Duda remporte l'élection présidentielle polonaise après une campagne anti-juive, anti-droits LGBT et anti-allemande

Le président polonais sortant Andrzej Duda, du parti au pouvoir Droit et Justice (PiS), a remporté dimanche le deuxième tour des élections présidentielles. Selon des résultats encore officieux, Duda recueillait 51,52 pour cent des voix, son rival de la Plate-forme civique libérale (PO), Rafał Trzaskowski, le maire de Varsovie, 48,79 pour cent.

Duda et sa femme avec Donald et Melania Trump.

À 67,9 pour cent, il s'agit du deuxième taux de participation le plus élevé à des élections présidentielles depuis 1989. Dans plusieurs circonscriptions, le taux de participation a atteint un niveau record. Par rapport aux élections de 2015, Duda a pu augmenter ses voix de 1,78 million. Trzaskowski l’a remporté dans la plupart des zones urbaines, mais Duda a dominé dans la partie orientale du pays et dans les zones rurales où l'influence de l'Église catholique est prédominante.

Les élections se sont déroulées dans des conditions de récession qui devraient entraîner une contraction du PIB polonais d'au moins 4,2 pour cent cette année. La Banque mondiale estime que la zone euro, qui est le marché économique le plus important de Pologne, devrait se contracter de plus de 9,1 pour cent. Plus d'un million de personnes sont aujourd'hui au chômage, et des centaines de milliers ont perdu leur emploi du à la crise du coronavirus.

Malgré des tests très limités, le pays enregistre chaque jour des centaines de nouvelles infections. La région minière de Silésie a été de loin la plus touchée par la pandémie parce que le gouvernement a laissé les mines ouvertes même en période de confinement national. Le PiS a été plongé dans une grave crise et contraint de reporter les élections de mai à juin afin d'éviter la chute du gouvernement. Au premier tour de l'élection il y a deux semaines, Duda n'avait pas obtenu la majorité absolue et de nombreux sondages considéraient Trzaskowski comme le probable vainqueur.

Le fait que, même dans ces conditions, et après des années de promotion incessante des forces d'extrême droite et d'attaques contre les droits démocratiques, le PiS ait pu l'emporter, est avant tout le résultat de la politique de l'opposition libérale. En évitant toute discussion sérieuse sur les politiques d'extrême droite et les préparatifs de guerre du PiS, l'opposition a délibérément choisi d’effacer de la campagne toutes les grandes questions sociales et politiques concernant les travailleurs.

Tout au long de la campagne, Duda et Jarosław Kaczyński, le chef de fait du PiS, ont affirmé que Berlin s’ingérait dans les élections. Dans un de ses derniers rassemblements, Duda a déclaré qu'il y avait eu «une attaque allemande lors de ces élections. Les Allemands veulent choisir le président en Pologne? Je ne le permettrai pas! ».

Le principal rival de Duda, Trzaskowski, parle au nom de sections de la classe dirigeante polonaise qui cherchent à maintenir des liens étroits avec l'Allemagne, le plus grand partenaire commercial de la Pologne. Elles craignent qu'une dépendance exclusive à l'égard de l'impérialisme américain soit intenable et préjudiciable aux intérêts extérieurs polonais. Trzaskowski a travaillé en étroite collaboration avec Donald Tusk, l'un des principaux dirigeants de l'opposition libérale, un allié important de la chancelière allemande Angela Merkel dans l'UE.

Il ne fait aucun doute que la campagne du PiS a été menée avec l'approbation, sinon la participation directe de la Maison Blanche. Quelques jours avant le premier tour, Duda s'était rendu à Washington, le premier invité reçu à la Maison Blanche depuis le confinement aux États-Unis. Dans une démarche sans précédent pour un président américain au milieu d'une élection dans l'UE, Trump a effectivement pris parti pour la campagne de Duda, déclarant qu'il faisait un «travail formidable».

Trump a également annoncé que de nombreuses troupes qu'il retirait actuellement d'Allemagne seraient stationnées en Pologne. Les tensions déjà importantes entre l'impérialisme allemand et américain se sont encore intensifiées ces derniers mois. L'Allemagne s’est servi de la crise de la pandémie aux États-Unis comme prétexte pour intensifier sa propre remilitarisation. Le résultat des élections polonaises devrait exacerber considérablement ces tensions géopolitiques et aggraver encore la crise politique de la classe dirigeante polonaise.

