Les provinces et les villes canadiennes confrontées à d'énormes déficits alors que la crise économique s'aggrave

L'Ontario a prédit la semaine dernière que son déficit atteindrait un niveau record de 38,5 milliards de dollars au cours de l'exercice 2020-21, en raison d'un manque à gagner massif et d'une augmentation des dépenses provinciales due à la pandémie de coronavirus. La province la plus peuplée du Canada, actuellement gouvernée par le gouvernement conservateur de droite de Doug Ford, n'est que la dernière en date d'un nombre croissant de provinces et de municipalités à avoir enregistré des déficits records à la suite de l'effondrement économique déclenché par la COVID-19.

Dans un rapport publié à la fin du mois dernier, la ville de Toronto a déclaré qu'elle s'attendait à s'endetter de 3 milliards de dollars de plus cette année et l'année prochaine. L'analyse recommande aux autorités municipales d'imposer des suppressions d'emplois massives et de privatiser les actifs publics pour équilibrer les comptes.

Une proposition était un programme de retraite volontaire qui paierait aux travailleurs proches de la retraite un montant forfaitaire équivalent à trois mois de salaire en échange de leur retraite anticipée. Les gestionnaires devraient alors maintenir le poste du travailleur retraité vacant pendant au moins six mois et trouver des moyens d'offrir des services avec moins de personnel. La ville a déjà imposé plus de 500 millions de dollars en réductions de coûts cette année, y compris par des licenciements temporaires.

De même, des mesures d'austérité sauvage sont envisagées dans les 444 municipalités de l'Ontario et dans d'autres provinces. La privation de fonds pour les municipalités, qui ont subi d'importantes pertes de revenus en raison des mesures de confinement, fait partie d'une politique délibérée de l'élite au pouvoir pour faire appliquer des mesures d'austérité à tous les niveaux du gouvernement afin de payer le sauvetage des banques et de l'oligarchie financière effectué par le gouvernement fédéral. Après des décennies de budgets d'austérité, de gels des salaires et de réductions d'emplois aux niveaux fédéral, provincial et municipal, cette politique s'avérera dévastatrice pour des services publics déjà surchargés, en particulier dans des conditions où les inégalités sociales et la pauvreté sont en augmentation.

Le gouvernement Ford a annoncé fin juillet qu'il allait fournir, conjointement avec les libéraux de Trudeau, un misérable soutien financier de 2 milliards de dollars aux municipalités de l'Ontario. Cela ne suffirait même pas à combler le déficit financier de Toronto, sans parler de celui de centaines d'autres municipalités qui ont également un besoin urgent de soutien.

L'accord de financement du gouvernement ontarien fait partie d'un ensemble de 19 milliards de dollars convenu entre le gouvernement Trudeau et les provinces dans le but d'accélérer la réouverture de l'économie, quelles que soient ses conséquences sur la santé publique. Ford a expliqué que ce financement «aiderait à relancer notre économie et à revenir plus fort que jamais».

Le soutien de tous les partis à la campagne de retour au travail, qui s'accompagne de la réouverture des écoles face à l'opposition des enseignants et des parents, vise à faire payer aux travailleurs les plus de 650 milliards de dollars que le gouvernement Trudeau, la banque centrale du Canada et diverses agences gouvernementales ont versés sur les marchés financiers et dans les caisses des sociétés depuis mars pour renflouer les riches et les super-riches.

À la fin de ce mois, le gouvernement fédéral autorisera l'expiration de la prestation canadienne d'urgence (PCU). Il a l'intention de forcer les millions de travailleurs encore sans emploi à bénéficier de prestations d'assurance emploi moins généreuses ou d'une nouvelle prestation de fortune pour les travailleurs contractuels et les travailleurs indépendants, qui leur procurera beaucoup moins que la maigre allocation de 2000 $ par mois de la PCU.

L'élite au pouvoir profite de l'augmentation des déficits publics pour justifier la réouverture de l'économie et la suppression de l'aide financière, même si la véritable source de l'augmentation de la dette publique est le soutien pratiquement illimité accordé aux super-riches. Le ministre des Finances Bill Morneau a révélé le mois dernier que le déficit budgétaire du gouvernement fédéral devrait atteindre 343 milliards de dollars cette année. La dette prévue avant la pandémie était de 34 milliards de dollars. Proportionnellement, le déficit fédéral de 2020-21 sera de loin le plus important depuis la Seconde Guerre mondiale. La dette fédérale globale devrait dépasser la barre des billions de dollars pour la première fois dans l'histoire du Canada, à 1,2 billion de dollars, un chiffre égal à plus de la moitié du produit intérieur brut du pays.

L'économie devrait se contracter de près de 7 %, le ralentissement le plus sévère depuis la Grande Dépression. Morneau a tenté de brosser un tableau plus positif en soulignant que le gouvernement a pu emprunter à des taux d'intérêt bas, ce qui a permis de maintenir le coût du service de la dette à un niveau relativement bas. Le fait que la dette publique soit un investissement attrayant est lié à l'extrême volatilité des marchés financiers mondiaux qui dépendent de plus en plus de l'afflux massif de capitaux des banques centrales du monde entier pour éviter l'effondrement.

