Pourquoi les médias canadiens admirent le criminel de guerre John Bolton

Les principaux médias canadiens ont fait l'éloge du criminel de guerre non inculpé John Bolton, depuis la publication le mois dernier de The Room Where It Happened, son compte-rendu d'initié sur l'administration Trump.

Les remarques de Bolton dans de longues interviews à la télévision canadienne et dans des articles de presse – allant de la perspicacité de Trump à l'«agression» russe, de la «menace» posée par la Chine au caractère prétendument «apolitique» de l'extradition de la dirigeante de Huawei, Meng Wanzhou – ont été présentées au public comme les observations réfléchies d'un homme d'État respecté.

Bolton, qui a été salué dans les publications du Parti démocrate comme le New York Times pour son portrait soi-disant «cinglant» de Trump, est l'un des principaux bellicistes américains de ces vingt dernières années. Architecte de la guerre en Irak en 2003, qui a coûté la vie à des centaines de milliers de civils et a laissé une société complexe en ruines, Bolton a préconisé le bombardement sauvage d'au moins une demi-douzaine d'autres pays au cours de la dernière décennie, dont le Venezuela, l'Iran, la Corée du Nord et la Syrie. Il est également connu pour son opposition aux Nations unies – il a un jour suggéré que les dix derniers étages de leur siège devraient être supprimés –, à la Cour pénale internationale et à d'autres institutions multilatérales que les libéraux au pouvoir au Canada et une grande partie de la classe dirigeante prétendent soutenir fermement.

Pourquoi alors les médias officiels canadiens accordent-ils tant d'attention à ce républicain qui est un partisan actif et agressif de la violence impérialiste américaine dans tous les coins du monde?

Au sens politique le plus immédiat du terme, les révélations de Bolton ont été utilisées pour soutenir la campagne agressive de l'élite canadienne contre la Chine, qui a atteint des sommets ces dernières semaines.

Dans des interviews à la CBC et à une émission de radio affiliée à CTV, animée par Evan Solomon, Bolton a attaqué Trump pour sa vision «transactionnelle» de la relation entre les États-Unis et la Chine et son prétendu échec à prendre une position de principe sur l'extradition de Meng. Le Canada détient Meng, la directrice financière de Huawei et la fille de son fondateur et principal actionnaire, à la demande de Washington, sur des accusations fabriquées de toutes pièces de violation des sanctions imposées à l’Iran. Bolton s'est plaint que Trump avait évoqué la possibilité de conclure un accord avec Pékin basé sur l'échange de Meng contre des concessions commerciales chinoises.

Bolton, tout comme les factions dominantes des élites dirigeantes américaines et canadiennes, rejette fermement une telle approche. Ils considèrent que la détention de Meng fait partie d'une campagne plus large, soutenue par une pression diplomatique, économique et militaire toujours plus forte et, en fin de compte, par la menace d'une guerre, visant à contrecarrer l'émergence de la Chine en tant que force mondiale dans les industries de haute technologie et, plus généralement, au défi qu’elle pose à l'hégémonie mondiale de l'impérialisme américain.

L'ancien conseiller à la sécurité nationale de Trump a souligné que Washington est «préoccupé» par la croissance de Huawei et du fabricant d'équipements de télécommunications ZTE. «Ce sont des armes de l'État chinois, ce ne sont pas des entreprises commerciales de télécommunications au sens où nous l'entendons en Occident et elles ont une mission bien plus vaste que de bonnes connexions téléphoniques», a déclaré Bolton. «Donc, quand ils font pression sur un petit pays comme le Canada, il est important pour nous tous de nous tenir ensemble et de présenter un front uni.»

Cela aurait été de la musique pour les oreilles du premier ministre Justin Trudeau et de l'ancien premier ministre conservateur Brian Mulroney. Trudeau a récemment rejeté du revers de la main une proposition visant à ce que son gouvernement «remette à zéro les relations» avec Pékin en exerçant sa prérogative pour bloquer l'extradition de Meng vers les États-Unis. Mulroney, s'exprimant au nom de sections clés de l'élite dirigeante du Canada, a demandé au début de la semaine que le gouvernement mette sur pied une «Commission d’experts» pour «redéfinir» les relations du Canada avec Pékin afin de faire face à la «menace stratégique» de la Chine (voir: «La campagne américaine contre la Chine intensifie les conflits entre factions au sein de l'élite dirigeante du Canada»).

L'enthousiasme dans les cercles dirigeants pour la proposition de Bolton qu'Ottawa et Washington forment un «front uni» anti-Chine découle des avantages que l'élite capitaliste canadienne tire de son partenariat militaro-stratégique avec l'impérialisme américain, vieux de huit décennies. L'alliance étroite de la bourgeoisie canadienne avec Washington dans la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale lui a donné la puissance économique et le poids militaire nécessaires pour poursuivre ses propres intérêts et ambitions impérialistes prédateurs dans le monde entier.

