L’armée américaine ne sera pas impliquée dans la crise électorale, déclare un général de premier plan

Le général Mark Milley, président de l’état-major interarmées, l’officier le plus haut placé de l'armée américaine, a publié vendredi une déclaration. Elle explique que l’armée américaine n’aurait aucun rôle à jouer dans la résolution des différends qui pourraient survenir à l’issue de l’élection présidentielle de 2020.

C’était la réponse de l’armée à une lettre de deux membres démocrates de la Chambre des représentants, Elissa Slotkin du Michigan et Mikie Sherrill du New Jersey. Milley a écrit: «En cas de différend sur un aspect quelconque des élections, la loi exige que les tribunaux américains et le Congrès américain résolvent tout différend, et non l’armée américaine… Je ne prévois aucun rôle pour les forces armées américaines dans ce processus.»

«Chaque membre des forces armées et moi-même prêtons serment de soutenir et de défendre la Constitution des États-Unis, et de suivre les ordres légitimes de la chaîne de commandement», poursuit-il. «Nous ne tournerons pas le dos à la Constitution des États-Unis.»

Slotkin et Sherrill ont envoyé des lettres au général Milley et au secrétaire à la défense Mark Esper après une audition devant la commission des services armés de la Chambre des représentants en juillet dernier. C’était suite à la menace de Trump de faire appel à l’armée pour réprimer les manifestations qui ont éclaté après le meurtre de George Floyd par la police de Minneapolis le 25 mai dernier.

Le 1er juin, Trump a menacé d’invoquer l’Insurrection Act de 1807 et d’envoyer l’armée dans les rues des villes américaines pour réprimer les protestations. Après avoir rencontré la résistance d’Esper, de Milley et des officiers supérieurs, actifs et retraités — parce qu’ils considéraient qu’une intervention militaire n’était pas préparée politiquement et pratiquement. Trump s’est retiré et n’a pas invoqué la loi de 1807, bien qu’il ait eu des troupes déployées à Washington pendant plusieurs jours.

Que le général en chef estime nécessaire de faire une déclaration «pour mémoire», pour ainsi dire, que les militaires ne décideront pas de l’issue de l’élection présidentielle de 2020, est une manifestation extraordinaire des tensions politiques aux États-Unis.

Trump a laissé entendre à plusieurs reprises qu’il n’accepterait pas un résultat défavorable du vote du 3 novembre, et son rival démocrate, l’ancien vice-président Joe Biden, a déclaré que l’armée pourrait devoir retirer Trump de la Maison-Blanche le jour de l’inauguration, le 20 janvier 2021, s’il refusait de partir.

Les commentaires de Joe Biden et la position de ses partisans comme Slotkin et Sherrill font des militaires, et non du peuple américain, les arbitres finaux de l’élection de 2020. Cela démontre à lui seul qu’aucun parti capitaliste, Démocrate ou Républicain, ne s’est sérieusement engagé à préserver des formes de gouvernement démocratique.

En ce qui concerne les commentaires de Milley, ils ont dépeint l’armée comme adhérant aux procédures constitutionnelles. «La Constitution et les lois des États-Unis et des États établissent des procédures pour la tenue d’élections et pour le règlement des différends concernant le résultat des élections», a-t-il écrit. «Les gouvernements des États et le gouvernement fédéral disposent de fonctionnaires qualifiés qui supervisent ces processus conformément à ces lois. Nous sommes une nation de lois. Nous respectons l’État de droit et nous l’avons fait pour les élections passées et nous continuerons à le faire à l’avenir.»

En vertu de la Constitution, le président Trump n’a aucun rôle à jouer dans le résultat des élections de 2020. Les votes sont comptés sous la supervision des gouvernements des États, et non du gouvernement fédéral, et les grands électeurs du candidat qui gagne dans chaque État se réunissent dans la capitale de chaque État en décembre pour voter. Au début du mois de janvier, le nouveau Congrès compte les votes dans de chaque État, et le vainqueur du Collège électoral prête serment en tant que président le 20 janvier.

Ce processus peut être perturbé de nombreuses façons. Si le vote populaire dans un État donne un résultat serré, ou s’il y a un prétendu conflit entre les votes en personne et les votes par correspondance, le gagnant des votes de l’État peut être contesté. Il est très probable que Trump utilise ce dernier motif, étant donné la diffamation permanente des bulletins de vote par correspondance diffusée par la Maison-Blanche.

