Des millions de travailleurs indiens en grève pour protester contre les attaques du gouvernement Modi

Exprimant la colère populaire qui grandit contre les politiques anti-travailleurs du gouvernement du premier ministre Narendra Modi et sa gestion désastreuse de la pandémie de COVID-19, des millions de travailleurs ont rejoint des grèves et des manifestations ces dernières semaines pour s’opposer aux attaques du gouvernement sur leurs salaires et leurs conditions de travail.

Des millions de travailleurs sans contrat permanent des organismes de l’État – principalement des Acteurs de santé publique agréés (ASHA) et ceux rattachés au réseau Anganwadi (centres ruraux de garde d’enfants qui font partie du système de santé publique indien) – ont pris part à une grève de trois jours du 7 au 9 août. Les travailleurs s’opposaient à des changements draconiens de la législation du travail et au désinvestissement et à la privatisation des PSU (Public Sector Units). Ils réclamaient également le transfert de 7.500 roupies sur les comptes bancaires de toutes les familles qui ne gagnent pas assez pour être imposables pendant six mois; une aide financière aux agriculteurs; l’arrêt des licenciements et des fermetures; le paiement des salaires pendant des lock-out; et la réintégration des travailleurs licenciés pendant le lock-out; ainsi que la fourniture de céréales et d’autres denrées alimentaires subventionnées à toutes les familles.

Cette action, appelée par 10 centrales syndicales (CTU), était la troisième grève ou protestation nationale en trois mois. Une grève nationale a eu lieu le 22 mai contre les attaques majeures contre les droits des travailleurs par les différents gouvernements des États. Le 3 juillet, une manifestation nationale s’est opposée aux réformes pro-investisseurs du gouvernement Modi, que le premier ministre a promis d’intensifier de façon spectaculaire.

Selon les responsables des CTU, la police a arrêté et détenu des participants dans de nombreux États, ce qui montre combien l'élite au pouvoir craint le mouvement de protestation.

Une déclaration commune publiée avant les manifestations des 7-9 août par les 10 CTU a fait état des conditions auxquelles sont confrontés les travailleurs du régime, dont beaucoup sont en première ligne dans la lutte contre le COVID-19: la déclaration se plaignait qu’«aucune» des «exigences minimales» pour leur sécurité et leur sûreté, y compris l’équipement de protection individuelle (ÉPI), l’assurance et l’indemnité de risque, n’est fournie par le gouvernement». En conséquence, «de nombreux travailleurs sont morts» à cause du COVID-19.

Près de 90.000 travailleurs d’ASHA au Bihar, qui étaient en grève depuis le 6 août pour exiger des EPI et le paiement des salaires différés, ont rejoint la grève. Une employée d’ASHA, Sarita Roy, a déclaré au Hindustan Times le 8 août que les travailleurs «ne reçoivent pas l’équipement (de protection) alors même que nous effectuons toutes les tâches de vaccination et que nous documentons même les taux de maternité». On les paie que 5.000 roupies (67 dollars US) par mois. Cependant, au cours des quatre derniers mois, l’État n’a même pas payé cette somme dérisoire.

Selon les chiffres des CTU, près de 10 millions de travailleurs ont participé à la dernière action nationale de trois jours, ce qui souligne la colère populaire croissante envers Modi et son parti de droite, le BJP. La croissance des luttes de la classe ouvrière n’est pas seulement un phénomène indien, mais elle fait plutôt partie d’une recrudescence mondiale de la lutte de classes. Les travailleurs expriment leur opposition à l’inégalité sociale et à la volonté meurtrière de l’élite dirigeante de rouvrir l’économie alors que la pandémie continue de faire rage.

La grève a eu lieu alors que la propagation du virus à travers l’Inde continuait de s’accélérer. Au cours des deux dernières semaines, l’Inde a enregistré le plus grand nombre de cas quotidiens dans le monde, dépassant les États-Unis et le Brésil, selon l’Organisation mondiale de la santé.

Le nombre total de cas de COVID-19 signalés en Inde a maintenant dépassé les 2,7 millions. Le 17 août, le nombre de décès a dépassé le triste cap des 50.000. Environ 900 décès sont signalés chaque jour.

La semaine du 10 au 16 août a été la semaine la plus meurtrière de la pandémie en Inde jusqu’à présent, avec 434.003 nouvelles infections (une augmentation de 5,9 pour cent par rapport à la semaine précédente) et 6.555 décès (une augmentation de 4,4 pour cent par rapport à la semaine précédente). Du 1er au 17 août, 1 million de nouveaux cas de COVID-19 ont été enregistrés.

La propagation rapide de la maladie est le produit direct de l’adoption par l’élite dirigeante indienne d’une politique meurtrière d’«immunité collective». Pendant les deux mois de confinement mal préparé de Modi, l’élite dirigeante n’a rien fait pour renforcer le système de santé publique du pays, qui souffre d’un manque chronique de ressources. Le gouvernement a également refusé d’apporter une aide financière à des dizaines de millions de travailleurs pauvres du secteur informel qui ont perdu leur emploi, les plongeant ainsi dans le dénuement. Ayant créé des conditions de misère sociale insupportables pour des dizaines de millions de travailleurs, le gouvernement a ensuite lancé une réouverture prématurée et imprudente de l’économie. Avec une méprise totale des travailleurs, son but était de permettre aux grandes entreprises de recommencer à extraire de profits de la classe ouvrière super-exploitée.

