Alors que les grèves se poursuivent en Biélorussie, l'UE impose des sanctions à Loukachenko

Après deux jours de sommet à Berlin, les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne (UE) ont voté vendredi l’imposition de sanctions contre de hauts responsables biélorusses. Elle accuse ces responsables encore non-identifiés d'avoir aidé le président sortant Aleksandr Lukachenko à voler l'élection présidentielle du 8 août et à réprimer les manifestations contre le résultat du scrutin. Trois personnes sont mortes suite à la répression, qui a provoqué une vague, toujours en cours, de grèves et de manifestations dans des usines et des écoles de toute la Biélorussie.

Le chef de la politique étrangère de l'UE, Josep Borrell, a déclaré qu'une vingtaine de responsables biélorusses ou peut-être plus pourraient être visés. L'UE, écrit le quotidien allemand Sueddeutsche Zeitung, «veut intensifier la pression sur les dirigeants du pays et signaler la solidarité avec le peuple biélorusse».

Le président biélorusse Alexander Lukashenko s’adresse à un meeting de responsables à Minsk, le 27 août 2020 [source: Sergei Sheleg, BelTA Pool via AP]

Des conflits ont toutefois éclaté suite à la décision de l'UE de ne pas sanctionner Loukachenko, responsable des politiques qu'elle est censée condamner. Le ministre lituanien des Affaires étrangères Linas Antanas Linkevičius, dont le gouvernement offre protection et asile à la candidate à la présidence de l'opposition biélorusse Svetlana Tikhonovskaya, a déclaré que la réaction de l'UE était «trop symbolique.[ …] Cela ne va certainement pas assez loin. Ce n’est pas une réaction sérieuse ».

Le vote de l'UE est une tentative maladroite et hypocrite de maximiser son influence en Biélorussie alors qu’elle a affaire à un événement largement inattendu et malvenu pour les milieux européens: une première intervention de la classe ouvrière dans la vie politique d'une ancienne république soviétique.

Vendredi, la chancelière allemande Angela Merkel a déclaré que le peuple biélorusse se battait pour le droit de protester «que nous tenons pour acquis» en Europe. Merkel a critiqué le président russe Vladimir Poutine qui avait proposé jeudi d'envoyer une «police de réserve» en Biélorussie pour soutenir Loukachenko contre les manifestants.

Poutine a déclaré que cette réserve policière «ne serait pas utilisée tant que la situation ne deviendrait pas incontrôlable, et que les éléments extrémistes, se cachant derrière des slogans politiques, ne franchiraient pas certaines limites comme le pillage, l'incendie de voitures, la saisie de bâtiments administratifs, etc. Nous sommes parvenus à la conclusion qu’un tel besoin n’existe pas pour l’instant et, j’espère, n’existera pas, et que par conséquent nous n’utiliserons pas cette réserve ».

Tandis que Merkel déclarait «j'espère que les troupes ne seront pas déployées», le président français Emmanuel Macron disait aux journalistes à Paris «nous ne voulons pas une répétition de ce qui s’est passé en Ukraine […] toute intervention étrangère en Biélorussie, à commencer par une intervention des forces russes, qu’elles soient militaires ou de sécurité intérieure, serait évidemment une intervention en dehors du cadre national biélorusse et internationaliserait et régionaliserait la question ».

Les protestations d'indignation de l'UE face à l'attaque des droits démocratiques par Loukachenko et à la menace de Poutine d'intervenir en Biélorussie sont totalement fausses et hypocrites. Les forces de sécurité de Macron ont arrêté 10 000 personnes, tué deux passants et il a autorisé l'armée française à ouvrir le feu sur les manifestations Gilets jaunes. Et depuis la dissolution de l'Union soviétique par le régime stalinien en 1991, l'OTAN est intervenue militairement dans toute l'Europe de l'Est, du bombardement de la Serbie en 1999 au putsch dirigé par les fascistes à Kiev qui a renversé un gouvernement pro-russe en Ukraine en 2014 et qu’elle a soutenu.

Derrière les phrases mensongères sur les droits démocratiques et la non-intervention cependant, les sections les plus impitoyables du capital européen élaborent leur stratégie politique. Le renforcement de la position militaire de l'UE contre la Russie en Europe de l'Est, s’appuyant sur le développement de la puissance militaire de l'OTAN en Pologne et en Lituanie, est bien entendu une préoccupation majeure. L’UE a soutenu le Conseil de coordination des partis d'opposition droitiers autour de Tikhonovskaya, qui appelle à des pourparlers avec Loukachenko en faveur d’un changement constitutionnel de l'État capitaliste post-soviétique en Biélorussie.

Mais l'UE n'a pas encore décidé de couper les ponts avec Loukachenko, d'autant plus que le militantisme ouvrier croissant et la recrudescence de la lutte des classes se répandent non seulement en Biélorussie, mais dans toute l'Europe et le monde. Les griefs politiques à l'origine des grèves contre Loukachenko – inégalités sociales, bas salaires et gestion officielle désastreuse de la pandémie COVID-19 – sont partagés par les travailleurs européens. L'UE sent que Loukachenko, qui a menacé d’embrigader les jeunes contestataires dans l'armée pour écraser la «bacchanale» des manifestations, pourrait encore servir ses intérêts.

