Un membre d’une milice d’extrême droite arrêté après avoir tué deux manifestants et en avoir blessé un troisième au Wisconsin

Kyle Rittenhouse, un ancien cadet de police de 17 ans et originaire d’Antioch, dans l’Illinois, situé à moins de 30 km de Kenosha, dans le Wisconsin, a été arrêté et accusé d’homicide au premier degré mercredi matin, en relation avec les tirs mortels sur deux manifestants et les blessures d’un troisième.

Les meurtres ont eu lieu lors de la troisième nuit de protestation contre l’assaut de Jacob Blake par la police de Kenosha dimanche. Blake est un Afro-Américain de 29 ans et père de six enfants. L’officier de police Rusten Shesky, un vétéran du département depuis sept ans, a tiré sept coups de feu à bout portant dans le dos de Blake alors qu’il tentait de monter dans son VUS. La fusillade a sectionné la moelle épinière de Blake, le laissant paralysé en bas de la taille.

Un manifestant se met à l’abri le mardi 25 août 2020 à Kenosha au Wisconsin (AP Photo/David Goldman)

L’arrestation de Rittenhouse a eu lieu environ 10 heures après qu’on l’ait identifié sur une vidéo de média social et par des témoins oculaires. La vidéo montre que Rittenhouse a tiré sur plusieurs personnes lors de deux incidents distincts, d’abord dans un parking et quelques minutes plus tard au milieu de la rue.

La police n’a pas encore identifié publiquement les victimes. Cependant, lors d’une conférence de presse tenue mercredi, la police a confirmé que toutes les victimes étaient originaires du Wisconsin. Cela comprend les deux personnes décédées – un résident de Silver Lake âgé de 26 ans et un homme de Kenosha âgé de 36 ans – et la personne blessée, un homme de 36 ans de West Allis. Aucun des trois n’était armé.

Des camarades et des amis ont placé des messages sur les médias sociaux qui identifiaient l’un des manifestants assassinés comme étant Anthony Huber de Silver Lake. Une page GoFundMe créée pour aider à payer les frais funéraires de Huber a dépassé son objectif de 25.000 dollars en moins de huit heures.

Un ami de Huber a déclaré à la chaîne de télévision locale CBS qu’il pensait qu’Anthony était un héros parce qu’il avait essayé d’arrêter le tireur. «C’est une personne pacifique», a déclaré l’ami. «Il ne cherchait pas la bagarre. C’est plutôt un défenseur. Et il a mis sa vie en danger pour les autres. C’est ce qu’il a fait.»

Immédiatement après les tirs, la police a refusé d’interroger, et encore moins d’arrêter, Rittenhouse. Dans une vidéo choquante visionnée plus de 2,6 millions de fois, on voit Rittenhouse passer devant la police et des camions blindés avec son AR-15 en bandoulière après avoir tiré des dizaines de balles moins d’une minute auparavant, laissant plusieurs personnes blessées ou mourantes. On peut voir la police ignorer les cris des manifestants qui affirment que Rittenhouse était responsable. Au lieu de cela, ils continuent d’avancer dans la rue, permettant au tueur de quitter la ville et de rentrer chez lui en Illinois.

Mercredi, un groupe appelé la milice Kenosha a attiré Rittenhouse à la manifestation contre la violence policière en publiant un «Appel aux armes» sur Facebook. C’était un appel aux forces de droite à s’armer et à affronter les manifestants à Kenosha. Un site web de conspiration d’extrême droite, Infowars, a promu l’appel. Dans des interviews données tout au long de la soirée à des internautes, Rittenhouse s’est vanté que «nous n’avons pas d’armes non létales» et qu’il était là «pour protéger la propriété».

Page Facebook de l’événement «Des citoyens armés pour protéger nos vies et nos biens»

Dans une autre interaction enregistrée, Rittenhouse, AR-15 en main, est vu avec plusieurs membres plus âgés de la milice devant une entreprise fermée et condamnée. La police s’approche et, par le biais de son haut-parleur, offre sa «reconnaissance» aux membres de la milice lourdement armés. «Nous vous apprécions vraiment», dit un policier par le haut-parleur, tandis qu’un autre demande «si vous avez besoin d’eau».

