercles dirigeants de tout intérêt à défendre les droits démocratiques (voir: L'establishment canadien fait peu de cas du coup de force autoritaire de Trump et exprime son «horreur» face aux protestations de masse).

Cherchant à réparer les dommages politiques causés par son refus de critiquer Trump, Trudeau est apparu en grande pompe lors d'une manifestation contre la violence policière et le racisme sur la Colline du Parlement à Ottawa vendredi dernier. Pendant que les manifestants observaient 8 minutes et 46 secondes de silence, la durée pendant laquelle Floyd a été étouffé par le policier Derek Chauvin, Trudeau s'est agenouillé. Cependant, Trudeau était ostensiblement absent lorsque la manifestation a atteint l'ambassade américaine.

L'apparition publique de Trudeau visait également à renforcer sa réputation de «progressiste», qui est en lambeaux. Depuis son arrivée au pouvoir en 2015, le gouvernement libéral de Trudeau, soutenu par les syndicats, a déployé une politique d'identité raciale et de genre pour dissimuler son programme proguerre et proaustérité. Trudeau et ses partisans ont vanté sa nomination du premier ministre de la défense sikh et du premier ministre de la Justice autochtone, ainsi que la prétention des libéraux à mener une «politique étrangère féministe.»

Mais même certains représentants politiques bourgeois reconnaissent que l’efficacité de la posture de Trudeau s'amenuise et craignent que les protestations croissantes n'entrent en conflit direct avec l'ensemble de l'establishment politique. C'est ce qui ressort des propos tenus par Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), dans une interview accordée dimanche à CTV News. Tentant de se présenter comme un allié des manifestants, Singh a dénoncé le silence de Trudeau lorsqu'on lui a demandé de condamner Trump, ce qui, selon lui, montrait de la «lâcheté.» Dans ses remarques, Singh, tout comme les alliés du NPD au sein du Parti démocrate américain, a évité toute référence à la tentative de coup d'État de Trump. Au lieu de cela, il a simplement accusé le président d'enflammer une situation déjà tendue et d'encourager le racisme. Singh a conclu en disant que risquer des représailles économiques de la part de la Maison-Blanche pour avoir critiqué Trump serait un prix qui en vaut la peine, pour avoir «parlé quand quelque chose ne va pas.»

Cette attitude est tout à fait cynique. D'une part, Singh a évité de faire référence à la coopération militaro-stratégique intime d'Ottawa avec Washington, qui a vu le Canada participer à pratiquement toutes les guerres menées par les États-Unis au cours du dernier quart de siècle. Cette omission n'est pas difficile à expliquer puisque l'implication de l'impérialisme canadien dans les guerres d'agression américaines a invariablement obtenu l’appui du NPD. Lors des élections fédérales de l'année dernière, le parti de Singh s'est battu sur la base d’un programme qui demandait des dizaines de milliards de dollars de dépenses militaires supplémentaires pour permettre aux forces armées de faire face aux «défis stratégiques» croissants dans le monde entier, surtout de la part de la Russie et de la Chine.

Deuxièmement, le NPD et les syndicats ont répondu à la plus grande crise capitaliste depuis la Grande Dépression des années 1930 en consolidant leurs liens étroits de longue date avec les libéraux. La critique de Singh à l'égard de Trudeau est survenue un peu plus d'une semaine après qu'il ait conclu un accord parlementaire avec le premier ministre pour fermer la Chambre des communes pendant quatre mois. Cet accord renforce la main du gouvernement libéral minoritaire à un moment où les grandes entreprises imposent des dizaines de milliers de licenciements et d’autres attaques à la classe ouvrière, et où les programmes d'aide financière de fortune mis en place pendant la pandémie de coronavirus sont réduits. L'accord de Singh avec les libéraux visant à suspendre le Parlement, basé sur un engagement sans valeur d'accorder 10 jours de congé de maladie annuel aux travailleurs – une promesse que les gouvernements provinciaux ont déjà rejetée du revers de la main – permet aux conservateurs d'Andrew Scheer de se poser cyniquement en défenseurs de la «démocratie.»

(Article paru en anglais le 9 juin 2020)

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