États-Unis : les manifestations se poursuivent dans le pays, les républicains défendent le tireur de Kenosha

Défiant les couvre-feux, les soldats de la Garde nationale, la police militarisée, les policiers fédéraux et les fascistes armés, des manifestants de tout le pays continuent de descendre dans les rues des grandes villes américaines et demandent justice pour les victimes de meurtres policiers. Le mouvement de protestation s’est poursuivi tout au long de la semaine dernière, dans certaines villes depuis plus de 90 jours. Des rassemblements majeurs étaient prévus le week-end dans des villes telles que Chicago, Washington DC, New York City, Los Angeles, Seattle et Portland, ainsi que Kenosha et Madison, Wisconsin.

Dans le cadre de la plus grande manifestation, des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées à Washington DC pour la marche «Enlevez votre genou de notre cou», commémorant les 57 ans de la première «Marche sur Washington pour l’emploi et la liberté», menée par Martin Luther King Jr. en 1963.

La participation était importante, étant donné la menace de pandémie de coronavirus ainsi que l’atmosphère d’intimidation violente provoquée par Trump, avant même qu’un militant ‘auto-défense’ pro-Trump n’ouvre le feu sur les manifestants à Kenosha, Wisconsin, mardi soir, tuant deux personnes et en blessant une.

Sur cette photo d’archive du 25 août 2020, un manifestant brandit un téléphone alors qu’il se tient devant la police antiémeute à Kenosha, Wisconsin [Crédit: AP Photo/Morry Gash, Dossier] [AP Photo/Morry Gash]

Un groupe d’environ 50 personnes a marché du Wisconsin à Washington, rencontrant occasionnellement de l’hostilité en cours de route dans les zones rurales. Un des membres de ce groupe fut blessé légèrement par balle dans le comté de Bedford, en Pennsylvanie, par un habitant de la région armé d’un fusil lors d’un incident diffusé en direct.

La politique de cette manifestation, cependant, était celle des organisateurs du Parti démocrate, en particulier le révérend Al Sharpton. Celui-ci s'est longtemps spécialisé dans la dissimulation des questions fondamentales de classe et de la responsabilité du capitalisme dans la pauvreté, la violence policière et le racisme ; et dans la promotion d'un programme racial visant à diviser la classe ouvrière.

Les orateurs comprenaient des survivants et des membres des familles de victimes de violences policières. Ils comprenaient aussi la candidate démocrate à la vice-présidence Kamala Harris; la députée Joyce Beatty, du Caucus noir du Congrès; le président de la Fédération américaine des enseignants Randi Weingarten; et Sharpton lui-même.

Dans leurs discours, les politiciens capitalistes et les dirigeants syndicaux ont dépeint les meurtres policiers en termes purement raciaux. Ils ont occulté le rôle de la police en tant que bras répressif de l’État et ont appelé à un vote pour les Démocrates en novembre comme la seule solution. Pendant ce temps, les maires et gouverneurs Démocrates continuent de travailler main dans la main avec Trump et ses nervis fédéraux du FBI, de l’ICE et de la Police des frontières, tandis que les services de police qu’ils dirigent répriment les manifestations et arrêtent les «agitateurs».

Malgré la politique banqueroutière des orateurs, l’importante foule multiraciale et multiethnique présente témoignait du large soutien de la population en faveur de l’égalité et de l’opposition à la politique fasciste mise en avant par Trump et l’oligarchie financière dont il est le porte-parole.

La police métropolitaine affronte des manifestants après le discours de Trump, le 27 août 2020, à Washington [Crédit: AP Photo/Julio Cortez]

Dans son discours d’acceptation jeudi soir, Trump a parlé pendant plus d’une heure sans mentionner les événements spécifiques de Kenosha. Il n’a pas reconnu non plus qu’un de ses partisans, agissant sur la base de ses mots d’ordre politiques, a ouvert le feu sur les manifestants et en a assassiné deux.

On peut tracer une ligne directe entre les discours fascistes prononcés par Trump au cours des quatre dernières années, répétés à l’infini à la Convention nationale républicaine la semaine dernière, et les exécutions paramilitaires de Kenosha perpétrées par Kyle Rittenhouse.

Le jeune homme de 17 ans, fervent partisan de Trump et ancien cadet de la police, qui avait tenté de s’engager dans le corps des Marines en janvier mais avait été refusé, est toujours en détention dans l’Illinois après que le juge ait décidé vendredi de reporter d’un mois l’audience d’extradition afin de permettre à Rittenhouse de bénéficier des services d’un avocat privé.

Il a été accusé de cinq crimes dont un homicide volontaire au premier degré pour la mort d’Anthony Huber, 26 ans, de Silver Lake; un homicide volontaire au premier degré pour la mort de Joseph Rosenbaum, 36 ans, de Kenosha; et une tentative d’homicide volontaire au premier degré pour avoir tiré sur Gaige Grosskreutz, 26 ans, de West Allis. Il fait également l’objet de deux chefs d’accusation pour mise en danger de la sécurité publique.

Actuellement, Rittenhouse est représenté par un avocat public et par l'avocat privé Lin Wood, dont le profil Twitter affiche fièrement son allégeance à QAnon avec le hashtag #WWG1WGA ("When We Go One, We Go All", slogan fasciste de la théorie du complot).

Rittenhouse est en train de devenir un symbole pour les fascistes. Des personnalités de Fox News tels que Tucker Carlson, avec une moyenne de 4 millions de téléspectateurs par nuit, et Ann Coulter, qui se vante d’avoir 2,2 millions d’adeptes, l’ont porté au pinacle. Mercredi, Coulter a répondu à un de ses partisans qui lui a dit qu’il voulait Rittenhouse comme garde du corps en disant «je le veux comme président».

