Des dizaines de milliers de personnes manifestent à Paris contre les meurtres policiers de George Floyd et Adama Traoré

Des dizaines de milliers de personnes ont rempli la place de la République dans le centre de Paris samedi après-midi pour protester contre les violences policières et demander justice pour les meurtres de George Floyd aux États-Unis et Adama Traoré, un jeune français tué par la police lors d'une arrestation en 2016.

La police a fait état d'un nombre considérablement sous-estimé de 15.000 personnes à Paris, chiffre qui a été rapporté dans les médias. Les vidéos de Twitter montrent que le nombre réel était en fait plusieurs fois cet ordre de grandeur. Le comité d'Adama Traoré, qui a organisé la manifestation, affirme que 120.000 personnes y ont participé.

La manifestation Place de la République

Les manifestants étaient en grande partie de jeunes et comptaient parmi eux des personnes de tout horizon de couleurs de peau et de toutes ethnies. Des manifestations ont également eu lieu de plusieurs centaines de milliers de personnes dans toutes les grandes villes françaises, nombre d'entre elles organisées par des groupes locaux de lycéens.

Il s'agissait de la deuxième manifestation de masse en autant de semaines en France depuis le début du mouvement de protestation lancé aux États-Unis contre le meurtre de George Floyd, qui a déclenché des manifestations de centaines de milliers de personnes s’étendant de l'Europe à la Nouvelle-Zélande. La famille d'Adama Traoré a appelé à manifester au cours des quatre dernières années contre la tentative de dissimulation de son meurtre.

Le meurtre de Floyd a également coïncidé avec la remise d'un contre-rapport par un expert médical demandé par la famille Traoré le 2 juin. Le rapport, rédigé par un médecin spécialiste anonyme dans un hôpital parisien, a conclu que Traoré était mort d'un œdème cardiaque, qui a été provoqué par «une asphyxie positionnelle induite par un plaquage ventral» suite à une arrestation violente par trois policiers.

La sœur d'Adama, Assa Traoré, a pris la parole lors de la manifestation et a appelé à une mobilisation continue pour exiger que les policiers qui ont tué son frère soient poursuivis.

«La mort de George Floyd, cet Afro-américain tué le 25 mai à Minneapolis par un policier blanc – a fait directement écho à la mort de mon frère», a-t-elle dit. «C'est le peuple français qui [mène] ce combat… pas seulement les familles de victimes. Personne ne doit rester spectateur de la mort, de la violence raciale, de qui que ce soit.»

Assa a également déclaré que de nouvelles informations ont fait surface sur les policiers qui avaient arrêté Adama, en particulier que l'un des trois agents impliqués dans l'arrestation avait personnellement arrêté Adama à au moins trois ou quatre autres occasions. Elle a ajouté que la famille continuerait de refuser les propositions du gouvernement de les rencontrer avant que les policiers impliqués ne soient mis en accusation.

Les manifestants comprenaient également des immigrants d'Afrique et du Moyen-Orient. Samira, une étudiante en ingénierie de 18 ans originaire de Côte d'Ivoire, a déclaré qu'elle a participé à la manifestation parce que «Quand j'ai entendu parler de ce qui était arrivé à Adama, je me suis dit que cela aurait pu m'arriver. À partir du moment où tu n’a pas de papiers, tu n’es jamais tranquille. Quand je sors dehors, ma mère me demande si j'ai pris mes papiers avec moi.»

Comme il l’a fait le 2 juin, le préfet de police a déclaré illégale la manifestation de samedi pour empêcher les gens de s'y rendre. Les organisateurs avaient annoncé qu'ils marcheraient de République à l'Opéra, mais la police a bouclé toutes les sorties avec des barricades en acier pour empêcher la marche de se rassembler. Des vidéos sur les réseaux sociaux montrent également des groupes de policiers CRS attaquant brutalement des manifestants individuels, tandis que des bombes de gaz lacrymogène ont été utilisées tout au long de l'après-midi.

Le gouvernement Macron a réagi à l'éruption des protestations en soulignant sa défense des mêmes forces de l’ordre qu'il a utilisées pour réprimer les manifestants Gilets jaunes et les grévistes au cours des trois dernières années.

