Allemagne: les «émeutes» de Francfort et le réseau d’extrême-droite dans la police

Après la soi-disant «Nuit de la violence à Stuttgart » (article en anglais) fin juin, on utilise à présent un événement similaire à Francfort pour augmenter systématiquement les pouvoirs de la police et justifier et renforcer les structures d’extrême droite dans l'appareil d'État.

Dans la nuit de samedi à dimanche, après une fête en plein air sur l'Opernplatz de Francfort à laquelle ont participé environ 3 000 personnes, des affrontements entre jeunes et policiers ont éclaté. Selon la police, des bouteilles ont été lancées sur des agents intervenus dans une bagarre. La vitre d'un arrêt de tramway a également été cassée. Il n'y a pas d’informations indépendantes sur les événements.

La police a arrêté 39 jeunes âgés de 17 à 23 ans, mais a dû les relâcher tous le lendemain, le parquet n'ayant vu aucune preuve de qu’ils aient effectivement atteint des policiers. Néanmoins, les médias et les politiciens ont immédiatement mis en marche leur machine à propagande.

Le ministre de l'Intérieur du Land de Hesse, Peter Beuth (Union chrétienne-démocrate, CDU) a déclaré: «Cette violence insensée contre la police ne peut être justifiée par rien.» Faisant référence au «milieux de la sécurité», le tabloïd Bild arapporté que les gens impliqués étaient très similaires à ceux «des émeutes de Stuttgart» – «un pourcentage élevé d'immigrants, ivres et très agressifs». Stefan Müller, directeur général du groupe parlementaire de l'Union chrétienne-sociale (CSU) au Bundestag[Parlement], a appelé à ce que «les causes soient clairement nommées – l'intégration ratée et le déni des abus par les élites de gauche».

Le chef de la police de Francfort, Gerhard Bereswill, a également affirmé que les jeunes étaient principalement des hommes issus de l'immigration. Interrogé dans l’émission Hessenschau sur les causes des affrontements, il a nommé en plus de l'alcool et d'une attitude agressive, «le reproche global» auxquel la police était exposée. On soupçonnait les policiers d'être des extrémistes de droite et on le leur faisait sentir dans la rue. En outre, a-t-il déclaré, il y avait des accusations de racisme et de profilage racial, ainsi que des accusations de violence policière qui s'étaient propagées en Allemagne après la mort de George Floyd. On assimilait à tort la police allemande à la police américaine.

Le chef de la police confond délibérément cause et effet. Les jeunes ont toutes les raisons de se méfier de la police.

Depuis des semaines, de plus en plus de détails font surface sur les réseaux d'extrême droite de la police en Hesse. De nombreuses célébrités – dont l'avocate Seda Basay-Yildiz qui a représenté plusieurs des victimes du groupe néo-nazi National-socialisme clandestin (NSU), l'artiste de cabaret Idil Baydar, des dirigeants du Parti de gauche, Jutta Ditfurth du Parti vert et le journaliste Deniz Yücel – ont reçu des menaces de mort signées «NSU 2.0». Dans plusieurs cas, les menaces contenaient des données personnelles récupérées peu de temps auparavant sur des ordinateurs de la police de Hesse.

Mais les auteurs sont couverts par les plus hautes autorités du Land et de la politique. Bien qu'il soit facile d'identifier les agents dont les comptes ont été utilisés pour récupérer les données, la police fait mine de ne toujours pas savoir qui sont les responsables.

Au centre de l'affaire se trouve le 1er commissariat de Francfort, également responsable de l'Opernplatz, lieu des récents affrontements. Il y a deux ans, des données sur Basay-Yildiz y avaient été récupérées. Sur le téléphone portable de la policière qui s'était connectée, il y avait un groupe de discussion dans lequel des policiers glorifiaient Hitler et l'Holocauste. Cinq des agents y participant étaient du 1er commissariat de Francfort. Ils ont été suspendus, la seule mesure prise contre eux.

Lorsque des données sur la chef du groupe parlementaire du Parti de gauche, Janine Wissler, furent extraites par la suite d'un ordinateur de la police à Wiesbaden, il n’y eut même pas une perquisition chez le policier responsable.

L'artiste de cabaret Idil Baydar a déposé huit plaintes criminelles pour avoir reçu des menaces par courriels. Mais à chaque fois les enquêtes ont échoué. Baydar a appris par la presse et non de sources policières que ses données avaient été extraites d'un ordinateur de la police.

