Les syndicats espagnols isolent la lutte des travailleurs de Nissan

Des centaines de travailleurs du constructeur automobile Nissan ont manifesté devant l'usine Nissan de Cantabrie pour protester contre la fermeture prévue de l’usine de Barcelone. La fermeture entraînera la perte de plus de 2 500 emplois dans cette usine, et menace au moins 20 000 emplois connexes.

Environ 300 travailleurs de l'usine de Barcelone et leurs familles se sont rendus dans la ville de Los Corrales de Buelna dans la région de Cantabrie, dans le nord de l'Espagne, pour une manifestation de plusieurs jours qui débuta le mardi 30 juin. Ils se sont également rendus à Santander, la capitale de la région, le 2 juillet pour y poursuivre leur mobilisation. Les plus de 500 travailleurs de l'usine de Los Corrales produisent des pièces pour les usines Nissan-Renault dans toute l'Europe.

C’était la plus récente d'une série d'actions symboliques organisées par les syndicats et conçues pour que les travailleurs lâchent la pression alors que l’opposition monte contre l’attaque des emplois par Nissan, et pour dissimuler leur propre complicité dans les licenciements et les baisses de salaire. Les syndicats visent à isoler et à user la détermination d’une grève illimitée lancée par les travailleurs de l'automobile le 4 mai, Nissan ayant exigé la reprise de la production en Espagne. Les travailleurs de l'usine de Barcelone sont en grève depuis plus de deux mois pour s'opposer aux projets de fermetures d'usines.

Les syndicats tentent de faire croire que les négociations avec Nissan restent ouvertes et que les travailleurs peuvent gagner, contre l'Alliance internationale Nissan-Renault, une lutte nationale isolée. Ils ont isolé la lutte des travailleurs de Nissan y compris en Espagne, limitant la grève à l'usine de Barcelone et laissant les travailleurs des deux autres usines espagnoles de Nissan, en Cantabrie et à Ávila, maintenir la production.

Alors que la manifestation de Cantabrie était organisée par le comité d’entreprise de l'usine de Barcelone, dirigé par les Commissions ouvrières (CCOO) liées à Podemos et les syndicats de l'Union générale du travail (UGT) pro-PSOE (Parti socialiste), pour «renforcer notre collaboration» avec l'usine de Cantabrie et «faire preuve de la solidarité nécessaire», les représentants syndicaux de Los Corrales pouvaient à peine cacher leur hostilité à la mobilisation des travailleurs.

Dans le but de diviser les travailleurs des deux usines Nissan, un porte-parole du comité d'usine de Cantabrie, Eduardo Seco (UGT), a affirmé que les travailleurs du site étaient «très mécontents» de la manifestation et que les habitants de Los Corrales étaient «assez mal à l'aise» face à elle. L'usine devait fonctionner à son «rythme normal», a déclaré Seco, le comité d'usine ayant pris des mesures pour s'assurer que la manifestation affectât l'usine de Cantabrie «le moins possible».

Le représentant des CCOO au comité, José Ángel de la Peña, a également tenté de prendre ses distances avec les manifestants, affirmant qu'ils étaient venus en Cantabrie «de leur propre gré». Cela « ne sert pas à grand chose de protester devant l'usine cantabrique», a déclaré de la Peña, car « cela ne nuira pas à Renault comme ils [les travailleurs de Barcelone]» le prétendent.

Pendant ce temps, Ángel Anibarro, le président du comité d'usine de Nissan en Cantabrie, qui est dominé par les CCOO, a affirmé soutenir la manifestation mais seulement « tant que tout se déroulait pacifiquement ». Les manifestants ont réagi furieusement à cette suggestion calomnieuse qu’ils avaient l'intention de recourir à la violence, en criant « Dégagez! » et « Cela dépasse les bornes ! »

Malgré les allégations des responsables syndicaux que les travailleurs et la population de Los Corrales étaient hostiles à la manifestation des ouvriers de Barcelone, la délégation a été accueillie par les applaudissements et les poings levés des habitants rassemblés à leur entrée en ville. Les travailleurs quittant l'usine à 14 heures ont également applaudi et remercié les manifestants de Barcelone ; beaucoup rejoignirent leurs rangs en guise de solidarité.

Sous prétexte de s'inquiéter de l'impact de la manifestation sur la propagation de COVID-19, la déléguée du gouvernement régional du PSOE, Ainoa Quiñones, a mobilisé une présence policière massive dans la petite ville. En plus de la police locale, Quiñones a fait venir 40 policiers supplémentaires de l'extérieur de la région, y compris de la division anti-émeute GRS de la Guardia Civil paramilitaire.

