Les soignants français dénoncent l’accord au rabais lors de manifestations le 14 juillet

Il y a une opposition de masse parmi les personnels soignants et les travailleurs de la santé à l'accord au rabais conclu entre les syndicats et le gouvernement Macron vendredi. Le 14 juillet, des milliers de personnes ont participé à des manifestations dans tout le pays ; des centaines d'infirmières notamment ont défilé pour s'opposer à l'attaque des hôpitaux publics pendant la pandémie de coronavirus.

L'accord a été salué par le gouvernement Macron et les médias, français et internationaux, comme un signe «historique» que les personnels de santé recevaient enfin une juste reconnaissance pour leurs sacrifices.

Cette fraude a atteint des sommets en fait de cynisme avec l'hommage rendu aux travailleurs de la santé lors de la célébration officielle du 14 juillet, Place de la Concorde à Paris. Macron, sa femme Brigitte et d'autres personnalités politiques qui ont sabré les ressources hospitalières ont applaudi un carré de salariés des hôpitaux, alors que les caméras de télévision les filmaient de près les uns après les autres.

La manifestation des soignants à Paris

La réalité ne trouva sa place dans cette mise en scène que grâce au drone d’un particulier qui la survolait, portant une banderole avec le message: «Derrière les hommages Macron asphyxie l’hôpital.»

Rien de tout cela n'a convaincu les employés de la santé ou la population ouvrière, qui s'oppose massivement à l'accélération du programme d'austérité de Macron. Les accords concernant les travailleurs de la santé se montent à un total de 7,5 milliards d'euros de financement supplémentaire pour les salaires et les nouveaux postes. C'est bien moins que les 12 milliards d'euros que le gouvernement Macron a remis à seulement deux sociétés, Renault et Air France, qui ont procédé dans la foulée au licenciement de dizaines de milliers de travailleurs. Cela représente environ 2 pour cent des centaines de milliards d’euros dégagés en mars pour soutenir les dettes des banques et des grandes entreprises françaises.

L’accord prévoit deux augmentations de salaires successives de 91 € par mois, à prendre effet en septembre 2020 et mars 2021. De plus, 7 500 nouveaux postes d'infirmières vont être créés – une goutte d’eau dans la mer, équivalant à environ deux ou trois nouveaux postes par établissement. Il y a déjà 7 500 autres postes de ce type budgétés dans le pays, mais toujours non pourvus car les conditions de travail des soignants sont si atroces qu’il est impossible d’attirer et de garder le personnel.

L'augmentation dérisoire des salaires fait suite à 10 ans au cours desquels les infirmières n'ont pas connu d'augmentation de salaire. Les personnels soignants en France sont parmi les moins bien payés d'Europe ; ils touchent en moyenne respectivement 13 pour cent et 29 pour cent de moins que leurs homologues espagnols et allemands, eux-mêmes largement sous-payés. Les 300 € par mois que les syndicats français clamaient être leur revendication centrale dans les négociations auraient ramené les soignants au niveau médian de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Plus important encore, l'accord ne contient rien pour combler les déficits de financement chroniques des hôpitaux, mis en évidence par la pandémie. Au cours des 30 dernières années, plus de 100 000 lits d'hôpital ont été fermés par des coupes budgétaires répétées des gouvernements du Parti socialiste et de la droite gaulliste. L'accord permet également aux hôpitaux une plus grande flexibilité pour prolonger la semaine de travail au-delà du maximum officiel de 35 heures.