Néanmoins, le président de la police de Francfort blâme maintenant «le reproche général» – c'est-à-dire la découverte de réseaux d'extrême droite dans la police – pour les jets de pierre aux policiers. Il s'agit d'une tentative transparente de supprimer toute critique de la police.

À cette fin, les «émeutes» de Francfort sont amplifiées hors de toute proportion. Même si l'on prend la version très exagérée de la police comme critère, elle est anodine comparée à la violence que les hooligans du football, par exemple, exercent régulièrement. Selon les statistiques officielles de la police, 1127 personnes ont été blessées lors de violents affrontements au cours de la saison de football 2018-2019. Des poursuites pénales ont été engagées contre 6 289 personnes, dont un quart pour voies de fait. Pour 34 jours de match, cela signifie une moyenne de 33 blessés et 185 procédures pénales par semaine. Mais comme les hooligans sont pour la plupart des extrémistes de droite, leur violence ne mérite guère une ligne dans les médias.

L'accusation de profilage racial n'est pas non plus de la pure invention. Les policiers l'admettent eux-mêmes ouvertement. La police de Stuttgart a par exemple mené une soi-disant «recherche d'arbre généalogique» après la «nuit de la violence» dans cette ville. Selon ses propres déclarations, elle s'est renseignée auprès des bureaux d'enregistrement sur l'origine des parents de jeunes titulaires d'un passeport allemand. Les politiciens Verts et CDU ont défendu cette pratique, qui rappelle la législation anti-juive nazie.

Il y a un an et demi, la police a introduit la catégorie «hostile à l’Allemagne» dans tout le pays pour classer les crimes à motivation politique. Ce terme de propagande droitière vient directement de l'arsenal idéologique du parti d’extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD). Les instances ayant à voir avec la police avaient voté à l'unanimité en faveur de cette désignation, comme l'a récemment rapporté le quotidien taz.

La sympathie notoire de la police pour les néo-nazis est également illustrée par un incident survenu à Berlin le même jour que les affrontements de Francfort.

Attila Hildmann lance une diatribe à Berlin

L'auteur de livres de cuisine extrémiste de droite Attila Hildmann a de nouveau organisé un corso automobile et un rassemblement dans le centre historique de Berlin. Devant quelque 150 participants l’applaudissant, il a incité la foule contre les Juifs, qu'il a accusés de «vouloir anéantir la race allemande». Il a salué Adolf Hitler comme «une bénédiction» pour l'Allemagne et a menacé le politicien vert Volker Beck d'une exécution publique. Bien qu'Hildmann ait manifestement commis un grand nombre de délits, la police qui regardait n’est pas intervenue.

Hildmann avait déjà fait des déclarations similaires sur les réseaux sociaux. Diverses associations juives ont réagi avec horreur et la préfecture de police de Potsdam a reçu au total 1 600 plaintes. Néanmoins, le parquet du Land de Brandebourg a nié qu'un quelconque crime ait été commis.

Avec les réseaux terroristes de droite dans la Bundeswehr [forces armées] et les forces d'élite du KSK, ainsi que les liens étroits entre le Verfassungsschutz[renseignement intérieur] et les militants néo-nazis, l'image qui se dégage est celle d'une conspiration droitière au sein de l'appareil d'État, dissimulée et promue par la Grande coalition chrétienne-démocrate et sociale-démocrate, et tous les autres partis du Bundestag. Même le Parti de gauche et les Verts, dont les membres sont menacés de mort, ne lèvent pas le petit doigt contre cette conspiration de droite.

Il y a de profondes raisons objectives à cela. Confrontée à la crise capitaliste la plus profonde depuis les années 1930, la classe dirigeante allemande revient aux méthodes de la dictature et de la guerre pour assurer son pouvoir et réprimer toute opposition politique et sociale. Elle réagit en cela à de vives tensions sociales qui annoncent de féroces luttes de classe.

C'est là un développement international. Dans tous les pays capitalistes, la classe dirigeante arme la police et les services secrets et promeut les mouvements d'extrême droite.

Aux États-Unis, le président Donald Trump a pour la première fois envoyé des forces de sécurité fédérales à Portland, Oregon, contre la volonté des autorités locales, pour réprimer les manifestations. Dans des scènes rappelant une dictature militaire, ces forces de sécurité en tenue de combat agissent contre des manifestants pacifiques et les embarquent dans des véhicules banalisés.

La lutte contre le développement d'un État policier et contre l'extrême droite nécessite la construction d'un mouvement indépendant de la classe ouvrière internationale qui associe la défense des droits démocratiques et sociaux à la lutte pour le socialisme.

(Article paru en anglais le 22 juillet 2020)

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