Le président Trump a fait à plusieurs reprises des déclarations incitant les forces d’extrême droite et fascistes à attaquer les opposants de gauche. L’assassinat des manifestants de Kenosha a eu lieu en plein milieu de la Convention nationale républicaine, qui a dénoncé, orateur après orateur, les manifestants contre la violence policière comme étant des anarchistes, des marxistes, des terroristes, des pillards et des émeutiers. En avril, Trump a posté un tweet exhortant les milices armées opposées aux ordres de confinement des États à «libérer» les États ayant des gouverneurs démocrates comme le Michigan, le Minnesota et la Virginie.

Des groupes d’extrême droite comme les Proud Boys et Boogaloo Bois se sont rendus à Kenosha, une ville dans la région de la «Rust Belt» (ceinture de la rouille) qui a été dévastée par la fermeture d’usines et la destruction d’emplois manufacturiers. Le but du groupe était d’affronter et de menacer les manifestants, comme ils l’avaient fait dans d’autres villes du pays où les protestations se poursuivent depuis le meurtre de George Floyd par la police le 25 mai à Minneapolis, dans le Minnesota.

En cherchant à construire sa base de soutien personnelle, Trump a donné son plein appui au groupe de conspiration fasciste QAnon, qui promet de mener une «tempête» qui se terminera par l’exécution des opposants politiques de Trump.

Trump s’est tourné vers Twitter mercredi après-midi, affirmant qu’il avait parlé au gouverneur démocrate du Wisconsin, Tony Evers, et qu’il enverrait «les forces de l’ordre fédérales et la Garde nationale… pour rétablir la LOI et l’ORDRE!»

Evers a déjà déclaré l'état d'urgence, imposé un couvre-feu et ordonné l'entrée de centaines de membres de la Garde nationale dans la ville, soulignant le fait que la violence de l'État contre les manifestants est une politique bipartite.

Le maire de Kenosha, John Antaramian, également démocrate, a déclenché ses forces de police pour attaquer les manifestants pacifiques avec des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc et a déployé des véhicules blindés de type militaire dans les rues. Contrairement aux manifestants, la police a autorisé les fascistes armés à violer le couvre-feu chacune des deux dernières nuits.

Trump s’est moqué des gouverneurs et des maires démocrates qui n’ont pas été assez brutaux pour réprimer les manifestations à son goût. En réponse, les services de police de villes dirigées par des démocrates, comme Pittsburgh et New York, prennent la responsabilité de «faire disparaître» les manifestants. La même chose se passe au Wisconsin. Au cours des dernières 24 heures, on a diffusé des vidéos qui montrent des policiers qui apparaissent dans des véhicules banalisés et kidnappent des personnes sans procès ni explication.

Lundi, un adolescent de Madison a été saisi par la police sans explication après que les manifestations aient cessé. À Kenosha, avant l’entrée en vigueur du couvre-feu, des agents lourdement armés ont encerclé un camion de nourriture «riot kitchen», qui sert gratuitement des repas aux manifestants et aux sans-abris. La police a procédé à l’ouverture des fenêtres et à l’enlèvement des personnes qui se trouvaient à l’intérieur en plein jour. Les détails de la séquence exacte des événements qui ont conduit aux fusillades de Kenosha sont encore en cours de détermination. Cependant, les vidéos des médias sociaux collectées tout au long de la nuit montrent que les autorités, y compris la police de Kenosha et le bureau du shérif, étaient bien conscientes de l’intervention des milices d’extrême droite pour terroriser les manifestants et les ont encouragées.

Dans une vidéo, on voit un milicien non identifié qui parle avec les manifestants après les tirs. «Vous savez ce que les flics nous ont dit aujourd’hui?» demande-t-il, puis il ajoute que les policiers lui ont dit qu’ils allaient «vous pousser vers nous, parce qu’on peut s’occuper de vous, et qu’ensuite ils allaient partir”».

Lors de la première conférence de presse tenue par les autorités de Kenosha depuis que Blake s’est fait tirer dessus dimanche, le shérif du comté de Kenosha, David Beth, a reconnu qu’il avait été approché au sujet de la possibilité de désigner des civils armés comme députés. Beth a déclaré qu’il l’avait découragé principalement en raison de la «responsabilité» que cela impliquerait.

