L'establishment politique canadien injecte un récit racialiste dans les protestations contre la violence policière

Les protestations de masse contre la violence policière au Canada, déclenchées par le meurtre brutal de George Floyd, ont été alimentées par un flux constant de reportages montrant l'usage impitoyable de la force par les policiers canadiens.

Chantel Moore et Rodney Levi, deux Autochtones, ont été abattus par la police au Nouveau-Brunswick à huit jours d’intervalle au début du mois. Le 4 juin, un policier a tiré sur Moore, 26 ans, supposément alors qu’il effectuait un «contrôle du bien-être» de la mère de famille, qui souffrait de problèmes de santé mentale. Le vendredi 12 juin, Levi, 48 ans, père de trois enfants, est mort après avoir été abattu par la police qui avait été appelée lors d’un barbecue.

Les protestations déclenchées par ces outrages ont contraint le gouvernement de droite du Nouveau-Brunswick à abandonner une proposition visant à étendre les pouvoirs d'urgence conférés à la police. La législation, proposée au prétexte de la nécessité de clarifier les pouvoirs de la police au moment de la «réouverture» de l'économie, aurait permis aux agents d'arrêter les citoyens et de demander des pièces d'identité sans raison, et au gouvernement de suspendre les lois provinciales à huis clos.

La fin de semaine dernière, des milliers de personnes ont participé à des manifestations contre les brutalités policières dans tout le pays, y compris des manifestations importantes dans la région du Grand Toronto. Plusieurs centaines de personnes ont défilé pacifiquement dans le centre-ville de Toronto, tandis que des groupes de manifestants bloquaient les routes à Vancouver. Une semaine plus tôt, des dizaines de milliers de jeunes, en majorité, avaient participé à des manifestations de grande ampleur dans tout le pays, dont des rassemblements d'au moins 10.000 personnes à Montréal, Toronto et Vancouver.

Si l'assassinat de Floyd et la brutalité de la police aux États-Unis et au Canada ont servi de catalyseur aux protestations, ils reflètent un mécontentement beaucoup plus large à l'égard de l'ordre social actuel. L'aggravation des inégalités sociales, le chômage de masse et la pauvreté, qui ont tous été exacerbés par la pandémie de coronavirus et l'accent mis par l'élite dirigeante sur la protection des richesses des super-riches, ont poussé de nombreux manifestants dans les rues. Comme l'a déclaré au WSWS une participante à un rassemblement à Kitchener, Ontario, au début du mois, «Cette histoire de COVID est horrible. Tous mes amis sont aussi au chômage. Je suis vraiment fâchée par tout ce racisme et je suis vraiment fâchée d'être au chômage. Je suis vraiment fâchée à propos de tout, si vous voulez mon avis.»

Dans des conditions sociales et politiques aussi explosives, de puissantes forces au sein de l'élite dirigeante interviennent consciemment pour détourner les protestations sur des lignes racialistes réactionnaires. Le premier ministre Justin Trudeau, le chef du Nouveau Parti démocratique Jagmeet Singh et les médias de la grande entreprise sont déterminés à faire en sorte que les manifestations soient confinées à des canaux gérables et qu'elles ne se transforment pas en un défi direct au système de profit capitaliste, qui est la cause première de la brutalité policière et du racisme.

Lors d'une conférence de presse à la fin de la semaine dernière, Trudeau a cherché à rejeter le blâme sur l'ensemble de la population canadienne pour les violences policières, qui, selon lui, sont le résultat d'un «racisme systémique.» «C'est reconnaître que les systèmes que nous avons construits au cours des dernières générations n'ont pas toujours traité équitablement les personnes d'origine racialisée, d'origine autochtone, par la construction même des systèmes qui existent», a-t-il affirmé.

Singh, pour sa part, a réduit l'épidémie de brutalité policière à un «racisme systémique à tous les niveaux» et a appelé à «des changements de politique vraiment clairs pour y remédier.» Matthew Green, un homme d'affaires noir élu pour la première fois au NPD lors des élections fédérales de l'année dernière, a accusé l'ensemble de la population de souffrir d'«amnésie raciale ... en ce qui concerne l'impact disproportionné de la militarisation de la police sur les communautés racialisées.»

L'insistance de l'establishment politique que le racisme est la question dominante dans les violences policières est une tentative désespérée de mettre le mouvement de protestation de masse en quarantaine, l'empêchant de relier la lutte contre la police à l'opposition à la crise sociale produite par le capitalisme. Il ne fait aucun doute que le racisme prospère et est cultivé au sein de la police, du système judiciaire et du système carcéral, qui sont des institutions chargées de défendre les intérêts du capitalisme canadien. Selon la Commission des droits de l'homme de l'Ontario, les Noirs de Toronto ont 20 fois plus de chances d'être abattus par la police que le reste de la population. Les autochtones représentent plus de 30% de la population carcérale canadienne, même s'ils ne constituent que 5% de la population totale.

Cependant, ces institutions de l'État capitaliste ne sont pas représentatives de l'ensemble de la population, et certainement pas de la classe ouvrière, qui est confrontée quotidiennement à une oppression et à une exploitation impitoyables, sans distinction de couleur de peau ou d'ethnie. La fonction de la police est de faire respecter cette «légalité» bourgeoise, c'est-à-dire de défendre la propriété privée et le profit aux dépens de la classe ouvrière. Toute personne qui s'y oppose sera visée par la brutalité policière, comme les travailleurs en lock-out de la raffinerie de pétrole Federated Cooperatives Ltd. à Regina ne le savent que trop bien. Là, en février, la police, encouragée par le gouvernement provincial de droite, a brisé de force les piquets de grève pacifiques pour permettre à l'employeur de continuer à expédier du pétrole à ses clients alors qu'il cherchait à affamer les travailleurs pour qu'ils acceptent des concessions impitoyables.