La police anti-émeute a bordé les rues près de l'usine de Los Corrales, alors qu’un hélicoptère de police survolait la scène dans une tentative évidente d'intimider les manifestants. En réponse à cette mobilisation massive des forces sécuritaires de l’Etat, des manifestants indignés criaient: «Nous sommes des travailleurs, pas des terroristes!»

Quelle que soit la rhétorique des bureaucrates syndicaux locaux des comités d'usine, les syndicats ont clairement fait savoir qu'ils avaient l'intention de bloquer tout effort pour organiser une lutte coordonnée contre les attaques de Nissan. Ils montent les travailleurs des usines espagnoles du groupe les uns contre les autres pour dégrader les conditions de tous les travailleurs de l'automobile.

Fin juin, les représentants syndicaux de l'usine de Los Corrales de Buelna ont conclu un accord au rabais avec Nissan pour maintenir l'usine ouverte, utilisant la menace de la fermeture de l'usine de Barcelone pour forcer les travailleurs à accepter des salaires et des conditions de travail pires.

L'accord dit «d'ultra-compétitivité» verra les heures des travailleurs réduites de 5 pour cent à partir de janvier 2021, avec réduction correspondante des salaires. Les salaires seront gelés à ce niveau inférieur pour la durée du plan 2021-2023. Cela s'accompagnera d'une accélération massive de cadence des chaînes visant à réduire les coûts par pièce jusqu'à 28 pour cent.

Le plan 2021-2023 propose également d'investir 40 millions d'euros dans l'usine qui serait apparemment utilisée entre autre pour financer de nouvelles technologies permettant d’augmenter les cadences et la production.

Selon le représentant des CCOO José Ángel de la Peña, la viabilité de l'usine de Cantabrie reste incertaine: 90 pour cent des pièces qui y sont fabriquées étant destinées à des véhicules assemblés dans la zone franche industrielle de Barcelone où se trouve l'usine Nissan devant fermer bientôt.

Le massacre des emplois prévu chez Renault-Nissan n'est qu'une première indication de l'agression brutale de la classe ouvrière projetée par le patronat et le gouvernement espagnols, en collaboration avec les syndicats.

Selon une étude du cabinet de conseil financier KPMG, 60 pour cent des entreprises espagnoles réduiront ou gèleront les salaires des travailleurs dans les six prochains mois, 4 pour cent seulement indiquant que ceux-ci pourraient augmenter. Vingt-sept pour cent des entreprises prévoient de modifier les conditions des travailleurs, 18 pour cent annuleront les contrats de travailleurs externalisés et 34 pour cent annuleront les nouvelles embauches et les promotions.

Des milliers de suppressions d'emplois sont déjà prévues dans toute l'Espagne, dont près de 900 chez Airbus et plus de 200 dans la centrale à énergies renouvelables de Siemens Gamesa en Navarre. Plus de 500 emplois seront supprimés par le fabricant d'aluminium Alcoa dans son usine de San Cibrao, dans le nord-ouest de l'Espagne. La société de métallurgie SENER prévoit également de licencier plus de 100 travailleurs à Las Arenas, Madrid et Barcelone.

Près de 4 millions (3 862 883) d'Espagnols étaient déjà au chômage à la fin du mois de juin, le chiffre le plus élevé depuis 2016. Cela n'inclut pas les 1,8 million de travailleurs toujours en chômage technique dans le cadre du programme ERTE du gouvernement PSOE-Podemos, dont beaucoup se verront ajoutés à la liste de demandeurs d’emploi lorsque l’ERTE prendra fin en septembre. Le chômage des jeunes en Espagne a atteint un niveau stupéfiant de 32,9 pour cent en mai.

La lutte contre cet assaut visant les emplois et les conditions de travail ne peut être menée à travers le cadre national banqueroutier des syndicats, mais nécessite la construction d'un mouvement international de la classe ouvrière. Les travailleurs de Nissan et d'ailleurs en Espagne doivent joindre leurs luttes à celles des travailleurs de toute l'Europe et du monde, dans une lutte transfrontalière contre des sociétés transnationales qui transfèrent la production d'un pays à l'autre pour maximiser les profits.

Cela nécessite la constitution de comités d'action de la base, indépendants des syndicats nationalistes et pro-capitalistes.

(Article paru en anglais le 8 juillet 2020)

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