Pour les libéraux et les néo-démocrates, ainsi que pour une grande partie des conservateurs, la politique de «l'Amérique d'abord» de Trump et son comportement erratique alimentent la crainte que l'actuel occupant de la Maison-Blanche ne mine fatalement ce partenariat mondial de «front uni». Il est certain que le gouvernement Trudeau a fait tout son possible pour collaborer avec Trump, comme le montrent sa volonté de renégocier l'Accord de libre-échange nord-américain afin de consolider un nouveau pacte de guerre commerciale dirigé par les États-Unis contre des rivaux extérieurs et sa coopération avec la répression anti-immigrants brutale de Trump. Le gouvernement libéral a considérablement élargi la participation militaire canadienne à l'agression impérialiste américaine dans le monde entier, notamment en déployant des forces en Europe de l'Est, dans la région Asie-Pacifique et au Moyen-Orient.

Même lorsque Trump a réagi à l'éruption de protestations multiraciales de masse contre la brutalité policière à la fin mai en lançant un coup d'État militaire, Trudeau n'a pas osé prononcer une seule critique à l'encontre du président américain. Ses 21 secondes de silence en réponse à la question d'un journaliste sur l'opinion du premier ministre sur l'incitation à la violence de Trump ont fait la une des journaux du monde entier.

Le silence de Trudeau, qui a été applaudi comme une réponse intelligente par la plupart des médias, a révélé de façon éclatante que les désaccords de l'élite dirigeante canadienne avec Trump ne tournent pas autour de son passage à l'autoritarisme, de la promotion de forces fascistes et de la persécution impitoyable des immigrants et des opposants politiques. Comme Bolton, d'autres républicains dissidents et les démocrates, ils craignent plutôt qu'il ne gère mal la politique étrangère américaine.

Cela est particulièrement vrai de l'approche de Trump vis-à-vis de la Russie, qu'ils considèrent comme bien trop conciliante. Cela est conforme à la mise en accusation de Trump par les démocrates, qui s'est concentrée sur son prétendu échec à tenir tête à Moscou. En évitant soigneusement ses véritables crimes, les démocrates ont dénoncé le fait que Trump ait donné la priorité à sa candidature personnelle à la réélection plutôt qu'aux efforts bipartites menés par les États-Unis et soutenus par le Canada pour transformer l'Ukraine en un État client de l'OTAN et en une base d'opérations contre la Russie.

C'est un secret de polichinelle que la grande majorité de l'élite dirigeante du Canada se croise les doigts pour une présidence de Joe Biden après les élections de novembre.

Les conséquences d'un tel résultat sont visibles dans la campagne venimeuse anti-Russie actuellement orchestrée par le New York Times et soutenue par Biden. Après avoir publié des fuites non corroborées et fabriquées de manière flagrante par les services de renseignement, selon lesquelles la Russie aurait payé les talibans afghans pour qu'ils attaquent des soldats américains, le Times a mené un chœur de demandes de représailles américaines, où Biden a attaqué Trump depuis la droite pour son «manquement au devoir» (voir: «Le New York Times invente un complot meurtrier russe»).

Ce que l'élite dirigeante canadienne désire vraiment, c'est la perspective d'un partenaire plus stable à la Maison-Blanche, afin que les impérialismes canadien et américain puissent revenir à ce qu'ils font le mieux: intimider, menacer leurs rivaux et comploter contre eux, et mener des guerres à la poursuite de marchés, de matières premières et de sphères d'influence. C'est le message sans équivoque qu'a envoyé Bolton dans son interview à la CBC, lorsqu'il a déclaré: «Les conséquences négatives causées par la présidence Trump peuvent être surmontées. ... Ceux qui sont antiaméricains s'en prendront à Trump comme exemple d'une Amérique en déclin, et ils auraient tort». L'Amérique, a-t-il poursuivi, reste une «force qu’il ne faut pas sous-estimer».

Le Canada aide l'impérialisme américain à prouver qu'il est une «force qu’il ne faut pas sous-estimer» depuis le dernier quart de siècle. Sous les gouvernements libéraux et conservateurs, l'armée canadienne a participé à pratiquement toutes les guerres d'agression menées par les États-Unis, ainsi qu'à de nombreuses opérations secrètes de changement de régime. Cela inclut le bombardement sauvage de la Yougoslavie par l'OTAN en 1999, l'occupation néocoloniale de l'Afghanistan à partir de 2001, l'invasion d'Haïti en 2004, la guerre aérienne en Libye en 2011, l'éviction du président élu de l'Ukraine lors d'un coup d'État fasciste en 2014, la guerre en cours en Irak et en Syrie et le coup d'État militaire en Bolivie en 2019. Le Canada a également joué un rôle majeur dans le renforcement des forces militaires de l'OTAN dirigé par les États-Unis contre la Russie en Europe de l'Est, comme le montrent sa direction d'un bataillon de 1000 hommes en Lettonie et la formation d'unités de l'armée ukrainienne pour le régime d'extrême droite à Kiev.

À la lumière de ce bilan, il n'est pas surprenant que les principaux médias canadiens aient déroulé le tapis rouge pour Bolton.

(Article paru en anglais le 4 juillet 2020)

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