Le gouvernement Johnson accélère le démantèlement du service national de santé

Le gouvernement conservateur a annoncé l’abandon du programme PHE (Public Health England – Santé publique pour l’Angleterre) et son remplacement par un nouvel organisme, le NIHP (National Institute for Health Protection – Institut national pour la protection de la santé).

Le NIHP réunira plusieurs organisations: le PHE, le Centre de tests du service national de santé (NHS Test and Trace) et le Centre commun de biosécurité (Joint Biosecurity Centre). Ce sera «la première étape vers une organisation unique».

Le PHE, créé par le gouvernement conservateur de David Cameron en 2013, est l’organisme national de santé en Angleterre, et l’agence principale du ministère de la Santé et de l’Aide sociale. Sa suppression sept ans plus tard s’inscrit dans le cadre des efforts déployés par les conservateurs pour faire du PHE le bouc émissaire de la réponse catastrophique du gouvernement à la pandémie de coronavirus qui a coûté la vie à des dizaines de milliers de personnes. Mais son remplacement par le NIHP a également un objectif plus large, à savoir accélérer la privatisation du Service national de santé (NHS) tout entier.

Le ministre de la Santé Matt Hancock a annoncé que le nouvel organisme «travaillera de manière harmonieuse pour exploiter les capacités des universités et des entreprises privées innovantes avec lesquelles nous devons travailler en étroite collaboration pour obtenir les meilleurs résultats».

Pendant des mois, le gouvernement de Boris Johnson a suivi les «échecs» du PHE, mais ceux-ci étaient le résultat direct de la politique gouvernementale. Il y a eu notamment les décisions d'enterrer un rapport de 2016 qui mettait à nu le manque de préparation du NHS à une pandémie de grippe, de vider les stocks d'urgence en équipements de protection individuelle (EPI), de déclasser le COVID-19 pour ne plus en faire une maladie infectieuse à haute conséquence et de refuser aux travailleurs de la santé de première ligne l'accès à un EPI complet.

Tout au long des premiers mois de la pandémie, le PHE a insisté à plusieurs reprises sur le fait que le COVID-19 ne présentait qu’un «risque faible» pour le public. Cela était conforme à la stratégie d’«immunité collective» du gouvernement. Le gouvernement a subi la pression massive de l’opinion publique. C’est pour cette raison qu’il a été contraint d’abandonner l’«immunité collective» temporairement, ce qui a conduit à l’annonce, le 23 mars, d’un confinement national.

La méthode du PHE pour calculer les décès par COVID-19, qu’on a jugé plus tard avoir peut-être surestimé le nombre d’un peu plus de 5.000 par rapport à la méthode d’autres pays européens, a été utilisée par Johnson pour exiger son démantèlement. Les propres efforts de Downing Street pour minimiser systématiquement le nombre de décès, y compris en excluant les décès dans les maisons de retraite pendant le pic de la pandémie, ont été balayés sous le tapis.

Le Daily Telegraph a mené les attaques contre le PHE dans le cadre d’une campagne orchestrée par les médias et les groupes de réflexion de droite. Parmi ceux qui réclamaient la suppression de PHE, on trouve l’ancien rédacteur en chef du Telegraph Charles Moore et Matthew Lesh, directeur de recherche à l’Institut Adam Smith. Les manchettes du Telegraph par Lesh comprenaient: «La santé publique anglaise ne peut pas relever le défi auquel elle est confrontée en raison des coronavirus» (17 avril); «Les bureaucrates de la santé publique doivent faire face à leurs échecs catastrophiques en matière de coronavirus» (10 mai); «Les statistiques de décès exagérées du PHE sont un scandale qui a alimenté la peur» (17 juillet); «Le PHE a été une catastrophe pour la santé publique» (16 août).

Mais le principal «crime» de PHE était qu’il faisait partie d’un service national de santé (NHS) «gonflé» qui n’était pas assez ouvert à l’expertise et à la «flexibilité» du secteur privé. Dans un éditorial du Telegraph du 4 avril, intitulé «L’inflexibilité de notre NHS boursouflé est la raison pour laquelle le pays a dû fermer», Moore s’est plaint de la «réticence du service de santé, et de la santé publique anglaise, à chercher de l’aide en dehors de leurs propres sphères. Dans une culture presque fièrement hostile au secteur privé et méfiante à l’égard des travaux universitaires indépendants, le premier instinct du NHS est de défendre le territoire bureaucratique».

Dimanche, le Telegraph a publié un éditorial sur l’annonce imminente du gouvernement sous le titre: «Adieu à la santé publique d’Angleterre, et bon débarras». Il commençait ainsi: «Pendant des semaines, ce journal a appelé à l’abolition de la santé publique en Angleterre, et aujourd’hui nous sommes heureux d’annoncer une victoire». Il mettait sur le compte du PHE tous les échecs des conservateurs – le manque de préparation du pays pour la pandémie, l’absence d’un dépistage systématique dans la population, etc. Et il a répétait les critiques de Lesh selon lesquelles le PHE avait exagéré le nombre de décès dus au COVID-19.

L’ancien leader conservateur Sir Iain Duncan Smith, qui avait déclaré en juin qu’il «supprimerait le PHE demain», a déclaré: «La seule chose cohérente à propos de la santé publique en Angleterre est que presque tout ce qu’elle a touché a échoué».

Il ne fait aucun doute que le PHE a présidé à un échec massif, mais les architectes de cet échec sont Hancock et Johnson.