En plus de promouvoir des sentiments anti-allemands, le PiS a délibérément axé la campagne de réélection de Duda sur des appels à l'antisémitisme et à l'homophobie. La chaîne publique de télévision TVP, effectivement contrôlée par le PiS, a diffusé des informations suggérant que Trzaskowski travaillait pour un «puissant lobby étranger» et pour «des groupes riches qui veulent gouverner le monde». Elle l'a associé au milliardaire hongrois-américain George Soros, l'une des principales cibles de la droite antisémite en Europe de l'Est. Dans une autre émission, Trzaskowski a été dénoncé comme étant hostile aux catholiques et croyant au «dieu de Spinoza» que TVP a décrit comme un «philosophe juif».

La télévision d'État polonaise a également diffusé plusieurs reportages suggérant que Trzaskowski se préparait à vendre le pays à des «intérêts juifs» parce qu'il avait prudemment suggéré de «parler» aux organisations juives dans le différend en cours sur la restitution des biens juifs pillés par les nazis et les collaborateurs polonais sous l'occupation allemande. TVP a déclaré que la satisfaction des «réclamations juives» arrêterait «le flux d'argent du budget de l'État destiné aux poches des familles polonaises».

Avant la guerre, la Pologne avait, avec près de 3,5 millions d'habitants, la plus grande communauté juive dans le monde; 90 pour cent d'entre eux ont été assassinés pendant la Shoah. Alors que les nazis portent la principale responsabilité de ce génocide, ils furent aidés par les forces fascistes et nationalistes locales dans toute l'Europe de l'Est et du Sud-Est. Des pogroms anti-juifs de nationalistes polonais ont eu lieu pendant et après la guerre.

Trois jours seulement avant l'élection présidentielle, Jarosław Kaczyński surpassait encore la campagne antisémite de TVP dans une interview à la station de radio catholique d'extrême droite Radio Maria. Kaczyński y déclara que «seule une personne sans âme polonaise, cœur polonais et esprit polonais pouvait dire des choses pareilles. M. Trzaskowski ne les a manifestement pas, car il dit que cette [restitution de biens juifs] est sujette à discussion ».

Duda a également attaqué les droits des LGBT comme une «idéologie» plus dangereuse que le «communisme» et a proposé un amendement constitutionnel qui interdirait aux couples de même sexe d'adopter des enfants.

Au cours des dernières années, le gouvernement PiS a systématiquement encouragé les sentiments antisémites. En 2018, le président Duda a signé un projet de loi qui interdit la discussion sur l'antisémitisme polonais et la collaboration polonaise à l'Holocauste. Des représentants du gouvernement ont ouvertement participé à des manifestations de l'extrême droite. Mais de tels appels ouverts à l'antisémitisme n'avaient pas encore joué un rôle aussi central dans une campagne électorale.

Stupéfiante manifestation de lâcheté politique, Trzaskowski n'a fait pratiquement aucun effort pour dénoncer l'antisémitisme flagrant du PiS. En réponse aux attaques de Kaczyński diffusées sur Radio Maria, il a insisté sur Twitter pour dire qu'il avait «une âme polonaise» et «un cœur polonais» et que l'opposition ne laisserait pas le PiS lui enlever son «droit au patriotisme polonais». Il n'a pas mentionné le terme antisémitisme.

Tout en évitant toute critique sérieuse et même toute discussion des appels toujours plus ouverts du PiS aux forces fascistes, Trzaskowski et l'opposition libérale ont aussi évité toute mention de la crise sociale brûlante, qui s'est considérablement approfondie ces derniers mois. Aux yeux des travailleurs polonais, dont beaucoup ont été poussés au bord de la ruine financière ces derniers mois, la Plate-forme civique de Trzaskowski défend avant tout une politique d'austérité. Trzaskowski lui-même a par le passé plaidé pour le relèvement de l'âge de départ à la retraite. Sa campagne s'est concentrée presque exclusivement sur les intérêts des couches de la classe moyenne supérieure, en mettant l'accent sur une orientation vers l'UE et des questions telles que les droits LGBT.

Sous-tendant cette stratégie politique il y a le fait que la principale crainte de l'opposition n'est pas le glissement vers l'autoritarisme et le renforcement des forces fascistes en Pologne sous le PiS, mais une intervention de la classe ouvrière dans la vie politique. Lorsqu'une grève nationale de plus de 300 000 enseignants polonais a secoué le gouvernement PiS à la fin du printemps 2019, les syndicats d'enseignants alignés sur le PO ont tout fait pour l’étouffer (article en anglais) rapidement, contribuant ainsi à stabiliser le gouvernement PiS dans l'une de ses crises les plus graves. De plus, tout comme le PiS, la Plate-forme civile (PO) défend les préparatifs de guerre contre la Russie.

Le résultat des élections est un avertissement sévère pour les travailleurs à l’international. La menace du fascisme, de la dictature et de la guerre ne peut être combattue que par l'intervention de la classe ouvrière sur la base d'un programme socialiste et internationaliste.

(Article paru en anglais le 14 juillet 2020)

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