Québec: remaniement ministériel pour intensifier l’assaut contre les travailleurs

Le premier ministre du Québec, François Legault, a procédé la semaine dernière à un remaniement ministériel qui inaugure une nouvelle phase dans la campagne de son gouvernement visant à exploiter la crise du coronavirus pour imposer une restructuration majeure des rapports de classe, basée sur une offensive accrue sur la classe ouvrière.

L’un des deux changements majeurs apportés par ce remaniement touche Danielle McCann. Jusqu’ici ministre de la Santé au sein du gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ), elle a été rétrogradée au poste de ministre de l'Enseignement supérieur, tandis que son sous-ministre, Yvan Gendron, a été éjecté de son poste.

McCann et Gendron sont les boucs émissaires de la gestion désastreuse de la pandémie de COVID-19 par le gouvernement Legault (et tous les paliers de gouvernement au Canada), qui a été caractérisée par les éléments suivants:

* absence totale de préparation face à une pandémie prévisible et prévue;

* poursuite de l’austérité capitaliste qui a fragilisé le réseau de santé sur des décennies;

* refus de munir le personnel de la santé d’EPI (équipement de protection individuelle);

* mise en place d’une stratégie d’«immunité collective» favorisant une contamination de masse;

* réouverture prématurée de secteurs économiques non essentiels pour protéger les profits des riches.

C’est ce qui a mené au terrible bilan de plus de 5.000 morts rien que dans la province du Québec, l’un des taux de mortalité par habitant les plus élevés au monde.

Le nouveau ministre de la Santé est le comptable et homme d’affaires Christian Dubé, qui dirigeait jusqu’ici le Trésor. «Pourquoi c’est le président du Conseil du trésor qui va se retrouver à gérer le ministère de la Santé?», demande un expert politique, Thierry Giasson, cité dans le quotidien Le Devoir. «Est-ce que c’est annonciateur de coupures?»

C’est bien l’intention du premier ministre Legault, qui a qualifié le ministère de la Santé de «monstre» avant de lancer cet avertissement à peine voilé: «Je crois que c’est possible, quand on est un homme d’affaires, d’améliorer les choses dans le réseau de la santé».

Quelques jours avant d’être nommé ministre de la Santé, Dubé s’était lui-même montré plus explicite sur le véritable objectif du gouvernement caquiste de droite, à savoir une nouvelle série de féroces compressions budgétaires et le recours à des méthodes autoritaires pour les imposer. «En temps de crise», avait-il soutenu, «on ne peut pas continuer à faire les choses comme on les faisait avant. Mais on ne veut pas aller plus loin... Est-ce que c’est parce qu’on a peur du changement?»

Dans la première mesure annoncée depuis l’arrivée de Dubé à sa tête, le ministère de la Santé a fait savoir que les bilans quotidiens sur la COVID-19 au Québec seraient dorénavant hebdomadaires. L’Institut national de la santé publique a suivi avec sa propre annonce qu’il mettait lui aussi fin à ses comptes rendus quotidiens sur les infections, les décès et les tests. Ces chiffres essentiels pour évaluer la progression de la pandémie ne seraient désormais rendus publics qu’une fois par semaine.

Autrement dit, la CAQ veut cacher à la population l’impact de sa levée hâtive du confinement et de sa «réouverture» précipitée de l’économie, qui se traduira nécessairement dans les jours à venir en une forte résurgence de la pandémie de COVID-19, comme on a déjà pu le voir aux États-Unis et même en Europe.

L’autre changement majeur introduit par le remaniement ministériel est le remplacement de Dubé par l’ancienne ministre de la Justice, Sonia LeBel. Dans son nouveau rôle à la tête du Conseil du trésor, LeBel aura à imposer de nouvelles concessions aux 600.000 travailleurs du secteur public dont les conventions collectives sont échues depuis le 31 mars. Elle hérite également de l’épineux projet de loi 61, dont l’adoption a dû être repoussée à l’automne à cause du tollé provoqué par les pouvoirs extraordinaires que voulait s’arroger le gouvernement caquiste au nom de la relance économique.

Ce projet de loi omnibus, censé faciliter des projets d’infrastructure, avait un caractère beaucoup plus vaste et de sinistres implications. Il comprenait: la prolongation indéfinie de l’état d’urgence sanitaire; une modification des règles du travail dans l’industrie de la construction menaçant directement les droits des travailleurs; et une disposition (article 36) autorisant le gouvernement à «prendre toute mesure qu’il estime nécessaire afin d’apporter tout aménagement à toute disposition d’une loi».

