Perspectives

Alors que les cas de COVID-19 triplent en un mois, les élites latino-américaines poursuivent leur campagne de retour au travail

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a indiqué mercredi que la hausse la plus rapide de COVID-19 a lieu dans les Amériques. Ce continent compte désormais la moitié des 9,1 millions de cas confirmés dans le monde, bien qu’elles représentent moins de 13 pour cent de la population mondiale.

Lors d’une conférence de presse, la Dr Carissa Étienne, la directrice de l’Organisation panaméricaine de la santé (OPS), le bureau régional de l’OMS, a déploré le triplement des cas confirmés. En un mois, le nombre des cas confirmés en Amérique latine et dans les Caraïbes était passé de 690.000 à plus de 2,1 millions. Les États-Unis ont connu une augmentation de 46 pour cent au cours de la même période, pour un total de 2,4 millions de cas, le plus élevé au monde.

Le même jour, l’Amérique latine et les Caraïbes ont franchi le triste cap des 100.000 décès dus au coronavirus, qui ont plus que doublé au cours du mois dernier. Le virus a fait plus de 485.000 morts dans le monde.

Le Brésil a récemment enregistré le plus grand nombre d’infections et de décès quotidiens dans le monde. Mercredi, le plus grand pays d’Amérique latine a enregistré 1.185 décès et 42.725 cas, pour un total de 53.830 décès et 1,19 million de cas. La plupart des pays de la région voient maintenant augmenter le nombre de nouveaux décès quotidiens, les plus fortes hausses étant enregistrées au Chili, au Pérou et au Mexique.

La Dr Étienne a ajouté que pour la première fois, une «transmission généralisée» du virus en Amérique centrale a eu lieu, où les cas ont augmenté de 28 pour cent en une semaine pour atteindre près de 60.000 et les décès ont augmenté de 22 pour cent pour atteindre 1.564. Dans les Caraïbes, les pays voisins d’Haïti et de la République dominicaine connaissent les plus grandes flambées.

L’accélération de la pandémie dans les Amériques est due à la levée des restrictions sur les activités économiques. Cela est dû, en particulier, au besoin d’imposer un retour rapide au travail. Aussi, on constate une augmentation agressive de la production afin d’attirer les capitaux financiers mondiaux. Les grandes entreprises doivent parcourir le monde à la recherche de profits afin de payer les milliers de milliards de dollars de renflouement des entreprises par les gouvernements d’Amérique du Nord et d’Europe.

Le président fascisant du Brésil, Jair Bolsonaro, a exprimé très clairement cette politique, en insistant sur le fait que le COVID-19 est une «petite grippe». En réalité, tous les gouvernements de la région abandonnent systématiquement leurs mesures pour contenir le virus. Leur politique a plutôt visé à défendre les intérêts et la richesse de leurs élites capitalistes respectives dans la région la plus inégale du monde.

Le Mexique enregistre chaque jour plus de mille décès et nouveaux cas – plus de 25.000 décès et 200.000 cas au total. Le président populiste «de gauche» Andrés Manuel López Obrador appelle la population à «profiter du ciel, du soleil et de l’air frais».

En raison de ces politiques de guerre de classe, les cas augmentent plus rapidement dans les quartiers les plus pauvres. Les habitants de cas quartiers font face à la surpopulation, à un accès limité à l’eau potable, aux soins de santé, à la nourriture, au gaz de cuisine et aux installations sanitaires. Ces zones sont également les plus sujettes à la sous-déclaration des cas et même des décès.

Dans la capitale argentine de Buenos Aires, par exemple, le président Alberto Fernández a décrété hier la fin du confinement obligatoire pour une grande partie du pays. Plus de 42 pour cent des cas de COVID-19 et les plus fortes hausses récentes ont eu lieu parmi les deux millions de personnes qui vivent dans les bidonvilles.

Une analyse du magazine Forbes publiée mercredi a révélé qu’à Mexico, l’épicentre de l’accélération de la pandémie au Mexique, «les zones les plus touchées… sont les quartiers à faible revenu et très peuplés comme Iztapalapa, Ciudad Neza et Ecatepec». Près de 8 patients sur 10 qui ont trouvé le mort dans la ville n’ont jamais pu utiliser un respirateur.

Pour l’OPS et les experts en épidémiologie, la préoccupation centrale est que les travailleurs soient forcés de retourner sur leurs lieux de travail. Pour ce faire, le gouvernement met fin à toute aide économique aux travailleurs licenciés et aux centaines de millions qui survivent au jour le jour dans le «secteur informel» décimé par la crise.