Lors de la conférence de presse, le chef de la police Daniel Miskinis a nié avoir eu des contacts avec la milice ou avoir eu des connaissances à ce sujet.

La veille, dans un message public sur Facebook (qui a été supprimé depuis), la milice a envoyé un message à Miskinis signé par le «Commandant de la garde de Kenosha». Le message implorait le chef de la police: «Ne demandez pas à vos officiers de nous dire de rentrer chez nous sous la menace d’une arrestation comme vous l’avez fait dans le passé. Nous sommes prêts à parler au KPD et à ouvrir une discussion. C’est évident que peu importe le nombre d’officiers, de députés et d’autres agents des forces de l’ordre qui sont ici, vous serez toujours en infériorité numérique».

Message Facebook de la Garde de Kenosha au Chef Miskinis

Lors de la conférence de presse de mercredi, on a demandé à shérif Beth pourquoi la police avait permis à Rittenhouse de s’enfuir après son violent déchaînement. Beth a énuméré une longue liste d’excuses, citant les cris, les sirènes et le trafic radio, qui, selon Beth, peuvent «détourner l’attention».

Beth a déjà dû s’excuser d’avoir «laissé ses émotions» prendre le dessus. Lors d’une conférence de presse en février 2018, il s’est adressé aux médias concernant une arrestation impliquant des biens volés dans un centre commercial voisin. Personne n’a été blessé lors de l’incident, mais cela n’a pas empêché Beth de donner des leçons sur ce qu’il considérait comme la justice.

Il a déclaré: «Je pense qu’à un moment donné, la société doit en avoir tellement marre qu’elle n’est plus disposée à tolérer les personnes qui ne sont pas un atout pour la société. Je pense que nous devons créer un seuil où, une fois que vous avez franchi le seuil, le Wisconsin, les États-Unis, construisent des entrepôts où nous mettons ces personnes qui ont été considérées comme n’étant plus un atout, qui sont vraiment un préjudice…»

Avant la fusillade, des centaines de manifestants et de résidents s’étaient rassemblés devant le tribunal municipal, défiant le couvre-feu de 20 h imposé mardi soir pour demander justice pour Jacob Blake. On n’a annoncé aucune inculpation à ce jour contre le policier tueur Rusten Shesky, qui est toujours en congé administratif payé, ainsi que deux autres officiers.

Avant les manifestations de mercredi soir, la police avait érigé une clôture en acier autour du bâtiment de la sécurité publique, que les manifestants ont tenté de faire tomber. La police antiémeute et plusieurs grands véhicules blindés BearCat de la police, équipés de dispositifs acoustiques à longue portée, ont réagi. Ils ont lancé des gaz lacrymogènes; ils ont activé des sirènes assourdissantes; ils ont tiré des balles de poivre et des balles en caoutchouc. Les manifestants se sont rassemblés dans le parc en face du bâtiment et ont répondu avec des feux d’artifice et des bouteilles d’eau, tout en essayant de se protéger du barrage avec des bennes à ordures et des parapluies.

La police antiémeute, soutenue par ses véhicules blindés, a ensuite formé une ligne et s’est déplacée dans le parc, en déployant de la fumée et des gaz lacrymogènes. Les manifestants qui tentaient de s’enfuir ont été bloqués par des miliciens armés, dont on pense qu’ils faisaient partie de la garde de Kenosha. La page Facebook du groupe a été supprimée mercredi, mais pas avant qu’environ 3.000 personnes aient exprimé leur intérêt à assister à l’événement intitulé «Des citoyens armés pour protéger nos vies et nos biens».

Pendant ce temps, des agents sous la direction du shérif Beth ont bloqué les sorties et les rampes d’accès aux autoroutes avant le couvre-feu, empêchant les gens de quitter la ville ou d’y entrer.

Lors de la conférence de presse de mercredi, le général Paul Knapp, commandant de la Garde nationale, a déclaré que le nombre de soldats de la Garde nationale envoyés à Kenosha serait doublé. Il a précisé que cela peut comprendre des soldats de l’extérieur de l’État. Le shérif Beth a confirmé que des agents fédéraux du FBI, du Bureau de l’alcool, du tabac et des armes à feu et du US Marshals Service étaient déjà déployés dans la ville, tout comme «du matériel et des renseignements».

(Article paru en anglais le 27 août 2020)

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