Morneau a également cité les prévisions du gouvernement selon lesquelles la croissance économique devrait rebondir à 5 % en 2021, bien que cela dépende du retour des entreprises à un niveau similaire à celui d'avant la pandémie. On peut en dire autant de la prévision optimiste du gouvernement selon laquelle le chômage passera de 9,8 % cette année à 7,8 % l'an prochain.

Dans les économies déjà déprimées de l'est du Canada, la pandémie a frappé de plein fouet les finances publiques. En Nouvelle-Écosse, le premier ministre a annoncé que le déficit s'élevait désormais à 852 millions de dollars et la dette à près de 40 % du PIB. À Terre-Neuve-et-Labrador, le gouvernement envisage de permettre à des résidents désespérés de puiser dans leur pension pour compenser leurs difficultés financières, les obligeant à utiliser leur fonds de retraite pour surmonter la pandémie. Même avant la pandémie, il y avait de plus en plus de discussions dans les cercles dirigeants sur la nécessité pour Ottawa d'organiser un plan de sauvetage pour empêcher le gouvernement de Terre-Neuve de glisser vers la faillite.

Les inquiétudes concernant l'état de l'économie canadienne n'ont cessé de croître depuis le début de la pandémie. Fin juin, l'agence de notation Fitch a abaissé la note de crédit du Canada de AAA, la plus haute note d'investissement, à AA+. Elle a indiqué que la pause de plusieurs provinces dans la mise en œuvre de leurs plans de réduction de la dette pourrait entraver les efforts visant à stimuler la croissance.

Des voix dans les médias institutionnels ont commencé à exiger que les gouvernements fassent davantage pour réduire leurs déficits et le fardeau global de la dette. Michael Wernick, un ancien greffier du Conseil privé, qui a démissionné en raison du scandale de corruption de SNC-Lavalin l'année dernière, a fait valoir qu'une dette d'un billion de dollars ou plus obligerait Ottawa à réduire les emplois et les services du gouvernement fédéral et que cette correction devait être effectuée dans un an ou deux. Il a fait valoir que l'expérience du travail à domicile pendant le confinement devrait fournir aux ministres des informations sur les domaines dans lesquels il convient de réduire le personnel et les dépenses.

L'ancien directeur parlementaire du budget Kevin Page a soutenu dans une interview que l'austérité serait le résultat inévitable de la pandémie. Il a prédit que le gouvernement devrait augmenter les impôts et réduire les programmes. Le Financial Post, quant à lui, a écrit que le gouvernement doit mettre en place des plafonds d'endettement et que, pour couvrir les remboursements, il doit non seulement privatiser les actifs de l'État, mais le faire à des taux d'intérêt négociés. Il a soutenu que les augmentations d'impôts devraient prendre la forme de taxes régressives à la consommation et a profité de l'occasion pour appeler à de nouvelles réductions des taux d'imposition des sociétés déjà bas au Canada.

L'ancien premier ministre conservateur Stephen Harper s'est également joint à cette initiative, appelant à une austérité sévère dans une chronique du mois de mai du Wall Street Journal. Harper, qui était premier ministre lors de la crise financière mondiale de 2008-2009, a clairement indiqué qu'il aurait formulé des demandes similaires même si la pandémie n'avait pas éclaté. Se penchant sur la crise de 2008-2009, il a noté que «cette fois-ci sera probablement bien pire ... À moins que nous ne connaissions une période de croissance mondiale astronomique, l'arithmétique simple dicte que de nombreux gouvernements, tant nationaux qu'infranationaux, connaîtront des crises de la dette ou au moins de graves pressions, dans les années à venir. S'ils ne pratiquent pas une austérité modérée de manière proactive, ils seront frappés par la dure réalité».

De nombreux commentaires ont établi des comparaisons avec les années 1990, lorsque le premier ministre libéral Jean Chrétien et son ministre des finances, le futur Premier ministre Paul Martin, ont institué des réductions massives des dépenses sociales et des privatisations, et ont indiqué que ces mesures étaient la voie à suivre. Wernick a rappelé qu'au milieu des années 90, le gouvernement a supprimé «45.000 emplois dans la fonction publique, éliminé 73 agences fédérales, réduit l'aide étrangère de 21 % et privatisé les Chemins de fer nationaux canadiens». Il a prédit qu'un avenir similaire est maintenant en réserve pour les travailleurs canadiens.

Andrew Scheer, l'actuel chef du Parti conservateur, a illustré crûment les intérêts fondamentaux qui animent cette politique de guerre des classes, en faisant remarquer qu'«au sortir de la pandémie, chaque pays de la planète sera désespérément en compétition pour les mêmes opportunités et les mêmes investissements, alors où est le plan du premier ministre pour nous distinguer?»

Alors que les conservateurs de l'opposition officielle choisissent un successeur à Scheer le week-end prochain, ils font clairement savoir que des réductions de coûts brutales seront à l'ordre du jour, s'ils arrivent au pouvoir. «Beaucoup de gens à gauche vont essayer d'utiliser la pandémie comme justification pour un retour aux politiques ratées du passé», a déclaré Scheer dans une interview à la presse canadienne mercredi. Pour s'opposer à cela, a-t-il poursuivi, son successeur devra laisser «les gens et les marchés prendre la tête» en réduisant le gouvernement, c'est-à-dire en saccageant ce qui reste des services publics et des protections sociales que la classe ouvrière a gagnés à travers les luttes de masse du siècle dernier.

(Article paru en anglais le 17 août 2018)

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