Le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, avait initialement annoncé des «réformes» creuses et insignifiantes, notamment des promesses d'interdire à la police l’utilisation de la clé d’étranglement et de suspendre les agents qui commettent des actes racistes.

Même ces propositions symboliques, qui ne feraient rien pour réduire les comportements répressifs de la police, ont été dénoncées par les syndicats de police, qui ont organisé des manifestations contre le gouvernement. Déjà vendredi, Castaner a annoncé que même si la clé d'étranglement ne serait plus enseignée dans les écoles policières, une commission interne serait mise en place pour décider d'une méthode «alternative» pour procéder aux arrestations, qui comprendrait la fourniture élargie de tasers à la police. Il a déclaré que ses déclarations antérieures étaient des «stupidités» et qu'il «s’est trompé». Les enquêtes sur les «actes racistes» de la police seraient menées par la police elle-même.

L'ensemble de l'establishment politique, y compris son aile nominalement de «gauche» au sein de la France insoumise (LFI) de Jean-Luc Mélenchon, est hostile à toute lutte contre l’appareil de la police et l'État capitaliste. Mélenchon a participé à toutes les grandes manifestations dans une tentative de les canaliser derrière des appels inoffensifs en faveur d’une restructuration ou une réorganisation de la police.

S'exprimant lors de la manifestation de samedi, Mélenchon a déclaré à BFMTV: «On a le droit de rêver d’une société sans police, ça n'est pas un rêve interdit, un beau rêve mais ça ne peut être qu’un rêve». Il doit y avoir une présence policière partout, mais «organisée, disciplinée, obéissante, et qui ne s'organise pas comme une forteresse à part».

Dans le même esprit, François Ruffin, confrère du LFI de Mélenchon, avait précédemment déclaré sur BFMTV qu'il considérait son principal objectif politique comme étant «d'éviter une guerre, des batailles rangées entre la police et la population. Il y a une confiance qui a été cassée dans le pays entre la police et un certain nombre de personnes. Cette confiance, il faut absolument la rétablir».

Mélenchon et LFI parlent en tant que représentants conscients de classe de l'élite financière. Leur défense des forces de l’ordre découle de leur compréhension de la fonction sociale de la police, en tant que «détachements spéciaux d’hommes armés» chargés de protéger les richesses et les biens de l'oligarchie financière d'une offensive révolutionnaire de la classe ouvrière.

Le racisme et les perspectives profascistes qui prévalent parmi les forces de l’ordre ne peuvent être compris que comme le résultat de cette fonction de classe. Alors que les travailleurs noirs et étrangers sont statistiquement plus susceptibles d'être la cible de la police, la violence policière est dirigée contre les pauvres et les travailleurs de toutes origines et de toutes les couleurs de peau.

Alors qu'environ trois douzaines de personnes sont tuées chaque année en France par la police, un nombre supérieur de plusieurs ordres de grandeur est mutilé et agressé violemment. Au cours des trois dernières années, le gouvernement Macron a utilisé la police pour réprimer l'opposition à son programme d'austérité et aux inégalités sociales. De plus, alors que des milliers de personnes ont été arrêtées lors des manifestations des Gilets jaunes et des grèves des cheminots contre les réformes des retraites de Macron, des dizaines de personnes ont perdu les yeux et les mains à cause de balles en caoutchouc et de grenades assourdissantes.

La classe dirigeante est parfaitement consciente que derrière l'éruption de manifestations multiethniques contre le meurtre de Floyd et Traoré par la police se profile une colère généralisée et croissante dans la jeunesse et la classe ouvrière face à la violence de l'État, la guerre, le militarisme et les inégalités sociales, des conditions qui ont été aggravées par la réponse criminellement négligente du gouvernement Macron à la pandémie de coronavirus.

Le Monde arapporté mercredi, dans un article intitulé «Après le déconfinement, l'Elysée craint un vent de révolte: ‘Il ne faut pas perdre la jeunesse’». Au sein de l’exécutif, on ne cache plus la crainte de voir se lever un vent de révolte au sein de la jeunesse. Si les États-Unis ne sont pas la France, l’affaire George Floyd sert de vecteur au mal-être de la partie la plus jeune de la population, estime-t-on à l’Elysée.»

(Article paru en anglais le 15 juin 2020)

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