L'architecte de la politique suédoise en matière de coronavirus préconise de maintenir les écoles ouvertes pour atteindre plus rapidement l'«immunité collective»

Les courriels envoyés par l'épidémiologiste en chef de la Suède, Anders Tegnell, en mars, confirment que les autorités du pays ont sciemment mené une politique meurtrière d'«immunité collective» dès le début de la pandémie, et qu'elles ont choisi de maintenir les écoles ouvertes spécifiquement pour accélérer la propagation du coronavirus. Les messages, obtenus grâce à une demande d'accès à l'information d'un journaliste indépendant, ne sont pas seulement une accusation accablante de la réponse criminelle à la COVID-19 par les autorités suédoises, mais aussi de l'élite dirigeante à travers l'Europe et l'Amérique du Nord, qui adopte maintenant exactement la même approche.

La publication des courriels de Tegnell est particulièrement opportune, étant donné que des centaines de milliers d'enseignants, d'étudiants et de parents aux États-Unis et en Europe s'opposent à la réouverture meurtrière des écoles. Les politiciens ont justifié cette avenue par des mensonges sur le fait que les enfants sont moins sujets à l'infection et moins susceptibles de transmettre le virus à d'autres personnes. Pourtant, ce que révèle la correspondance de Tegnell, c'est que les autorités sanitaires ont su très tôt que les écoles agiraient comme des super centres de propagation. Plutôt que d'essayer d'empêcher un développement aussi désastreux, Tegnell l'a positivement célébré comme un moyen d'assurer la propagation du coronavirus le plus rapidement possible.

Les autorités suédoises ont rejeté l'imposition d'un confinement lorsque le virus est apparu en mars, ont permis à toutes les entreprises de rester ouvertes et ont maintenu tous les élèves des écoles primaires et secondaires en classe tout au long de la pandémie. Il en est résulté un taux de mortalité catastrophique qui était parmi les plus élevés au monde par habitant. Avec un peu plus de 10 millions d'habitants, la Suède a enregistré à ce jour plus de 5800 décès et plus de 85.400 cas. En comparaison, la Finlande voisine, qui a mis en place un dispositif de confinement plus strict, n'a enregistré que 334 décès à ce jour. Même en tenant compte du fait que la Suède a environ le double de la population de la Finlande, la Suède a toujours enregistré un taux de mortalité plus de neuf fois supérieur à celui de la Finlande.

Dans un courriel peut-être le plus explosif, écrit à son homologue finlandais Mika Salminen le 13 mars, Tegnell tente de persuader le voisin de la Suède d'adopter sa politique sur les écoles. «Un point pourrait parler en faveur du maintien des écoles ouvertes afin d'atteindre l'immunité collective plus rapidement», écrit Tegnell à Salminen le 14 mars. Après que Salminen ait répondu en déclarant que les autorités finlandaises rejetaient cette idée parce que les enfants propageraient le virus, Tegnell a répondu: «C'est vrai, mais probablement surtout entre eux en raison de la structure de contact extrêmement stratifiée par âge que nous avons.»

Lors de ses points de presse quotidiens, Tegnell a toujours nié que son objectif politique était d'atteindre une «immunité collective» en laissant le virus se propager sans contrôle. Les courriels qui ont été divulgués confirment qu'il s'agissait d'un mensonge, visant à empêcher la réaction publique que la déclaration ouverte d'une politique aussi inhumaine aurait déclenchée.

Le soutien à l'«immunité collective» n'était pas seulement la position défendue par Tegnell, mais aussi par des sections importantes de l'establishment de la politique de santé publique avec lesquelles il était en contact. Tegnell a été étroitement consulté sur la réponse suédoise aux coronavirus par son prédécesseur Johan Giesecke, qui a été épidémiologiste d'État de 1995 à 2005. En mars, Giesecke a écrit dans un courriel adressé à une compagnie d'assurance suédoise: «Je pense que le virus va déferler comme une tempête sur la Suède et infecter pratiquement tout le monde dans un ou deux mois. Je crois que des milliers de personnes sont déjà infectées en Suède... tout cela prendra fin lorsque tant de personnes auront été infectées et seront donc immunisées que le virus n'aura nulle part où aller (la fameuse immunité collective?)»

Dans un courriel ultérieur adressé à Tegnell, Giesecke s'est plaint de la fermeture d'écoles secondaires supérieures et d'universités. «Je pense que nous devrions assouplir les fermetures des écoles secondaires supérieures et des universités après Pâques. Ils ne jouent aucun rôle épidémiologique et ce serait un signal de changement pour le mieux», a-t-il écrit. Finalement, cette politique a été mise en œuvre en juin.

La décision de Tegnell de laisser les écoles ouvertes s'est accompagnée d'une approche désastreuse en matière de dépistage. Les autorités suédoises ont d'abord refusé de tester toutes les personnes asymptomatiques, et n'ont pas testé un grand nombre de travailleurs de première ligne, en particulier dans le domaine des soins aux personnes âgées. Il était donc pratiquement impossible de retracer assez rapidement les foyers de coronavirus dans ces établissements, qui sont devenus des champs de bataille, car les travailleurs faiblement rémunérés et précaires, contraints de travailler à plusieurs endroits pour joindre les deux bouts, étaient porteurs du virus.

Pour éviter que le système de soins de santé ne s'effondre totalement sous l'écrasement des patients atteints de COVID-19, les autorités de Stockholm ont veillé à ce que les soins soient effectivement refusés aux personnes âgées de plus de 80 ans. Les rapports abondent sur le fait qu’on a laissé des résidents âgés mourir dans des maisons de soins sans qu'on leur propose un transfert à l'hôpital.