C’est notamment le cas dans les États où le contrôle du gouvernement de l’État est divisé. Mais aussi, lorsque le parti qui contrôle le gouvernement de l’État soutient le candidat qui a perdu le vote populaire dans cet État. Parmi les États dont les résultats pourraient être remis en question figurent la Pennsylvanie, le Michigan, le Wisconsin et la Caroline du Nord. Tous ont des gouverneurs démocrates et de législatures républicaines. Ainsi que l’Ohio, l’Iowa, la Floride, la Géorgie et le Texas, dont les gouvernements sont contrôlés par les Républicains, mais où le Démocrate Biden est en tête ou à égalité dans les sondages.

La décision finale d’accepter le décompte des votes des États incombe à la Chambre des représentants. Le Parti démocrate contrôle cette dernière. En cas de blocage du Collège électoral, la Chambre choisirait le président, mais lors d’un scrutin où la délégation de chaque État dispose d’une voix, quelle que soit sa taille. Actuellement, malgré leur statut minoritaire, les Républicains contrôlent 26 délégations d’États, contre 22 pour les Démocrates, avec deux États divisés à égalité.

Comme cette discussion le montre clairement, il existe d’innombrables possibilités dans ce processus pour les forces de droite. Ils peuvent agir par le biais des deux partis capitalistes, mais aussi en dehors de ceux-ci, afin d’intervenir et de chercher à manipuler le résultat.

Les questions posées par Slotkin et Sherrill touchent à certains de ces problèmes potentiels. Ils ont interrogé Milley sur le fait que le Code de justice militaire «criminalise la mutinerie et la sédition» et sur l’exigence que les militaires ne suivent que des ordres légitimes.

Milley a répondu: «Je reconnais qu’il n’y a qu’un seul président légitime des États-Unis à la fois». Cela soulève la question de savoir comment les militaires identifieraient le «président légitime», puisque c’est la question même posée par l’élection et la période de transition entre l’élection et l’inauguration.

Le général américain de haut rang a également répondu indirectement à une lettre ouverte de deux anciens officiers bien connus, John Nagl et Paul Yingling. La lettre était publiée le 11 août dans Defense One. Elle avertissait que Trump «subvertit activement notre système électoral, menaçant à rester en fonction au mépris de notre Constitution» et appelait Milley à empêcher «le scénario autrefois impensable d’un régime autoritaire».

Nagl et Yingling ne sont guère des parangons de la démocratie. Ils se sont fait connaître en tant que lieutenants-colonels pendant la guerre d’Irak. Ils ont émis une critique interne cinglante de la rigidité et de l’inflexibilité des officiers supérieurs face à une insurrection croissante au sein de la population irakienne. Nagl a ensuite rédigé le manuel officiel de contre-insurrection de l’armée sous la direction du général David Petraeus.

Les représentants Slotkin et Sherrill ont publié une brève déclaration qui salue la réponse de Milley. Leur rôle dans cet échange est politiquement important. Ils sont deux des onze nouveaux membres démocrates du Congrès qui sont passés directement de l’appareil de renseignement militaire à la Chambre des représentants lors des élections de 2018.

Ces démocrates de la CIA, comme les a qualifiés la WSWS, ont joué un rôle de plus en plus important dans les affaires du parti. D’abord ils ont donné une impulsion décisive en faveur de la mise en accusation de Trump. Le motif était que Trump a retardé l’aide militaire à l’Ukraine pour sa guerre contre les séparatistes soutenus par la Russie, puis en soutenant Biden pour l’investiture présidentielle contre des rivaux plus libéraux.

Slotkin était un officier de longue date de la CIA. Elle s’est déployée à trois reprises en Irak. Elle a cité son expérience au sein de l’agence pour évaluer comment «le président, depuis fin avril ou début mai, a semé le doute sur le résultat de nos élections». Elle a ajouté: «Il y a une longue et sombre histoire de présence des forces de l’ordre ou de militaires en uniforme dans les bureaux de vote…»

En d’autres termes, ce que la CIA a aidé à organiser dans des dizaines de pays à travers le monde. C’est-à-dire: l’utilisation de l’armée et de la police pour supprimer les droits démocratiques et renverser les gouvernements. Cette ancienne agente de la CIA décrit maintenant comme la démarche de la politique du gouvernement américain sous Trump.

Le conflit entre Trump et Slotkin ne porte pas sur la démocratie contre la dictature, mais sur la forme d’autoritarisme qui doit être imposée au peuple américain. D’un côté, il y a la dictature personnaliste du futur Mussolini. De l’autre côté, il y a un gouvernement des démocrates s'appuyant sur l’appareil militaire et des renseignements, et orienté vers la guerre avec la Russie, la Chine ou les deux.

(Article paru d’abord en anglais le 31 août 2020)

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