Dans son avertissement le plus sévère durant la pandémie, la Dr Étienne a déclaré mercredi: «Nous ne surmonterons pas cette crise sans répondre aux besoins des plus vulnérables, ceux qui risquent le plus de tomber malades et qui ont le moins de chances de recevoir des soins. Il s’agit des populations autochtones, des personnes d’origine africaine, des pauvres des villes et des populations migrantes. Si nous les négligeons, nous courons le risque que les deux prochaines années ressemblent aux derniers mois».

La Dr Étienne a insisté sur «la détection précoce des cas suspects; les tests de laboratoire; la recherche des contacts et le confinement comme fondement d’une stratégie ciblée et durable pour contrôler COVID-19»; et elle a déclaré que «le risque de réémergence restera toujours présent à moins que nous n’aplatissions la courbe au niveau régional et mondial».

Hier, des chercheurs en épidémiologie de l’université de Santiago du Chili ont fait écho aux avertissements de l’OPS en critiquant les confinements régionaux au Chili. Dr Angélica Verdugo a déclaré que «le problème réside dans les conditions d’énorme inégalité de ces quarantaines… seulement 57 pour cent des plus pauvres [deux quintiles] ont reçu une aide en argent ou en nourriture. Cela signifie qu’ils ne sont pas en mesure d’obéir au confinement parce qu’ils n’ont pas de sécurité alimentaire».

Dr Verdugo a ensuite dénoncé les pressions économiques qui visent à forcer les travailleurs à retourner sur des lieux de travail non essentiels. «Et ceux qui sont forcés d’aller travailler sont les plus pauvres, ceux qui ont peu de ressources.»

Les directives des experts de la santé, cependant, tombent dans l’oreille d’un sourd.

Au niveau régional, les anciens confinements n’étaient même pas appliqués dans certains pays. Ils sont remplacés par des cartes colorées et des «sémaphores» avec des niveaux de restrictions variables. Tout en prétendant souvent fonder leurs décisions sur des «rapports épidémiologiques» non divulgués, les responsables gouvernementaux justifient les réouvertures en invoquant la protection de la «vie productive» et du «développement économique». Ils ne tiennent aucun compte de coût grandissant en vies humaines.

Les conditions sociales qui sous-tendent la catastrophe sociale qui se développe en Amérique latine sont le produit d’un siècle de pillage néocolonial des ressources et de la main-d’œuvre de la région par l’impérialisme américain et européen. Néanmoins, toutes les forces politiques établies dans la région – du régime fasciste au Brésil et des gouvernements de droite en Colombie, au Chili et en Bolivie; aux autorités nationalistes de «gauche» en Argentine, au Mexique et au Venezuela – sont déterminées à subordonner davantage la vie sociale et économique à l’impératif de la concurrence pour les investissements et les marchés de leurs produits.

À cette fin, la classe dirigeante cherche à tirer profit de la crise pandémique pour accélérer son passage à la dictature et intensifier les niveaux d’exploitation. Cependant, les tensions de classe qui ont éclaté lors des manifestations de masse et des vagues de grèves de l’année dernière dans toute l’Amérique latine, et plus particulièrement au Chili, en Équateur et en Bolivie, n’ont fait qu’augmenter. La réponse officielle à la pandémie, menée par la campagne de «retour au travail», va donc intensifier encore la lutte des classes.

Les premiers signes de cette opposition croissante parmi les travailleurs comprennent des grèves sauvages dans les maquiladoras le long de la frontière mexicaine avec les États-Unis. D’autres signes étaient les grèves des travailleurs des transports au Pérou et des protestations constantes des professionnels de la santé dans toute la région pour exiger des équipements de protection adéquats.

Dans une déclaration récente, le Comité International de la Quatrième Internationale a expliqué: «Toutes les actions nécessaires pour arrêter le virus – l’arrêt de la production non essentielle, la mise en quarantaine; les tests de masse et la recherche des contacts – vont à l’encontre des intérêts de la classe dirigeante. Assurer un soutien à tous ceux qui sont touchés par ces mesures nécessite une réorientation massive des ressources sociales».

En d’autres termes, la seule force sociale déterminée et capable de mener la lutte nécessaire contre la pandémie est la classe ouvrière internationale, et ce combat ne peut être victorieux que dans le cadre d’une lutte contre le capitalisme et pour la transformation de l’économie mondiale sur des bases socialistes. Cette lutte nécessite la mise en place de sections du CIQI dans chaque pays d’Amérique latine et du monde.

(Article paru en anglais le 26 juin 2020)

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