La question cruciale pour le mouvement émergent de travailleurs et de jeunes en Biélorussie est de lutter à la fois contre l'ex-homme fort stalinien Loukachenko et contre l'opposition corrompue pro-UE. À l'instar de l'UE, cette opposition pourrait, dans de nombreuses situations, soutenir facilement et avec son approbation une répression de la part de Loukachenko si elle visait la classe ouvrière.

Vendredi, les informations se suivaient de grèves et de manifestations d'enseignants, ainsi que de préparatifs pour de nouvelles grèves et grèves du zèle par les mineurs et les travailleurs de l'industrie. Après que Loukachenko a répondu aux protestations en déclarant que tous les enseignants devaient soutenir l'idéologie de l'État, de nombreux enseignants ont démissionné ou arrêté d'enseigner. Des parents ont rejoint les enseignants sur les piquets de grève à Minsk et des appels lancés par des personnels enseignants à des couches plus larges de travailleurs pour qu'ils se joignent à des grèves ont été largement diffusés sur les réseaux sociaux.

L'un de ces appels, rédigé par quelqu'un affirmant enseigner à l'Université technologique d'État de Minsk, déclare: «Je crois que les étudiants sont des membres à part entière de la société civile et que les grèves étudiantes pourraient être un élément important d'une grève générale biélorusse. Je veux utiliser cette plate-forme pour dire à tous les étudiants biélorusses: vous êtes la majorité, et les professeurs vous soutiendront aussi! »

Les grèves et grèves du zèle des mineurs de potasse contre la société d'exportation d'engrais Belaruskali auraient réduit la production à seulement 60 ou 70 pour cent de la normale et la société a confirmé qu'elle accusait un retard de plusieurs jours en termes de production. L’agence de notation Fitch Ratings a indiqué que la continuation d’une grève dans l’entreprise pourrait réduire les exportations biélorusses et augmenter les prix mondiaux des engrais sur les marchés au comptant. Le rouble biélorusse a chuté de plus de 10 pour cent par rapport à l'euro depuis les élections présidentielles.

Des militants politiques liés à l'opposition de Tikhonovskaya soutenue par l'UE interviennent sur les lieux de travail qui ont mené les grèves contre Loukachenko. Des militants ont déclaré au site d'information belzabastovka.org qu'ils rencontraient des travailleurs de l'usine automobile de Minsk (MAZ) et discutaient de nouvelles actions: «Notre objectif est d'obtenir le plus de signatures possible et de lancer une grande grève.[ …] Nous sommes certains que nous défendrons nos droits et notre position civique et que nous contribuerons à la lutte pour la liberté! ».

Alors que la classe ouvrière réapparaît dans la lutte en Biélorussie et dans toute l'Europe, elle est confrontée à des problèmes complexes de stratégie et de perspective politiques. Ceux-ci découlent de la fausse assimilation, sur des décennies, du stalinisme, de la bureaucratie soviétique et de ses alliés et descendants, au marxisme et au socialisme. Mais la longue et amère expérience des travailleurs en Europe de l'Est a confirmé une thèse centrale de la théorie de la révolution permanente de Léon Trotsky contre le stalinisme et le Front populaire: les travailleurs ne peuvent pas obtenir ou défendre les droits démocratiques en soutenant l'une ou l'autre faction de la classe capitaliste.

Contre les menaces de Loukachenko, le meilleur allié des travailleurs biélorusses est la classe ouvrière européenne et internationale. Ce n'est pas l'opposition pro-impérialiste autour de Tikhonovksaya, qui tout comme l'UE cherche un arrangement avec le régime de Loukachenko, mais bien les millions de travailleurs en Europe et dans le monde, qui entrent en lutte contre l'ordre social réactionnaire sorti en 1991 de la restauration stalinienne du capitalisme en Europe de l'Est.

Les forces influencées par l'opposition de Tikhonovskaya qui interviennent dans les luttes ouvrières mettent en avant une ligne politique hostile à la classe ouvrière. Gleb Sandros, cité dans des reportages comme porte-parole du comité de grève de Belaruskali, a expliqué qu'il espérait que la grève de la potasse provoquerait un effondrement de la monnaie biélorusse sur les marchés mondiaux: «La question cruciale ici est de punir le gouvernement à travers le rouble. »

Il a déclaré au site Web Global Voices, lié au groupe de réflexion New America de Washington, qu'il espérait qu'un effondrement économique ferait honte aux travailleurs et les pousserait à soutenir l'opposition biélorusse: «Si la crise économique en Biélorussie, dont nous pouvons maintenant parler à juste titre, s'intensifie, alors cela motivera plus de gens – et je veux dire les travailleurs – à se réveiller et à jeter un regard sobre sur la situation et sur leur conscience. »

Les plans visant à exploiter les luttes ouvrières pour provoquer une thérapie de choc capitaliste et un changement de régime soutenu par l'impérialisme sont réactionnaires et n'apportent rien aux travailleurs. La voie à suivre est une lutte internationale basée sur une opposition révolutionnaire et socialiste à Loukachenko, à Poutine, à l'opposition soutenue par l'UE et à l'UE elle-même, basée sur une lutte commune de la classe ouvrière pour des États socialistes unis d'Europe.

(Article paru en anglais le 29 août 2020)

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