« Même 300 euros ne serait pas beaucoup par rapport à ce que nous avons perdu au cours des 10 dernières années », a expliqué Dominique, employée dans l'administration hospitalière pendant plus de 30 ans, qui a participé à la manifestation parisienne. «C'est honteux. Nous voyons les conditions de travail qui se sont dégradées. Ils continuent de fermer des lits. Ils veulent tout privatiser. Nous nous battons ici pour le système de santé publique, afin que chacun puisse avoir accès aux soins de santé. C'est pourquoi nous sommes dans la rue aujourd'hui. Je suis là pour moi et pour la génération à venir. »

Dominique a dénoncé le rôle des syndicats dans la négociation et la signature de l'accord. «Je suis contre les syndicats depuis des années», a-t-elle déclaré. «Je ne leur fais pas confiance. Cela fait plus d'un an et demi que nous manifestons et faisons grève dans les hôpitaux. Tout le monde connaît nos revendications: plus d'argent, plus de ressources. Ils continuent sans cesse les négociations avec le gouvernement. C'est juste fait pour nous user. Ils ne sont pas de notre côté. Pour moi, ils sont achetés. »

«Il y a beaucoup de personnel qui quitte le système public», a-t-elle ajouté. «C'est le but. Ils veulent que les gens s’en aillent pour pouvoir privatiser. Le gouvernement donne des milliards à des entreprises privées qui licencient des employés. C'est flagrant et à la vue de tous. Nous sommes épuisés et en colère. Nous ne sommes pas des esclaves, mais aujourd'hui nous ne faisons que survivre. Que deviendra la vie de nos enfants? Doivent-ils être des esclaves? »

Sur Facebook, des infirmières ont publié des déclarations dénonçant la trahison syndicale. L'accord a été signé par la Confédération française démocratique du travail (CFDT), l'Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) et Force ouvrière (FO). Cela a fourni le nombre nécessaire de signatures pour assurer son passage.

Sachant que l'accord passerait quoiqu’il arrive, les syndicats SUD et CGT ont pris des grands airs critiques à l'égard de l'accord. Mais la CGT elle-même a déclaré qu'elle pourrait finalement signer l'accord. « Même si ce protocole d’accord peut-être décevant, il faut quand même préciser que c’est bien grâce à la mobilisation des salariés ces dernières années, et grâce aussi aux organisations syndicales, que nous avons pu […] [obtenir] une revalorisation salariale » a commenté Mireille Stivala de la CGT Santé et action sociale.

Sur la page Facebook du collectif Inter-Urgence, Lydie, une infirmière, explique :« Les syndicats sont pires que le patronat et c’est pour cela que nous n’avançons plus dans le social…triste réalité ». Gwenaëlle commente, « je suis d’accord avec le mot ‘mascarade’. Nous ne demandons pas l’aumône mais une juste revalorisation des salaires » et Aurore ajoute : « Je n’ai plus aucune confiance en les syndicats après ça. J’ai honte de tout ça. Je suis écoeurée à vie. »

A la manifestation à Paris, Émilie, une jeune infirmière avec cinq ans d'expérience, a décrit les conditions au plus fort de la première vague de la pandémie. «J'étais dans une zone qui traitait des patients atteints de coronavirus», a-t-elle déclaré. «On nous a donné uniquement des masques chirurgicaux, qui ne protègent pas le porteur d'attraper le virus. Certains patients se sont révélés positifs avec le test sérologique mais négatifs avec le test nasal rapide, qui comporte de nombreux faux négatifs. Ils étaient gardés sans masque et traités comme s'ils étaient négatifs. »

«Je ne suis pas principalement préoccupé par une augmentation de salaire. Nous avons besoin de plus de ressources, humaines et matérielles. Pendant toute l’équipe de nuit, je n'ai souvent rien. Je ne pense pas cependant qu'il y aura un changement. Ou ce ne sera pas suffisant. Les syndicats ont signé cet accord, sauf Sud et la CGT. Mais je ne leur fais pas confiance non plus. »

Le Parti de l'égalité socialiste encourage vivement les personnels soignants et les travailleurs de la santé à retirer leur lutte des mains des syndicats pro-patronat en formant des comités d'action indépendants, contrôlés directement par les travailleurs mêmes afin d’organiser la lutte pour un système de santé public de haute qualité et doté des ressources nécessaires; et à faire appel directement aux travailleurs en Europe et à l'international. Cela doit être basé sur un programme socialiste pour réorganiser les ressources de la société en fonction des besoins sociaux plutôt que du profit privé.

(Article paru en anglais le 15 juillet 2020)

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