Au cours du week-end, Duncan Selbie, directeur général du PHE, a déclaré au Times: «Le Royaume-Uni n’avait pas de capacités nationales de tests de diagnostic autres que celles du NHS au début de la pandémie. Le PHE ne fait pas de tests de diagnostic de masse. Nous exploitons des laboratoires nationaux de référence et de recherche axées sur les agents pathogènes nouveaux et dangereux, et notre rôle n’a jamais été, à aucun moment, de définir la stratégie nationale de tests pour la pandémie de coronavirus. Cette responsabilité incombait au ministère de la Santé et de l’aide sociale». Il a ajouté: «Toute suggestion selon laquelle le PHE aurait monopolisé, centralisé et contrôlé les tests de pandémie ou même empêché d’autres personnes de développer des tests ou de les réaliser est fausse».

Au cours de la dernière décennie, le PHE a été soumis à une austérité brutale, son budget ayant été réduit de 40 pour cent au cours des sept années qui ont suivi sa création. Lorsque la pandémie a frappé la Grande-Bretagne, il n’y avait que 290 traceurs de contact au PHE pour toute l’Angleterre, avec une population de plus de 50 millions de personnes.

Le fait que Dido Harding soit le choix de Johnson pour diriger le NIHP révèle tout sur la direction que prendront les Thatcherites qui dirigent le gouvernement.

La baronne Harding de Winscombe

Diana Mary «Dido» est la Baronne Harding de Winscombe, fille de Lord Harding, petite-fille du Field Marshal John Harding, 1er Baron Harding de Petherton. C'est Harding qui, en mai, a été choisie par Hancock pour être chargée du système «Pister, Tester et Tracer» du gouvernement.

Harding n’a aucune qualification pour assumer un rôle aussi crucial, ancienne PDG de la société de télécommunications TalkTalk et toujours directrice (sans pouvoir exécutif) à la Cour de la Banque d’Angleterre depuis qu’elle s’est fait nommer en 2014. En 2017, elle est devenue responsable de l’amélioration du NHS, un rôle consacré à la privatisation et à l’éclatement du NHS. Harding a ensuite rejoint le conseil d’administration du Jockey Club des courses de chevaux.

Pendant que le PHE se faisait dénoncer pour son incapacité à fournir un système fonctionnel de suivi et de traçabilité – par un gouvernement qui avait abandonné tout dépistage systématique du COVID-19 en mars –, le bilan de Harding en matière de suivi et de dépistage était désastreux. Après avoir pris le contrôle du système de dépistage et traçabilité, elle a sous-traité à des entreprises privées, dont Serco et Sitel, qui ont bien négocié. Serco a reçu 108 millions de livres sterling pour un contrat de 13 semaines. Les entreprises n’ont même pas réussi à atteindre 40 pour cent des personnes qui étaient en contact étroit avec celles qui ont été déclarées positives au COVID-19 dans la semaine du 5 août. Les contrats ont été renouvelés ce mois-ci, Serco devant recevoir 410 millions de livres et Sitel 310 millions de livres.

Harding est le fer de lance des demandes de l’élite dirigeante pour une privatisation à grande échelle du NHS. Elle est mariée au député conservateur John Penrose, membre du conseil d’administration du groupe de réflexion Thatcherite «1828», qui se décrit comme «un site d’opinion néolibéral. Avec la récente résurgence des idées socialistes, 1828 offre une plate-forme aux individus pour encourager l’alternative: la liberté politique et économique. Nous croyons que toutes nos vies se sont transformées positivement par la propagation du capitalisme de libre marché».

Le groupe a réclamé l’abolition du PHE et la suppression de tout le NHS, au profit d’un «système social d’assurance-maladie», précisant qu’ «on n’a pas besoin de l’État pour posséder ou subventionner des hôpitaux, ou pour contrôler la politique à partir du centre; on en a simplement besoin pour réguler le système de manière satisfaisante».

Penrose est le «champion anti-corruption» de Johnson, mais la puanteur de la corruption dans la nomination de sa femme à la tête de l’Institut national pour la protection de la santé est écrasante.

Avant la nomination de Harding, une entreprise américaine secrète d’intelligence artificielle (IA), Palantir, a eu accès aux données personnelles de millions de citoyens britanniques. L’accord a des conséquences désastreuses pour les droits démocratiques, Palantir ne recevant qu’une livre sterling pour fournir ses services, dans l’optique de récolter des récompenses massives à l’avenir. Faculty, qui a remporté un contrat d’un million de livres sterling pour fournir des services d’IA au NHS, est une jeune entreprise dirigée par Mark Warner. Il est le frère de Ben Warner qui a dirigé l’opération de données pour la campagne «Voter pour quitter» (Vote leave) du Brexit, menée par Dominic Cumming, aujourd’hui conseiller en chef de Johnson.

Le gouvernement a fait un pas décisif vers la vente du NHS aux sociétés privées. En juillet, les conservateurs ont rejeté un amendement à son projet de loi sur le commerce visant à exempter le NHS de tout futur accord de libre-échange après le Brexit.

Le gouvernement de Johnson, largement méprisé par la population, peut s’en tirer tout simplement parce qu’il ne rencontre aucune opposition à son programme de la part d’une quelconque partie de l’establishment politique. Tout au long de la pandémie, le leader travailliste Sir Keir Starmer a souligné à plusieurs reprises que son parti «travaillera de manière constructive avec le gouvernement».

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