Présenter la question de la violence policière comme une question raciale plutôt que de classe convient à l'élite politique et d’affaires car cela détourne l'attention de la responsabilité centrale portée par le capitalisme pour toutes les formes de violence et d'oppression soutenues par l'État.

Cette réalité a été révélée de façon frappante par un article paru dans le Globe and Mail la semaine dernière, détaillant la façon dont certaines entreprises canadiennes adoptent avec enthousiasme la politique racialiste. «Au cours des deux dernières semaines, plusieurs des plus grandes entreprises canadiennes ont fait des déclarations condamnant le racisme après une vague de protestations contre la violence policière aux États-Unis et au Canada», s’est exclamé ce porte-parole de l'élite financière de Toronto. «Une nouvelle organisation appelée le Conseil canadien des chefs d'entreprise contre le racisme systémique anti-noir, qui a été lancée mercredi, vise à s'assurer que les entreprises donnent suite à leurs déclarations et prennent des mesures actives pour soutenir les employés noirs et la communauté noire en général. Parmi les coprésidents du groupe figurent des personnalités telles que Victor Dodig, directeur général de la Banque Canadienne Impériale de Commerce, Prem Watsa, PDG de Fairfax Financial Holdings Ltd. et Rola Dagher, PDG de Cisco Systems Canada.»

Révélant sans détour la stratégie de classe d'une importante section de la bourgeoisie, qui vise à coopter les protestations contre la violence policière pour consolider l'exploitation continue des travailleurs pour le profit privé capitaliste, le Globe a écrit à propos du Conseil nouvellement créé: «Sa première action consiste à faire signer aux PDG d'autres grandes sociétés canadiennes une promesse selon laquelle leurs organisations contribueront à combattre le racisme systémique. Le conseil organise un événement virtuel le 20 juillet, où les cadres seront invités à décrire ce que leurs organisations font pour soutenir la communauté noire et promouvoir les employés noirs à des postes de direction.»

Alors que les conseils d'administration des entreprises canadiennes, avec le soutien de Trudeau et de Singh, sont pleins d'enthousiasme à l'idée de déployer une politique racialiste pour cultiver une nouvelle couche d'exploiteurs capitalistes, cette stratégie n'a manifestement pas réussi à produire des améliorations pour la grande majorité des Noirs et des Autochtones. En fait, leurs conditions de vie, comme celles de tous les travailleurs, n'ont cessé de se détériorer ces dernières années.

En 2015, Trudeau a présenté en grande pompe un cabinet «progressiste», diversifié sur le plan racial et équilibré sur le plan du genre, avec le tout premier ministre de la justice indigène et le premier ministre de la défense sikh. Pourtant, après presque cinq ans de règne du Parti libéral, les taux d'emprisonnement parmi la population autochtone sont en hausse, et le Canada a intensifié son étroite collaboration avec l'administration Trump dans sa chasse aux sorcières des immigrants et des réfugiés. Le gouvernement «diversifié» de Trudeau a été utilisé comme une couverture «progressiste» pour faire appliquer des politiques de droite et anti-travailleurs, comme l'augmentation de plus de 70% des dépenses militaires, et la poursuite de l'intégration du Canada et de son armée dans les intrigues et les agressions américaines dans le monde.

Alors que l'élite au pouvoir s'apprête à approfondir son assaut contre la classe ouvrière, surtout pour payer le renflouement de 650 milliards de dollars accordé aux banques et aux marchés financiers pendant la crise du coronavirus, les libéraux et le NPD espèrent que la promotion de la politique racialiste pourra continuer à leur fournir une couverture «progressiste.» Ces derniers mois, ces deux partis, en étroite collaboration avec les syndicats, ont placé les travailleurs sous rations sous la forme de la Prestation canadienne d'urgence et coopèrent pour préparer la voie à la réouverture prématurée de l'économie.

Le NPD et ses alliés syndicaux ont travaillé sans relâche pour réprimer les protestations du personnel de santé et d'autres catégories de travailleurs concernant les conditions de travail dangereuses et le manque d'équipements de protection individuelle. L'un des cas les plus notoires est celui des Travailleurs unis de l'alimentation et du commerce (TUAC), qui se sont opposés à toute action des travailleurs de l'industrie de la viande au motif qu'elle serait «illégale», alors que près de 1000 infections au coronavirus et trois décès ont été enregistrés dans l'usine de conditionnement de la viande de Cargill à High River, en Alberta.

Les travailleurs et les jeunes qui cherchent à mettre fin aux brutalités policières doivent rejeter résolument le récit racialiste promu par l'establishment politique. Au lieu de cela, leurs luttes doivent être guidées par la compréhension que la violence policière est l'expression du caractère inconciliable des intérêts de classe sous le capitalisme. Pour y mettre fin, la classe ouvrière doit se constituer comme la direction consciente d'une lutte révolutionnaire pour mettre fin au capitalisme, exproprier l'oligarchie et établir un contrôle démocratique sur les moyens de production sous un gouvernement des travailleurs.

(Article paru en anglais le 20 juin 2020)

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Violence policière et domination de classe [18 juin 2020]

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