La nuit suivant la fusillade, une personnalité de la radio du Wisconsin, Vicki McKenna, dont le talk-show du matin est diffusé dans les deux plus grandes villes de l’État, Madison et Milwaukee, a demandé à ses auditeurs: «Avez-vous assez de munitions?» puis ajouta, «Allez-vous vous préparer en trouvant ces vieux draps blancs pour pouvoir hisser le drapeau de la reddition? Ou, allez-vous être prêts à défendre vos biens, votre peuple, contre la violence imminente déclenchée par des gens dont le but final est la destruction totale de notre mode de vie?»

Pendant l’enregistrement de son émission de mercredi soir en prime time, Carlson a consacré un segment entier à la défense du tireur fasciste. Il a mis en cause les «dirigeants» et les «autorités» d’avoir abandonné Kenosha et de l’avoir laissé «sombrer» dans l’«anarchie». Il a terminé le segment en demandant pour la forme: «A quel point sommes-nous choqués que des jeunes de 17 ans armés de fusils aient décidé qu’ils devaient maintenir l’ordre alors que personne d’autre ne le faisait?»

Loin d’«abandonner» la ville, le gouverneur Démocrate Tony Evers, comme le maire Démocrate John Antaramian, ont clairement indiqué qu’ils étaient prêts à utiliser tous les moyens pour réprimer les manifestations. Au moment où nous écrivons, plus de 1.000 policiers militaires de la Garde nationale de quatre États, en plus de centaines de policiers fédéraux et locaux, affluent dans la région pour attaquer les manifestants. En même temps, la police permet à des milices autoproclamées comme la «Garde de Kenosha» (à l’appel de laquelle Rittenhouse a répondu) de violer le couvre-feu, d’intimider et même de tuer les manifestants.

Les protestations ont continué à Kenosha tout au long de la semaine dernière malgré qu’un couvre-feu reste en vigueur de 19 h du soir à 7 h du matin, jusqu’au dimanche 30 août. Des messages d’urgence quotidienne qui avertissent de «troubles civils» ont été envoyés aux téléphones portables de tout le comté de Kenosha, avec ordre aux «citoyens… de ne pas sortir dans la rue pour leur sécurité».

Les meurtres de Kenosha ne sont que la partie visible de l’iceberg en ce qui concerne la violence de l’extrême droite contre les manifestations ayant éclaté dans toute l’Amérique depuis le meurtre de George Floyd par la police, le 25 mai à Minneapolis.

Des données critiques publiées dans un récent article du Huffington Post, recueillies par Alexander Reid Ross, un chercheur postdoctoral au Centre d’analyse de la Droite radicale révèlent que l’essentiel de la violence commise lors des manifestations tout au long de l’été a été le fait d’éléments associés à l’extrême droite, et non de manifestants. Jusqu’à présent, on a trouvé au moins 497 cas d’acteurs ou de «vigilantes» d’extrême droite qui ont affronté, agressé et/ou tué des manifestants.

Commentant l’ampleur de la violence due à des contre-manifestants d’extrême droite, Ross a déclaré au Huffington Post: «Je n’ai jamais rien vu de tel dans ma vie». Jusqu’à présent, Ross a confirmé 387 incidents d’intimidation, 64 cas de simples agressions, 38 attaques de véhicules et neuf cas de manifestants sur lesquels on a tiré, dont six ont été blessés et trois tués.

Même la forme spécifique des événements de Kenosha a de nombreux précédents. Ross a documenté plus de 20 cas où la police a encouragé la formation de milices pour aider à «supprimer l’anarchie».

Le 30 juillet, le shérif du comté de Pinal, Mark Lamb, a créé un «groupe de civils» pour aider à «l’agitation générale» dans ce comté de l’Arizona. Le chef de la police de Sioux Rapids, Tim Porter, dans le Dakota du Sud, a été suspendu pendant deux semaines au début de l’été après avoir publié un message sur Facebook dans lequel il comparait les manifestants de Black Lives Matter à des «dos d’âne» sur la route et encourageait les fascistes alors qu’ils commettaient des homicides à l’aide de véhicules : «ÉCRASEZ L’ACCÉLÉRATEUR ET ACCROCHEZ-VOUS».

La réponse de l’équipe présidentielle Démocrate aux violentes attaques contre les manifestants est une combinaison de politique identitaire et de lâcheté. L’ancien vice-président Joe Biden a déclaré que Trump espérait profiter des bouleversements de Kenosha. «Je pense qu’il considère cela comme un bénéfice politique», a-t-il déclaré à MSNBC, en précisant que Trump «ne faisait que jeter de l’huile sur le feu racial qui brûle actuellement».

Il s’est plaint de ce que Trump s’en prenait aux Démocrates alors que les Républicains étaient en fait au pouvoir et devaient être tenus pour responsables. «La violence à laquelle nous assistons se produit sous Donald Trump», a déclaré Biden, «pas moi. Elle empire, et nous savons pourquoi».

La sénatrice Kamala Harris a déclaré «nous devons toujours défendre les protestations pacifiques et les manifestants pacifiques», mais a ajouté «nous ne devons pas les confondre avec ceux qui pillent et commettent des actes de violence».

Ni Biden ni Harris n’ont souligné le rôle de Trump en tant qu’auteur moral des meurtres de Kenosha ou le danger croissant de violence de l’extrême droite contre quiconque dénonce publiquement les crimes du gouvernement Trump ou de la police.

(Article paru d’abord en anglais le 29 août 2020)

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