La prolongation de l’état d’urgence sanitaire pour une durée indéterminée, au lieu d’un renouvellement requis aux 10 jours, était particulièrement funeste. Elle aurait enlevé toute limite à la capacité du gouvernement de contourner à sa guise les conventions collectives – comme il le fait déjà – pour imposer par décret des conditions de travail encore plus pénibles, que ce soit d’annuler des vacances et des jours fériés, de forcer les travailleurs de la santé et de l’éducation à changer de lieu de travail et de tâches (délestage), ou de les obliger à faire des heures supplémentaires.

Sous le prétexte d’accélérer la mise en chantier de 202 projets de construction, le projet de loi 61 permettait également au gouvernement de contourner des normes environnementales et de déroger à la Loi sur les contrats des organismes publics. L'article 4 stipulait que tout futur décret devait faire l’objet d’une étude d'à peine une heure par les instances responsables à l'Assemblée nationale du Québec. L’article 51 stipulait que le gouvernement ou tout autre organisme public ne pouvait être poursuivi en justice pour un acte accompli en vertu de la loi.

Le Comité public de suivi des recommandations de la commission Charbonneau, qui avait été établie par le gouvernement libéral après des scandales de corruption entourant les entreprises de construction, a fustigé le projet de loi 61 qui «crée des conditions extrêmement favorables à l’émergence de corruption, de collusion et autres malversations».

LeBel était la procureure en chef de la commission Charbonneau et sa nomination au Conseil du trésor pour piloter les changements au projet de loi 61 vise clairement à donner plus de légitimité au gouvernement Legault, accusé de vouloir ouvrir la voie à un retour de la corruption à grande échelle.

Voyant poindre les millions, le Conseil du patronat et les représentants des entreprises de la construction ont tous accueilli le projet de loi. Mais, conscients que les énormes scandales dans l’industrie de la construction ont contribué à discréditer l’establishment politique, certains représentants patronaux conseillent au gouvernement d’être plus «rigoureux» dans la «reddition de comptes».

Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement caquiste – dirigé par le multimillionnaire ex-PDG d'Air Transat François Legault et entièrement voué à la déréglementation et à la privatisation – a intensifié le programme anti-ouvrier de ses prédécesseurs du parti libéral et du Parti québécois (PQ).

Le projet de loi 61, qui aurait donné des pouvoirs quasi dictatoriaux au gouvernement, est la suite logique du programme de guerre de classe que mène la classe dirigeante depuis des décennies, au Canada comme à l’international.

Après avoir démantelé les programmes sociaux, attaqué les conditions de vie des masses et enrichi fabuleusement une petite minorité, l’élite dirigeante juge que même la façade de démocratie est de moins en moins tolérable. Elle se tourne vers des formes autoritaires de pouvoir pour imposer son programme de contre-révolution sociale au pays et de guerres néocoloniales à l’étranger.

Il reste à voir si la nouvelle mouture du projet de loi 61 que présentera LeBel cet automne va maintenir – au-delà de quelques changements superficiels – l’orientation franchement autoritaire de la version précédente.

Mais une chose est certaine: aucune section de la classe dirigeante n’est opposée à ce tournant autoritaire, et la défense des droits démocratiques dépend entièrement de la mobilisation politique indépendante des travailleurs contre le capitalisme en crise.

Les partis d’opposition – les libéraux, le PQ et Québec solidaire – sont entièrement d’accord avec l’octroi de subventions massives aux entreprises de la construction sous le prétexte de la «relance économique». Ils demandent seulement au gouvernement de ne pas fouler aux pieds les procédures d’attribution des contrats, ce qui exposerait tout l’establishment à des accusations de corruption.

C’est également le cas des syndicats, qui ont pleinement collaboré avec la CAQ depuis son arrivée au pouvoir. «Nous avons aujourd’hui l’occasion d’effectuer un virage en matière de stratégie de développement économique», ont écrit les présidents des quatre centrales syndicales du Québec (FTQ, CSN, CSQ, CSD) après le retrait temporaire du projet de loi 61. Ces défenseurs du système capitaliste revendiquent seulement leur place dans ce processus en tant que «partenaires de la société québécoise, dans le cadre d’un dialogue ouvert et constructif».

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