Si les gouvernements de toutes les tendances politiques en Europe et en Amérique du Nord obtiennent ce qu'ils veulent, ces conditions horribles se reproduiront à une bien plus grande échelle dans les semaines et les mois à venir.

Il ne fait aucun doute que des discussions aussi effrayantes que celles engagées par Tegnell, qui ont abouti à des décisions politiques condamnant des milliers de personnes à une mort prématurée, ont eu lieu au sein de la classe dirigeante de pratiquement tous les pays. De la déclaration désinvolte du premier ministre britannique Boris Johnson en mars, selon laquelle il serait préférable de simplement «s'attaquer au problème, tout d'un coup, et laisser la maladie, pour ainsi dire, se propager dans la population», à l'affirmation de la chancelière allemande Angela Merkel en mars, selon laquelle 60 à 70 % de la population serait inévitablement infectée, et l'abandon par le président Trump de tout effort pour contenir la pandémie aux États-Unis, les élites dirigeantes européennes et nord-américaines ont toutes adopté la stratégie d'«immunité collective» lancée par Tegnell en Suède.

Les gouvernements européens et américains n'ont mis en place des mesures de confinement qu'à contrecœur fin mars, principalement en raison de la pression croissante de leurs populations. Cela s'est exprimé le plus clairement par des arrêts de travail spontanés dans les usines automobiles d'Amérique du Nord et par des grèves des travailleurs de l'automobile et de l'industrie manufacturière en Europe. Des études scientifiques sérieuses ont démontré que ces confinements, après avoir été effectivement imposés à l'élite dirigeante par l'opposition de la classe ouvrière, ont sauvé des millions de vies. Une étude de l'Imperial College de Londres a estimé que 3,1 millions de vies ont été sauvées dans 11 pays européens.

Cependant, dès que les gouvernements ont pillé les trésors des États pour transférer des billions de dollars et d'euros dans les coffres des grandes entreprises et des banques afin de s'assurer qu'elles puissent continuer à accumuler de vastes quantités de richesses, une politique catastrophique de réouverture prématurée de l'économie a été imposée. En conséquence, la pandémie se propage actuellement à un rythme record dans le monde entier, le nombre de décès approchant rapidement les 800.000.

Au cours des trois semaines qui ont suivi l'ouverture des écoles aux États-Unis pendant la semaine du 27 juillet, au moins 2500 enseignants, étudiants et autres travailleurs de l'éducation ont été infectés par le virus. Des épidémies ont été enregistrées dans des écoles à travers le pays, et seuls six États n'ont pas encore enregistré d’épidémie.

En Allemagne, les gouvernements des États font preuve d'un mépris total pour la vie des enseignants et des élèves alors qu'ils s'efforcent de rouvrir complètement les écoles, alors même que les nouvelles infections atteignent leur plus haut niveau depuis le mois d'avril. Plus de 50 infections ont été signalées dans les écoles d'un seul État, Hambourg, au cours des deux semaines qui ont suivi la réouverture des écoles. Dans le Schleswig-Holstein voisin, le gouvernement de l'État a rejeté la quasi-totalité des 2000 demandes d'autorisation de travail à domicile présentées par des enseignants ayant des problèmes de santé préexistants. Tous les gouvernements des États ont abandonné tout effort de mise en œuvre de la distanciation sociale.

Aucun pays ne tente même de fournir des tests adéquats et de rechercher les contacts des enseignants et des étudiants, même si tout examen objectif des conditions dangereuses auxquelles ils sont confrontés quotidiennement dans des bâtiments scolaires délabrés devrait conclure qu'ils courent tous un risque accru d'être infectés.

Si le chaos et l'incompétence dont font preuve les gouvernements de tous les pays avec leur campagne meurtrière de rentrée des classes ne manquent pas, une politique bien définie est menée très consciencieusement, à savoir «l'immunité collective» par l'infection. Comme Tegnell et ses collègues, les gouvernements de pratiquement tous les pays calculent que laisser le virus se propager dans la population comme une «tempête» est le moyen le plus efficace de protéger les intérêts des grandes entreprises et de l'élite financière. Le retour des enfants à l'école est considéré comme essentiel pour que les parents puissent être contraints de reprendre le travail afin de produire des profits pour les actionnaires et les super-riches. Et si des enseignants, des étudiants et des parents devaient mourir du virus, en particulier ceux qui ont des problèmes de santé préexistants, l'élite au pouvoir considère que c'est un bien positif, car cela facilitera la réduction des dépenses de santé.

Une nouvelle étape dans la catastrophe de COVID-19 ne peut être évitée que par l'intervention politique consciente de la classe ouvrière pour mettre fin à la campagne de rentrée scolaire inconsidérée. Cela nécessite avant tout la mise en place de comités d'action indépendants dans chaque école, université et quartier pour préparer une grève générale afin de stopper la réouverture des écoles et exiger une augmentation considérable du financement de l'éducation publique pour que les enfants et les jeunes puissent recevoir une éducation décente pendant la pandémie. Un élément essentiel de cette lutte doit être l'obligation de rendre des comptes pour les responsables gouvernementaux, comme Tegnell, qui ont exploité leurs compétences médicales et leur position au sein de l'appareil d'État capitaliste pour mener une politique meurtrière qui menace la vie de millions de travailleurs à l'échelle internationale.

(Article paru en anglais le 21 août 2020)

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