Suivant les traces des gouvernements capitalistes du monde entier, le gouvernement Modi a profité de la pandémie de COVID-19 pour mener des «réformes économiques» planifiées de longue date visant à intensifier l’exploitation de la classe ouvrière, attirer les investissements internationaux et accroître la richesse des super-riches de l’Inde. Les mesures mises en œuvre comprennent la privatisation des services publics, de nouvelles réductions des dépenses sociales et des modifications du droit du travail, notamment des tentatives de faire passer la journée de travail de 8 à 12 heures.

En forçant les travailleurs à retourner dans les usines et autres lieux de travail surpeuplés, sans pratiquement aucune protection en matière de sécurité, Modi et les gouvernements des États – dont beaucoup sont dirigés par l’opposition – portent la responsabilité des infections et des décès massifs sur les lieux de travail. Reuters a rapporté en juillet que les travailleurs de Bajaj Auto, le plus grand exportateur de motos de l’Inde, exigeaient la fermeture temporaire d’une de ses usines après que 250 employés aient été testés positifs au coronavirus.

Ce n’est là qu’un exemple de l’opposition croissante de diverses sections de la classe ouvrière à l’indifférence criminelle de toute l’élite dirigeante à l’égard de leur vie. Le site web NewsClick a répertorié le 6 août au moins 17 grandes manifestations de travailleurs au cours des quatre mois précédents. Parmi celles-ci:

• Le 1er juin, plus de 50.000 femmes ont manifesté dans tout le pays pour réclamer un soutien au revenu pour les familles nécessiteuses et des céréales.

• Le 25 juin, près de 100.000 travailleurs d’ASHA ont organisé des manifestations de protestation dans divers États pour exiger de meilleurs équipements de protection, de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail.

• Du 2 au 4 juillet, plus d’un demi-million de travailleurs du charbon ont participé à une grève de trois jours contre l’ouverture par le gouvernement de l’exploitation du charbon aux investisseurs privés.

• Le 13 juillet, plus de 200.000 travailleurs de la construction ont protesté contre la fusion d’une loi et d’un fonds spécifiquement destinés à leur protection sur le lieu de travail avec le Code général du travail et le détournement de ce fonds à d’autres fins.

• Le 23 juillet, une journée de revendications communes des travailleurs et des paysans a été organisée, à laquelle ont participé plus de 200.000 personnes. Ils protestaient contre les propositions de privatisation du commerce agricole et le saccage des normes du travail, et exigeaient le respect des besoins de base.

• Le 4 août, plus de 80.000 employés de la production de défense ont organisé des manifestations aux portes de leurs unités de production pour protester contre la privatisation imminente ordonnée par le gouvernement Modi.

• Le 5 août, des milliers de travailleurs du transport routier ont organisé des manifestations dans toute l’Inde pour demander la révocation d’une nouvelle loi qui favorise les grandes entreprises de transport par rapport aux petits fournisseurs.

Chaque semaine apporte de nouvelles protestations. Le 10 août, environ 700.000 exploitants de camions et de petits véhicules commerciaux du Madhya Pradesh ont entamé une grève de trois jours contre une hausse de la taxe sur le diesel. Ils ont également exigé une couverture d’assurance pour les chauffeurs de camion, car ils s’exposent à des risques sanitaires lorsqu’ils opèrent pendant la pandémie.

Dans des conditions aussi explosives, les dix CTU qui ont appelé à une grève de trois jours des travailleurs au début de ce mois l’ont fait dans le but de garder le contrôle sur l’opposition sociale croissante. Ils espèrent ainsi diriger le mouvement derrière leurs propres programmes de politique réactionnaire. Les centrales syndicales (CTU) impliquées dans l’appel à la grève étaient: le Congrès national indien des syndicats (INTUC), qui est affilié au Parti du Congrès de l’opposition; le Parti communiste (marxiste) (CPM) stalinien et son Centre des syndicats indiens (CITU); le Parti communiste de l’Inde stalinien et son Congrès des syndicats de toute l’Inde (AITUC); le Dravida Munnetra Kazhagam (DMK) et sa Fédération progressiste du travail (LPF).

Dans une manifestation de leur orientation de droite, qui comprend des demandes de dialogue avec le gouvernement du BJP, ils ont invité le Bharatiya Mazdur Sangh (BMS), qui est affilié au Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), le mentor idéologique du parti Bharatiya Janata (BJP) au pouvoir de Modi, à participer à l’action syndicale commune, mais il a refusé.

Une déclaration commune publiée par les CTU le 18 juillet a noté que le COVID-19 a entraîné la perte de 140 millions d’emplois en trois mois. Ce chiffre passe à 240 millions si l’on inclut les employés occasionnels et les travailleurs contractuels. La déclaration a souligné le résultat catastrophique de ces pertes d’emploi, notamment une augmentation de la malnutrition et des décès liés à la faim. Elle mettait également en garde contre la dépression et les suicides chez les travailleurs désespérés sans emploi.

En dépit de ces conditions horribles, tout ce que les CTU ont pu rassembler a été la promesse de soumettre une pétition au gouvernement Modi demandant des améliorations. Il va sans dire que de tels appels tomberont dans l’oreille d’un sourd.

(Article paru en anglais le 20 août 2020)

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